1. Accueil
  2. Auteurs
  3. Hegel
  4. Phénoménologie de l'esprit
  5. Page 6
couverture du livre la Phénoménologie de l'esprit de Hegel

Résumé de la Phénoménologie de l'esprit (page 6)



Tout d’abord, si Schelling formule le principe général du système « tout est un », il ne développe pas celui-ci.

Autrement dit, il fournit le concept du système, mais pas le système lui-même, dans son développement concret et détaillé.

On reste donc dans une sorte d’abstraction dont on ne peut se satisfaire :


Cette nouveauté [l’apport de Schelling] n’a pas davantage de parfaite effectivité que l’enfant qui vient de naître ; et c’est un point qu’il est essentiel de ne pas négliger. La première entrée en scène n’est encore que son immédiateté ou son concept. Pas plus qu’un bâtiment n’est terminé quand on a posé sa fondation, le concept du tout auquel on est parvenu n’est le tout lui-même. Quand nous souhaitons voir un chêne avec toute la robustesse de son tronc, le déploiement de ses branches et les masses de son feuillage, nous ne serons pas satisfaits si, au lieu de cela, on nous fait voir un gland. De la même façon, la science, dont la frondaison couronne tout un monde de l’esprit, n’est pas achevée dans son commencement.


Oui, Schelling propose des formules vraies, sur lesquels un savoir systématique peut s’édifier et que Hegel va reprendre à son compte : « tout est un », « dans l’absolu, A = A ». Mais comme le système vers lequel elles pointent n’est pas édifié, elles restent lettre morte, abstraites, formelles, et ce formalisme ne peut convaincre :

Opposer ce savoir Un - que dans l’absolu, tout est identique – à la connaissance distinguante et accomplie […], ou encore, donner son absolu pour la nuit où, comme on dit toutes les vaches sont noires, c’est la naïveté du vide de connaissance 1.

Cette métaphore est particulièrement parlante : une idée abstraite, qui n’est pas développée dans sa signification concrète, ne se différencie pas, dans ce vide sémantique, d’une autre. Lorsqu’on dit « tout est un » sans indiquer précisément en détail ce que désignent ce « Tout », cet « Un », cela revient à dire « rien n’est Un », ou même à ne rien dire. Dans cette abstraction formelle, toutes les idées se confondent les unes avec les autres, comme des vaches dans une nuit noire.

C’est là précisément l’apport de Hegel : lui se propose de développer concrètement le système, exposer les différentes étapes de celui-ci, fonder la nécessité du passage d’une forme à l’autre. Tel est le rapport de Hegel à Schelling : ce mouvement qui mène de l’abstrait au concret, et donc à la vérité, exposée sous sa forme adéquate, celle d’une science systématique.


Un nouveau trait essentiel de la pensée de Hegel nous apparaît ici. Pourquoi passe-t-on, dans le processus dialectique, d’une forme de la vérité à une autre ? Pourquoi chacune ne serait-elle qu’un simple « moment » du développement du Tout, et non sa vérité finale ? Quelle est la limitation qui la réduit à un tel statut de « moment » ? Cela dépend de la forme considérée, mais souvent, Hegel pointera son abstraction : c’est souvent parce que la forme antérieure demeure « abstraite », en reste au niveau du concept, qu’il faut passer à une nouvelle forme.

Cette progression vers le concret, l’effectif, constitue l’un des moteurs du processus dialectique, et Hegel l’utilise fréquemment lorsqu’il doit montrer pourquoi une forme donnée doit être abandonnée.


L’abstraction constitue donc une forme d’erreur chez Hegel : c’est séparer ce qui est uni en réalité. L’abstraction s’en tient, à tort, à la différence et à la séparation.

Hegel ne nie pas la différence, et la séparation, bien au contraire. Mais il ne s’agit là que d’un moment du processus dialectique, le second moment. Celui-ci est suivi par le mouvement final de réconciliation des opposés, la synthèse, qui retrouve l’identité, au cœur de la différence, afin de constituer un Tout.

Hegel résume ainsi ce processus :

Seule l’identité qui se reconstitue ou la réflexion dans l’être-autre en soi-même – et non une unité originelle ou immédiate est le vrai.

On ne saurait mieux dire ce qu’est la dialectique, qu’on peut décomposer ainsi en ses trois moments :

a) Moment de l’identité immédiate : A = A
b) Moment de la différence : la chose se différencie d’elle-même et va se chercher dans son opposé
c) Moment de la synthèse : la chose retrouve son identité avec elle-même, incluant son contraire, en une réconciliation des opposés


C’est par le processus dialectique, le développement concret du Tout à travers l’Histoire, lent et parfois douloureux, que l’Absolu se constitue réellement peu à peu, et non dans une formule abstraite contenue dans un livre de philosophie. C’est là la limite essentielle de la doctrine de Schelling, que Hegel vise probablement lorsqu’il soutient qu’une idée tombe dans la fadeur, lorsqu’il y manque le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif.


D’autre part, Hegel oppose son approche à celle de Schelling sur un point fondamental : le Tout, l’absolu qui se constitue peu à peu dans l’Histoire, n’est pas seulement substance, mais sujet, c’est-à-dire esprit : Dans ma façon de voir […], tout dépend de ce qu’on appréhende le vrai non comme substance, mais tout aussi bien comme sujet.

En cela, il se distingue également de tout spinozisme. C’est important car la doctrine de Spinoza fait encore scandale à l’époque où Hegel écrit ces lignes, auprès de nombreux penseurs et théologiens. En effet, en définissant Dieu (ou le Tout) comme une substance infinie avec une infinité d’attributs, Spinoza assimile Dieu et Nature ; mais si Dieu n’est autre chose que la Nature, il n’y a pas en fait de Dieu, et ce panthéisme devient une sorte d’athéisme.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Hegel : lecture suivie