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Image du film les Temps modernes de Chaplin

Notion : le travail

La culture

Ce cours sur le travail vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : les leçons de Candide, le conte philosophique de Voltaire, la division du travail, l'exemple de la manufacture d'épingles d'Adam Smith...



Sujet possible : L’homme se libère-t-il en travaillant ?


C’est par le travail que l’homme s’est peu à peu libéré des contraintes naturelles, modifiant son milieu, arrêtant de subir les lois d’une nature hostile pour créer les siennes propres : celle d’une culture dans lequel il s’épanouit.

Néanmoins, on peut se demander si le travail n’a pas remplacé une oppression par une autre : chacun a ressenti la fatigue physique liée aux études ou à l'exercice d'un métier, pour s’insérer dans le jeu complexe de la société. Certains sont même brisés par leur travail, et la somme d’efforts qu’il demande.

Peut-on donc dire que le travail a amélioré la condition de l’homme, ou est-il l’outil d’un asservissement d’un genre nouveau ?

Le travail libère l’homme : Voltaire

Rome ne s’est pas faite en un jour dit-on. C’est là une ode au travail : toutes les grandes réalisations de l’esprit humain, qu’il s’agisse des splendeurs architecturales ou artistiques, des découvertes scientifiques, ou encore de la prospérité économique d’une société (agriculture, grandes entreprises, etc) sont le fruit d’un long travail, solitaire ou collectif.

Un symbole particulièrement significatif est celui des pyramides. Du haut de ces pyramides, ce ne sont pas seulement « quarante siècles qui nous contemplent », pour reprendre le célèbre mot de Napoléon. Ces montagnes colossales de pierre représentent aussi le travail de dizaines de milliers d’hommes, taillant, tirant et mettant en place ces lourds blocs de pierre. C’est peut-être cela qui nous saisit lorsqu’on contemple les pyramides : on devine la somme de travail qu’il a fallu accomplir pour les édifier.

Le travail est donc ce par quoi l’homme a édifié tout ce qui a quelque valeur. Il a donc nécessairement par lui-même une grande valeur, puisqu’il est créateur de valeur.


Il confère même sa valeur au travailleur, en l’améliorant d’un point de vue moral. C’est ce qu’a remarqué Voltaire, dans son ouvrage Candide. Le héros rencontre un turc qui lui montre sa propriété, et précise qu’il cultive ses terres avec ses enfants, puisque le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin.


On le voit, d’un point de vue moral, le travail exerce un effet salutaire. Chacun connaît la « saine fatigue du travail accompli ». C’est lorsqu’on est désoeuvré qu’on est tenté de mal agir, de nuire à autrui.

Cette idée, qui apparaît un peu comme la morale du conte philosophique de Candide, éveille l’intérêt du héros, qui achète une petite propriété, et confie à Pangloss :

Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin.

Ici, Voltaire montre que l’on a tous un potentiel, un don, un talent (un « jardin » à cultiver), et qu’il est dommage de ne pas en profiter, en travaillant sur celui-ci, pour en faire pleinement usage. Cultiver notre jardin, cela signifie : travailler pour nous déployer complètement dans ce que nous sommes, nous construire en tant qu’homme, et mettre au jour la valeur qui se cache au fond de nous.

Enfin, le travail permet d’échapper au nihilisme : les questions philosophiques dangereuses, de type « à quoi bon ? » n’effleurent pas le travailleur, parce qu’il a un cadre de vie réglé, des repères, et sait pourquoi il se lève le matin.

C’est pourquoi Martin, un des personnages de Candide conclue : Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c'est le seul moyen de rendre la vie supportable.


Néanmoins, on peut se demander si le travail, tel qu’il est décrit par Voltaire correspond à la réalité du travail de la société contemporaine. « Cultiver un jardin » semble un travail bien idyllique, par rapport au travail à la chaîne ou au travail de nuit que l’on peut rencontrer dans certains secteurs, ou dans certains pays.

Ce type de travail ne correspond plus au modèle voltairien, semble-t-il : au lieu de nous aider à profiter de notre potentiel, et à nous construire en tant qu’homme, il semble que ce travail d’un genre nouveau n’ait d’autre effet que de briser l’homme qui l’effectue. Est-ce le cas ?

Le travail représente un nouveau genre d’asservissement – Adam Smith

Une certaine organisation du travail s’est en effet mise en place dans nos sociétés modernes, que Voltaire ne pouvait donc connaître : la division du travail. Celle-ci change radicalement la nature du travail, à tel point qu’il nous faut repenser la nature libératrice du travail.

Celle-ci est conceptualisée dès le 18ème siècle par Adam Smith dans les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Il remarque que le travail est plus efficace et les ouvriers plus productifs lorsqu’on répartit les tâches de manière à ce que chaque travailleur n’ait qu’une chose à faire (au lieu de lui confier toute la chaîne de la fabrication sur un seul produit).


Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite importance, mais où la division du travail s'est fait souvent remarquer : une manufacture d'épingles.

Un homme qui ne serait pas façonné à ce genre d'ouvrage, dont la division du travail a fait un métier particulier [...] quelque adroit qu'il fût, pourrait peut-être à peine faire une épingle dans toute sa journée, et certainement il n'en ferait pas une vingtaine.

Mais de la manière dont cette industrie est maintenant conduite, non seulement l'ouvrage entier forme un métier particulier, mais même cet ouvrage est divisé en un grand nombre de branches, dont la plupart constituent autant de métiers particuliers.

Un ouvrier lire le fil à la bobille, un autre le dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l'objet de deux ou trois opérations séparées : la frapper est une besogne particulière; blanchir les épingles en est une autre ; [...] enfin l'important travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations distinctes.

