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Tableau Montres molles de Dali

Notion : le temps

Le sujet

Ce cours sur le temps vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac.

Au programme : le paradoxe aristotélicien du temps, l'impératif "carpe diem" pour profiter du jour présent, l'expérience du présent décrite par Rousseau...



Sujet possible : Est-il possible de vivre au présent ?


On connaît l’injonction du sage : Carpe Diem, autrement dit : Cueille la rose du jour, ou profite du moment présent.

Si cette maxime se présente sous forme d’ordre, cela doit signifier qu’il est possible de réaliser cela. Autrement, cela n’aurait aucun sens, d’utiliser ainsi l’impératif.

Pourtant, on peut en douter, car le présent n’est-il pas ce qui glisse en permanence entre mes doigts sans que je puisse le retenir ? Ne se définit-il pas comme un flux perpétuel, qui m’échappe par conséquent continuellement ? Quel sens cela a-t-il alors de vivre au présent, si ce temps n’a aucune consistance ?

Le présent relève du néant plutôt que de l’être – Aristote

Vivre au présent est une expression qui présuppose que le présent existe, ou qu’il s’agit d’une notion dotée d’une signification.

Or rien n’est moins sûr. Le caractère évanescent du présent, la nature fugace de chaque instant, qui disparaît, à peine apparu, pour laisser place à l’instant suivant, amène à douter de la réalité même du présent. Un doute qu’on peut étendre à l’ensemble du temps, puisque chacune de ses parties semble relever plus du néant que de l’être.

C’est là un paradoxe que n’a pas manqué de relever Aristote dans la Physique :


Voici quelques raisons qu'on pourrait alléguer pour prouver que le temps n'existe pas du tout, ou que s'il existe c'est d'une façon à peine sensible et très obscure.

Ainsi, l'une des deux parties du temps a été et n'est plus; l'autre partie doit être et n'est pas encore. C'est pourtant de ces éléments que se composent et le temps infini et le temps qu'on doit compter dans une succession perpétuelle.

Or, ce qui est composé d'éléments qui ne sont pas, semble ne jamais pouvoir être regardé comme possédant une existence véritable.

Ajoutez que, pour tout objet divisible, il faut de toute nécessité, puisqu'il est divisible, que, quand cet objet existe, quelques-unes de ses parties ou même toutes ses parties existent aussi. Or, pour le temps, bien qu'il soit divisible, certaines parties ont été, d'autres seront, mais aucune n'est réellement.


Supposons même que le présent soit une réalité, que l’idée d’ « instant présent » soit une notion qui ait un sens. Cela ne change rien : il est impossible de profiter de cette réalité évanescente.

Essayer de saisir l’instant présent, c’est comme essayer de figer le temps. C’est impossible. Certes, le poète Lamartine exhorte : « O Temps, suspends ton vol ! », pour savourer le moment passé dans une barque avec sa bien-aimée. Mais voici le philosophe qui demande : Combien de temps le temps va-t-il suspendre son vol ? (Alain, Eléments de philosophie).


On le voit : les difficultés sont nombreuses, pour « cueillir la rose du jour ». Le sage en avait-il conscience, lorsqu’il nous a délivré son précepte de sagesse ?

Pourtant, ne peut-on supposer que dans des circonstances exceptionnelles, ou à la suite d’un travail intérieur particulier, on puisse accomplir l’impensable, à savoir vivre le moment présent ?

Vivre le moment présent : une expérience rare – Pascal

Dans le premier moment de notre analyse, nous avons parlé du temps objectif, celui qui est mesuré par les chronomètres. Le présent en ce sens-là, est un moment du temps infinitésimal, sans cesse évanescent, qui ne peut être vécu conformément au conseil du sage.

Mais si l’on prend le temps au sens de la durée vécue, le temps subjectif tel qu’il apparaît à chaque homme, alors le présent prend tout son sens. En effet la durée vécue, subjectivement est différente pour chaque homme. Pour les uns, qui s’amusent, un intervalle de temps paraîtra se dérouler très vite. Pour d’autres, qui s’ennuient, cela paraîtra passer lentement.


En ce sens-là, le présent est infiniment extensible : il peut durer des heures. Le moment présent n’est pas cette seconde, qui s’enfuit déjà, mais une période beaucoup plus longue qui peut s’étirer sur plusieurs heures, tant qu’elle est vécue au présent par la conscience.

Et la conscience vit au présent une longue période de temps quand elle est heureuse.

Vivre au présent serait de ce fait profiter de ces périodes où le temps semble s’arrêter, où l’on n’a plus conscience du temps qui passe.

Cette expérience, très rare, ne surgirait que dans des circonstances privilégiées : celles où l’on se sent bien, où l’on n’a plus besoin de rien, où l’on n’est plus tenaillé par les souvenirs du passé ou l’angoisse de ce qui nous attend dans l’avenir.


C’est en effet la crainte du passé ou de l’avenir qui nous empêche de vivre au moment présent. C’est le constat que dresse Pascal dans ses Pensées :


Nous ne nous tenons jamais au moment présent.

Nous rappelons le passé; nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient […].

C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. [...]

Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais.


Devenir sage et cueillir la rose du jour, ce serait faire un travail sur soi pour échapper à l’agitation de la vie quotidienne, cesser ainsi de se laisser happer par le passé et l’avenir, et profiter du moment présent.

De ce fait, cette expérience serait rare, et ne serait accessible qu’au sage, à la suite d’un long travail de méditation intérieure.


Telle est l’expérience que nous décrit Rousseau dans les Rêveries du promeneur solitaire.

Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir.

Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.

Conclusion

On le voit : dans des circonstances privilégiées, le sage peut vivre au présent. Il s’agit pour lui d’éviter deux écueils : penser qu’il s’agit là du temps objectif, quand il s’agit plutôt de modifier son rapport au temps subjectif, celui que nous vivons intimement, et se laisser happer par les regrets, du passé, ou la crainte, de l’avenir.

Parvenir à vivre l’instant présent, c’est se rassembler en soi, dispersé que nous sommes entre passé, présent et futur, et c’est vivre, pleinement, puisque la réalité concrète de l’existence ne consiste que dans le moment présent : le passé et le futur ne relevant finalement que du rêve.

Vivre l’instant présent, c’est donc à la fois retrouver son Moi et la Vie elle-même. Un privilège qui n’est accessible qu’au Sage.