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Tableau Allégorie de la justice de Gaetano Gandolfi

Notion : la justice

La politique

Ce cours sur la justice et le droit vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : l'idée de désobéissance civile, pourquoi la loi libère l'homme pour Rousseau, les lois non écrites d'Antigone...



Sujet possible : Peut-il être raisonnable de désobéir aux lois ?


La loi se présente sous la forme d’une obligation, une contrainte, un impératif, dont la violation entraîne des sanctions. Il semble donc que le respect des lois soit le premier devoir exigé de nous par la société.

De ce fait, il ne semble pas raisonnable de désobéir aux lois : la société, dont la puissance me dépasse infiniment puisque je ne suis qu’une petite partie de ce Tout, me punira. Cela va donc contre mon intérêt de désobéir, et j’en suis conscient. Ce serait donc chercher de manière délibérée mon propre malheur que de refuser d’obéir aux lois, ce qui est un comportement déraisonnable.

Néanmoins, désobéir aux lois n’est-il pas lui-même un devoir dans certains cas ? N’y a-t-il pas des lois injustes ? Si c’est le cas, alors le comportement le plus raisonnable n’est-il pas la désobéissance civile ?

On peut donc se poser la question : dans certaines circonstances, le comportement le plus raisonnable n’est-il pas de refuser de suivre la loi ?

La loi libère l’homme : Rousseau

Qu’est-ce qui finalement, vient fonder la légitimité de la loi ? Qu’est-ce qui fait que l’on doit la respecter ?

Il ne s’agit pas de la simple force de contrainte que la société peut exercer sur nous, en cas de désobéissance (prison, etc.). Sinon, la loi ne serait qu’une force parmi d’autres, analogue à celle qu’un criminel peut exercer sur moi lorsqu’il me tient en son pouvoir.

Ce qui vient fonder la nécessité de mon obéissance, c’est que la loi est faite dans le souci de mon propre intérêt. Loin de me contraindre et de m’asservir, la loi me libère et établit les conditions de mon propre bonheur. En effet, je ne peux être heureux que si je coexiste pacifiquement avec les autres membres de la société. La loi est ce qui vient organiser ces relations, les dépouille de toute violence, de toute possibilité d’atteinte à ma personne, physique ou morale.


La loi me protège contre les agressions, le viol, le vol, le meurtre, le harcèlement moral, bref l’ensemble des comportements de mes semblables qui peuvent me nuire.

Loin d’être la simple expression de la force d’un Tout qui me dépasse et m’écrase, la société, elle me protège contre celle-ci et en premier lieu contre la force de celui qui se trouve à la tête de celle-ci, le souverain. Grâce à la loi, plus d’arbitraire : fini le temps des lettres de cachet, où je pouvais être jeté en prison sur une simple décision du roi, ne se fondant que sur son « bon plaisir ».

La loi instaure un cadre rationnel où je ne peux être mis en prison qu’à certaines conditions, à la suite de certains comportements, pendant un certain temps. La loi fixe l’ensemble de ces facteurs.

La loi libère l’homme, ce que Rousseau montre dans les Lettres écrites de la montagne :


Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois ; dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous.
Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des
lois : ils en sont les ministres, non les arbitres, ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi.
En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.


On le voit : la loi est libératrice. Agir de manière illégale revient toujours à faire courir un danger, à nous ou à autrui. On viole la loi souvent par ignorance, parce qu’on en connaît pas quelles conséquences auront nos actions. On voit donc qu’il serait déraisonnable de désobéir aux lois, puisqu’un tel comportement relève souvent de l’ignorance.

Néanmoins, n’y a-t-il pas certains cas où la loi a été mal déterminée par le législateur ? N’y a-t-il pas des lois injustes ? Auquel cas, on peut imaginer que la désobéissance aux lois relève d’une rationalité supérieure. Telle est l’idée que nous devons à présent examiner.

Il y a des lois injustes : Antigone

Parce que le législateur n’est qu’un être humain, il est faillible et peut se tromper dans l’élaboration de la loi. Certaines lois sont inadaptées à une situation, à l’état économique d’un pays, ou à l’esprit du temps.

On connaît l’exemple de lois absurdes : ainsi par exemple, il est illégal de mourir dans les locaux du gouvernement britannique ; il est obligatoire de pratiquer deux heures de tir à l’arc par jour lorsqu’on a plus de 14 ans en Angleterre.

Ces lois d’un autre temps n’ont jamais été abrogées, et ne sont plus respectées par personne. Il ne serait pas raisonnable de les suivre.

Certaines lois sont foncièrement injustes, parce qu’elles ont été prises par un gouvernement tyrannique ou pour lequel la notion de morale n’a aucune signification. Ainsi les lois raciales prises par les nazis, interdisant aux juifs certains métiers ou de se marier à des non-juifs sont injustes. Dans ce cas-là, c’est une obligation morale que d’y désobéir.

Confondre la justice et les lois constituant le droit positif (les lois en vigueur dans un pays donné, de fait), revient à confondre le droit et le fait.

L’exemple le plus célèbre de loi injuste est donné dans Antigone, la pièce de Sophocle.

