1. Accueil
  2. Auteurs
  3. Kierkegaard
  4. Crainte et tremblement

Couverture du livre Crainte et tremblement de Kierkegaard

Résumé de : Crainte et tremblement

Kierkegaard explore ici le sentier étroit de la foi, et montre que celle-ci peut constituer un troisième stade, distinct de l'éthique et de l'esthétique.

Bien que cet ouvrage soit moins connu du grand public que Ou bien... ou bien ou le Post-scriptum, Kierkegaard le considérait comme son meilleur livre ; pour certains commentateurs, c'est son œuvre la plus difficile.


télécharger le résumé

Du même auteur : Ou bien... ou bien  Miettes philosophiques  Post-scriptum


Index de l'article Page 1
Page 2
Page 3
Page 4
Page 5

Quelques mois après la parution d’Ou bien… ou bien, en 1843, Kierkegaard publie à compte d’auteur un nouvel ouvrage, Crainte et tremblement. On ne peut parler de « suite », mais les deux ouvrages ont donc été rédigés dans un même mouvement de pensée : il s’agit pour l’auteur de présenter ce troisième stade, le stade religieux, qui n’avait pu être qu’esquissé dans Ou bien… ou bien.


Pourquoi ne pas s’en tenir aux deux conceptions de l’existence - esthétique et éthique- présentées dans Ou bien… ou bien ?

Pour fonder la nécessité de ce troisième stade, il faut redonner une place à la foi, montrer en quoi celle-ci ne peut relever de l’éthique, établir la légitimité de la religion, son indépendance vis-à-vis de la philosophie.


La tâche n’est pas facile : au moment où Kierkegaard écrit son ouvrage, la philosophie hégélienne triomphe en Allemagne, et commence même à se diffuser au Danemark.

Or celle-ci relativise l’intérêt de la religion, en réduisant celle-ci à un état dépassé de l’évolution de l’Esprit. La religion pour Hegel exprime certes la vérité. Néanmoins, elle ne la présente pas sous forme de concepts comme la philosophie, mais sous forme de représentations, d’images, de métaphores, afin qu’elle soit comprise de tous, accessible à tous. Or c’est là une forme inférieure de manifestation de la vérité :

Il ne suit nullement de là que la philosophie doive repousser la religion, et poser peut-être en principe que la religion ne contient pas en elle-même la vérité. Ce qu’il faut plutôt dire, c’est que le contenu de la religion est le contenu véritable, mais seulement qu’il n’est dans la religion que sous forme de représentation ; et quant à la philosophie, que ce n’est pas elle qui la première enseigne la vérité substantielle, et que l’humanité n’a pas dû attendre la philosophie pour acquérir la conscience de la vérité 1.


Cette idée soulève l’indignation de Kierkegaard. Ce privilège que s’arroge la philosophie, et en particulier la philosophie hégélienne, d’être la forme authentique sous laquelle peut se manifester la vérité, heurte sa sensibilité profondément religieuse.

On comprend mieux à présent le contexte dans lequel l’ouvrage a été écrit, et l’intention de l’auteur : montrer qu’il existe au-delà de la sphère de l’éthique, de la raison, de la philosophie, une sphère où toutes les catégories de celle-ci s’évanouissent. Il s’agit de montrer la singularité de cette troisième sphère, d’explorer celle-ci afin d’en saisir la signification, les modalités, les enjeux.

Résumons : la philosophie (hégélienne) prétend aller plus loin que la foi et la religion, puisqu’elle constitue un mode plus élaboré de la vérité, un stade ultérieur de la manifestation de l’Absolu.

C’est cette prétention à laquelle s’attaque Kierkegaard dès l’avant-propos.


Pour cela, il s’en prend au caractère spéculatif, théorique, abstrait de la philosophie moderne. Les limites de cette abstraction apparaissent clairement dans deux exemples privilégiés.

Le doute tout d’abord. Depuis Descartes, tout philosophe digne de ce nom est censé douter, remettre en question la vérité des idées qu’il examine. C’est devenu une telle évidence que les philosophes modernes, en particulier hégéliens, considèrent le doute comme un simple procédé théorique, un moment inessentiel et éphémère de leur réflexion. Or le doute est avant tout une remise en question pratique, existentielle, qui va ébranler toute la sphère de la personnalité, et surtout, une immense tâche, fruit d’une longue ascèse spirituelle qui peut durer des années :

Ce dont les anciens Grecs, quelque peu connaisseurs en philosophie, faisaient la tâche de la vie entière, car la pratique du doute ne s’acquiert pas en quelques jours ou quelques semaines, le but auquel parvenait le vieux lutteur retiré des combats, après avoir gardé l’équilibre du doute dans tous les pièges, nié inlassablement la certitude des sens et celle de la pensée, bravé sans faiblesse les tourments de l’amour-propre et les insinuations de la sympathie, cette tâche est celle par laquelle chacun débute.


Mais Kierkegaard en vient à ce qui l’intéresse vraiment ici : la foi. De même que le philosophe moderne prétend aller plus loin que le doute, il prétend aller plus loin que la foi. Or il n’en était pas de même au temps jadis ; la foi était alors une tâche assignée à la vie entière ; car pensait-on, l’aptitude à croire ne s’acquiert pas en quelques jours ou en quelques semaines. Quand le vieillard éprouvé approcha de sa fin après avoir combattu le bon combat et gardé la foi, son cœur était encore resté assez jeune pour ne pas avoir oublié l’angoisse et le tremblement qui avaient discipliné le jeune homme, que l’homme mûr avait maîtrisés, mais dont nul ne se délivre entièrement, sauf si l’on réussit à aller plus loin d’aussi bonne heure que possible.

Ainsi, le point où parvenaient ces vénérables figures, c’est de là qu’aujourd’hui part tout un chacun pour aller plus loin.


Kierkegaard mobilise donc toute l’autorité du passé (scepticisme ancien et christianisme primitif) contre la philosophie hégélienne et ses partisans.

Il pointe du doigt le caractère abstrait, spéculatif de celle-ci, qui l’amène à manquer l’essence des phénomènes qu’elle analyse : L’on a beau être en mesure de formuler en concepts toute la substance de la foi, il n’en résulte pas que l’on a saisi la foi, saisi comment on y entre ou comment elle entre en quelqu’un.

Est-il possible de saisir la « substance de la foi » ? Comment faire, si elle échappe par essence à la philosophie spéculative ? Il va falloir déployer de toutes autres catégories, et par-delà, une autre manière de penser. Kierkegaard ne se présente d’ailleurs pas comme un philosophe, mais comme un écrivain : Le présent auteur n’est pas le moins du monde philosophe, il est […] un écrivain amateur, qui n’écrit ni système, ni promesses de système.

Il va examiner un passage particulier de la Bible, dans lequel la foi est sollicitée de manière privilégiée : l’histoire d’Abraham.


Auteur de l'article :

Cyril Arnaud, fondateur du site Les Philosophes
Auteur des Fragments pirates, philosophie poétique, et Axiologie 4.0, philosophie des valeurs.

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie