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un cube impossible

Notion : la raison

La raison et le réel

Ce cours sur la raison vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : une présentation du syllogisme aristotélicien, la différence entre vérité formelle et vérité matérielle, la suspension du jugement sceptique, le modèle mathématique...



Sujet possible : Peut-on tout démontrer ?

Qu’est-ce qu’une démonstration ?

Une démonstration consiste à déduire de prémisses admises une conclusion nécessaire.

Le modèle de la démonstration est, depuis Aristote, le syllogisme.


Prenons un exemple :

Les hommes sont mortels

Or Socrate est un homme

Donc Socrate est mortel


On voit que la dernière proposition se déduit nécessairement des deux autres : on ne peut imaginer une autre conclusion.


La logique fait abstraction du contenu d’une démonstration, afin de s’intéresser à sa seule forme. C’est ce que l’on appelle la logique formelle.


Ainsi si l’on formalise le raisonnement précédent :

A est B

Or C est A

Donc C est B


La logique formelle vérifie qu’un raisonnement est exécuté de manière logique, qu’une démonstration respecte les lois formelles d’un raisonnement logique. Elle fait abstraction du contenu des démonstrations.

Ainsi, un raisonnement au contenu faux de ce type est pourtant valide d’un point de vue formel :

Un homme est un chat

Or un chien est un homme

Donc un chien est un chat


En revanche, un raisonnement valide du point de vue du contenu peut être faux d’un point de vue formel. Par exemple :

Les hommes sont mortels

Or un chat est mortel

Donc un homme n’est pas un chat.


On comprend là la différence entre vérité matérielle et vérité formelle.

On voit alors la limitation essentielle de toute démonstration : puisqu’on peut, dans une démonstration, faire abstraction du contenu de celle-ci, on peut, sous réserve de respecter les lois formelles de la logique, parvenir à n’importe quelle conclusion

N’importe quel contenu, même le plus absurde, peut être la conclusion d’une démonstration : tout est démontrable. Ce n’est pas là le signe d’une supériorité de ce mode de connaissance, qui la révèlerait comme outil universel par exemple, mais plutôt une faiblesse de celle-ci.

Pour s’assurer de la vérité matérielle d’une démonstration, il faut utiliser d’autres méthodes, comme l’expérience par exemple (qui nous apprend que l’homme est mortel).


On voit donc qu’on peut tout démontrer, mais que cela est le signe d’une limite essentielle de la démonstration en tant que méthode de connaissance.

La démonstration inutile – les sceptiques

C’est là quelque chose que les sceptiques ont pressenti dès l’Antiquité.

Le scepticisme est la doctrine qui soutient qu’on ne peut atteindre aucune vérité certaine. Il s’oppose au dogmatisme, à savoir le fait d’émettre un jugement sans chercher à fonder celui-ci par un argument ou une démonstration.

Un dogme ne peut être admis, puisqu’il n’est pas fondé ; on peut donc affirmer le contraire de celui-ci sans prendre non plus la peine de démontrer la vérité de ce qu’on avance.


On dirait à première vue que les sceptiques accordent de ce fait une valeur essentielle à la démonstration. Il n’en est rien. Lorsqu’on leur propose des arguments pour fonder la vérité d’une idée, les sceptiques s’ingénient à montrer qu’on peut démontrer l’idée contraire.

L’idée, formulée par Sextus Empiricus dans les Esquisses Pyrrhoniennes, est qu’ à tout argument s’oppose un argument égal. Lorsqu’on comprend cela, on relativise l’intérêt de la démonstration : tout est démontrable, donc il ne sert plus à rien de démontrer quoi que ce soit.

Un autre sceptique Carnéade a d’ailleurs montré concrètement cela, en se rendant à Rome et en faisant une conférence sur la justice dans lequel il soutenait une certaine position. Le lendemain, il fit une conférence dans lequel il défendait l’idée contraire, avec la même puissance de conviction, ce qui ne manqua pas d’impressionner l’auditoire.

Les sceptiques démontrent de différentes manières qu’on ne peut atteindre la vérité. Ce sont les fameux tropes sceptiques, ainsi résumés par Sextus Empiricus :

Le premier [mode] se fait d'après la variété des animaux, le deuxième d'après la différence entre les humains, le troisième d'après les différentes constitutions des organes des sens, le quatrième d'après les circonstances extérieures, le cinquième d'après les positions, les distances et les lieux, le sixième d'après les mélanges, le septième d'après la quantité et la constitution des objets, le huitième d'après le relatif, le neuvième d'après le caractère continu ou rare des rencontres, le dixième d'après les modes de vie, les coutumes, les lois, les croyances aux mythes et les suppositions dogmatiques.


Ainsi par exemple, les différences entre les humains font que ce qui paraît vrai à l’un paraîtra faux à l’autre, etc.

De ce fait, la démonstration, loin d’être un outil qui nous permet de saisir des vérités, se saborde elle-même et nous amène à la fin de la recherche de la vérité. Puisqu’on ne peut rien prouver, inutile de chercher la vérité : c’est la fameuse suspension du jugement sceptique.

Dans cette perspective, on peut tout démontrer, y compris l’inutilité de la démonstration elle-même.

La démonstration mathématique – Euclide

Néanmoins ce qui précède ne vient remettre en cause que l’intérêt d’un certain type de démonstration.

Si la démonstration logique, basée sur le modèle du syllogisme aristotélicien, est effectivement la cible des attaques sceptiques, un autre genre de démonstration reste à examiner. Il s’agit de la démonstration mathématique.


Ce type de démonstration est en effet ce qui a permis aux mathématiques de se constituer comme science. C’est Euclide, qui dans ses Eléments, a le premier conceptualisé la méthode :

- les définitions, précisant le sens des termes employés par la suite

- les axiomes, des énoncés reconnus comme évidents par chacun

- les théorèmes, présentant le résultat obtenu par la démonstration

- des propositions se déduisant les unes des autres, qui constituent la démonstration proprement dite


C’est grâce à ce modèle épistémologique, basé sur la démonstration, que la géométrie s’est constituée comme discipline.

C’est par une démonstration que le mathématicien peut prouver l’idée que « dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés ». Et non par une expérience (en mesurant par exemple avec une règle les côtés du triangle qu’il vient de tracer). Sinon, la géométrie ne serait qu’une simple discipline empirique. Ses résultats ne seraient pas universels, puisque l’expérience ne peut fonder des vérités nécessaires, ainsi que l’a montré Hume dans le Traité de la nature humaine.

Une expérience montre qu’un phénomène s’est produit ici et maintenant, mais ne peut nous assurer qu’il se reproduira demain.

Chaque matin, j’ai vu le soleil se lever, mais je ne peux en déduire qu’il se lèvera demain, ou pour l’éternité. Jusqu’à présent, tous les cygnes que j’ai vu étaient blancs, mais je ne peux en déduire la loi nécessaire : tous les cygnes sont blancs. Je suis toujours à la merci d’une expérience qui me montrerait le contraire. On a d’ailleurs découvert une variété de cygnes noirs.


Une science qui repose sur la seule démonstration est donc une science purement rationnelle qui parvient à mettre au jour des vérités universelles et nécessaires. Mathématique et logique en sont deux exemples.

On ne peut pourtant tout démontrer : la démonstration géométrique ne peut prouver l’idée, par exemple, que le théorème de Pythagore est faux, ou que la somme des angles d’un triangle n’est pas de 180°. On ne peut démontrer le contraire des grands théorèmes de mathématiques : c’est en cela que ce sont des vérités universelles et nécessaires.

Conclusion

On le voit : si la démonstration est un outil si puissant qu’elle permet de tout démontrer dans le champ logique ou philosophique, elle est, encadrée par des règles et une méthodologie précise, un outil très efficace dans le champ mathématique. Dans ce cas précis on ne peut tout démontrer, mais on parvient à la déduction de vérités nécessaires et universelles.