[…] Ainsi ces dix ouvriers pouvaient faire entre eux plus de quarante-huit milliers d'épingles dans une journée.

[…] La division du travail, aussi loin qu'elle peut y être portée, donne lieu à un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail


Si cette organisation du travail le rend plus efficace, l’existence concrète de l’ouvrier est radicalement transformée. Il ne fait plus qu’une seule opération dans toute sa vie : le travail devient abrutissant, mécanique : l’ouvrier ressemble à une machine, ainsi que Charlie Chaplin l’a montré dans les Temps modernes (voir extrait).


Dans ces conditions, le travail ne libère pas : quoi de moins libre qu’une machine, ou qu’un robot ? Pourtant, la modernité n’a-t-elle pas créé son propre antidote à cette situation ? Le progrès technique n’a-t-il pas libéré le travailleur des tâches les plus abrutissantes, en les confiant à des machines ? La technique n’est-elle pas la clé de la liberté du travailleur ? Telle est l’hypothèse que nous allons maintenant examiner.

La technique libératrice

Lorsqu’on exécute une tâche répétitive et laborieuse, on se prend parfois à rêver qu’une machine ou un logiciel soit conçu pour nous remplacer, afin de nous permettre de nous livrer à des activités plus intéressantes.

C’est là un rêve que fait déjà Aristote dans Les Politiques :

S'il était possible à chaque instrument parce qu'il en aurait reçu l'ordre ou par simple pressentiment de mener à bien son œuvre propre, comme on le dit des statues de Dédale ou des trépieds d'Héphaïstos qui, selon le poète, entraient d'eux-mêmes dans l'assemblée des dieux, si, de même, les navettes tissaient d'elles-mêmes et les plectres jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n'auraient pas besoin d'exécutants ni les maîtres d'esclaves.

Le rôle de la technique nous apparaît donc : il s’agit de libérer l’homme, en l’assistant dans les travaux les plus ingrats. Un bras mécanique, convenablement programmé, sera toujours plus rapide que les bras de cent hommes.

Ce caractère libérateur apparaît dès l’origine, dès la première invention, à savoir dès la découverte du feu. Le feu est la première technique que met l’homme en œuvre, pour se réchauffer, cuire la viande, ou fondre les métaux. Elle ouvre la voie à toutes les autres techniques.

Dans le célèbre mythe de Prométhée, Platon raconte comment cette technique a été volée aux Dieux :

C'était au temps où les Dieux existaient, mais où n'existaient pas les races mortelles. Or, quand est arrivé pour celles-ci le temps où la destinée les appelait aussi à l'existence, à ce moment les Dieux lesmodèlent en dedans de la terre, en faisant un mélange de terre, de feu et de tout ce qui encore peut se combiner avec le feu et la terre. Puis, quand ils voulurent les produire à la lumière, ils prescrivirent à Prométhée et à Epiméthée de les doter de qualités, en distribuant ces qualités à chacune de la façon convenable. Mais Epiméthée demande alors à Prométhée de lui laisser faire tout seul cette distribution […].

En distribuant les qualités, il donnait à certaines races la force sans la vélocité ; d'autres, étant plus faibles étaient par lui dotées de vélocité ; il armait les unes, et, pour celles auxquelles il donnait une nature désarmée, il imaginait en vue de leur sauvegarde quelque autre qualité : aux races, en effet, qu'il habillait en petite taille, c'était une fuite ailée ou un habitat souterrain qu'il distribuait ; celles dont il avait grandi la taille, c'était par cela même aussi qu'il les sauvegardait. De même, en tout, la distribution consistait de sa part à égaliser les chances, et, dans tout ce qu'il imaginait, il prenait ses précautions pour éviter qu'aucune race ne s'éteignit. […]

Mais, comme (chacun sait cela) Epiméthée n'était pas extrêmement avisé, il ne se rendit pas compte que, après avoir ainsi gaspillé le trésor des qualités au profit des êtres privés de raison, il lui restait encore la race humaine qui n'était point dotée ; et il était embarrassé de savoir qu'en faire. Or, tandis qu'il est dans cet embarras, arrive Prométhée pour contrôler la distribution ; il voit les autres animaux convenablement pourvus sous tous les rapports, tandis que l'homme est tout nu, pas chaussé, dénué de couvertures, désarmé. […] Alors Prométhée, en proie à l'embarras de savoir quel moyen il trouverait pour sauvegarder l'homme, dérobe à Héphaïstos et à Athéna le génie créateur des arts, en dérobant le feu (car, sans le feu, il n'y aurait moyen pour personne d'acquérir ce génie ou de l'utiliser) ; et c'est en procédant ainsi qu'il fait à l'homme son cadeau. Voilà donc comment l'homme acquit l'intelligence qui s'applique aux besoins de la vie (Protagoras).

Si cette technique a été volée aux Dieux par les hommes, c’est qu’elle a une origine divine, et qu’il s’agit d’un véritable trésor. Le responsable, Prométhée, sera d’ailleurs châtié par les Dieux, condamné aux pires souffrances. Tout cela montre la valeur du feu, et plus généralement, de la technique en général. C’est par celle-ci que l’homme se hisse peu à peu au rang de Dieu, et devient comme le dit Descartes maître et possesseur de la Nature.

Conclusion

On peut dire que l’homme en travaillant est soumis à un double phénomène : le travail le brise, le fatigue, l’abrutit, surtout lorsqu’il est organisé d’une certaine manière, selon les principes de la division du travail, dans une recherche de la rentabilité maximum. De l’autre, il se libère peu à peu grâce au progrès technique, qui lui permet de confier les tâches les plus répétitives aux machines.

Est-ce là un jeu à somme nulle ? L’homme se libèrera-t-il un jour définitivement des travaux les plus pénibles ? C’est là tout l’enjeu du progrès technique.