Créon, le roi de Thèbes, a fait mettre à mort Polynice, le frère d’Antigone, et interdit à quiconque d’enterrer son cadavre, le laissant à l’air libre. Antigone désobéit à cet ordre, arguant qu’il y a des lois non écrites, dépassant le simple droit positif. On ne peut laisser son frère sans sépulture, c’est là une loi qui transcende toute loi édictée par un gouvernement.


CRÉON : Connaissais-tu la défense que j'avais fait proclamer ?

ANTIGONE : Oui, je la connaissais ; pouvais-je l’ignorer ? Elle était des plus claires. CRÉON : Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?

ANTIGONE : Oui, car ce n'est pas Zeus qui l'avait proclamée ! Ce n'est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu'ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d'autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d'aujourd'hui ni d'hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m'exposer à leur vengeance chez les dieux ?
Que je dusse mourir, ne le savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n'aurais rien défendu. Mais mourir avant l'heure, je le dis bien haut, pour moi, c'est tout profit : lorsqu'on vit comme moi, au milieu des malheurs sans nombre, comment ne pas trouver de profit à mourir ? Subir la mort, pour moi n'est pas une souffrance. C'en eût été une, au contraire, si j'avais toléré que le corps d'un fils de ma mère n'eût pas, après sa mort, obtenu un tombeau. De cela, oui, j'eusse souffert ; de ceci je ne souffre pas.
Je te parais sans doute agir comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite de folle.


Antigone sera mise à mort.


On le voit : si la loi est libératrice, il peut arriver que certaines lois, absurdes ou injustes, soient combattues. Mais si chacun remet en cause telle ou telle loi, ne court-on pas le risque inévitablement, de parvenir à une guerre civile ?

Désobéir aux lois : le danger du chaos

Si l’on admet que la loi peut être contestée, on donne à la subjectivité de chacun un pouvoir exorbitant. Chacun décidera, en son for intérieur, quelles lois il respectera, et celles qu’il enfreindra.

Or aucune société ne peut résister à ces conditions. La subjectivité individuelle ne peut fonder aucune vie en collectivité harmonieuse, puisqu’il existe une si grande divergence d’opinions politiques.

La loi est précisément ce qui prétend dépasser les différences individuelles pour fonder un socle commun.

C’est ce que remarque Platon dans Le Politique (même si c’est en apparence, pour le déplorer) :

Jamais la loi ne pourra, en embrassant exactement ce qui est le meilleur et le plus juste pour tous, ordonner ce qui est le plus parfait ; car les dissimilitudes et des hommes et des actes et le fait que presque aucune chose humaine n'est jamais en repos ne permettent d'énoncer rien d'absolu valant pour tous les cas et pour tous les temps, dans aucune matière et par aucune science […] Or, nous voyons que c'est à cela même que la loi veut parvenir, comme un homme arrogant et ignare qui ne permettrait à personne de rien faire contre ses ordres ni de lui poser des questions, ni même, si quelque chose de nouveau survenait, de faire mieux en dehors des règles qu'il a prescrite.

Est-ce là le comportement d’un homme « arrogant et ignare », ou au contraire le signe d’une profonde sagesse ? Quelle est la finalité de la loi, sinon mettre en œuvre les conditions de la coexistence pacifique des hommes à l’intérieur d’une société ? Que serait une société en guerre civile en permanence ?

Il faut donc éviter de donner à la subjectivité individuelle un tel pouvoir. On peut même utiliser pour cela la ruse, comme le conseille Pascal, dans les Pensées :

Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire en même temps qu'il y faut obéir aux supérieurs, non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs. Par là, voilà toute sédition prévenue si on peut faire entendre cela et ce que c'est proprement que la définition de la justice.

Il ne faut pas laisser un pouvoir de désobéissance civile à chaque individu, parce que c’est dangereux, mais aussi parce que c’est injuste. En effet, en démocratie, la loi n’est pas la décision arbitraire d’un chef cruel, mais l’expression de la volonté du peuple souverain. Les représentants du peuple qui ont voté la loi en question (les députés ou les sénateurs) ont été démocratiquement élus, et ont donc un pouvoir légitime (ce qui n’est pas le cas de l’individu qui prétend désobéir).

C’est là une idée défendue par Hobbes dans Le Léviathan :

Par bonne loi, je n'entends pas une loi juste, car aucune loi ne peut être injuste. La loi est faite par la puissance souveraine, et tout ce qui est fait par cette puissance l'est par un mandat de chaque individu du peuple et lui appartient ; or, rien de ce que tout le monde obtient ainsi ne peut être dit injuste. Il en est des lois de l'État comme des lois du jeu : ce sur quoi les joueurs agréent n'est injuste pour aucun d'entre eux. Une bonne loi est celle qui est nécessaire au bien du peuple et claire.

Hobbes a vécu de près les horreurs de la guerre civile anglaise, et sait quels dangers menacent une société quand l’Etat n’est pas assez fort, et qu’il est contesté de toute part.

Conclusion

On le voit : il n’est pas raisonnable de désobéir aux lois dans une société démocratique, parce que ce serait à la fois injuste et dangereux. Néanmoins, c’est au contraire un devoir de désobéir dans un Etat totalitaire ou despotique. Et dans une démocratie, on a tout loisir, si l’on veut que la loi soit plus conforme à notre conception de la justice, d’aller voter.