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photo de Christian Godin

Christian Godin

Paris

Nous découvrons ici le parcours de Christian Godin, philosophe, professeur agrégé de philosophie à la retraite, et auteur de nombreux ouvrages...

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?

Je suis un ancien enseignant de philosophie, à la retraite depuis trois ans, après avoir enseigné une vingtaine d’années en lycée et autant à l’université.

Mais, pour un philosophe, la continuité l’emporte de beaucoup sur la rupture - laquelle concerne davantage les professeurs de philosophie qui, en dehors de leurs cours, ne donnent pas de conférences, ne participent pas à des séminaires ou à des colloques, et n’écrivent pas.

Je poursuis donc mon activité de conférencier et de rédacteur d’essais et d’articles philosophiques. Par ailleurs, je suis depuis une douzaine d’années rédacteur en chef de la revue Cités, publiée par les Puf et dirigée par Yves Charles Zarka.

Quels souvenirs gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Je n’ai pas l’impression d’avoir été jamais ce que l’on appelle communément un « bon élève », même s’il m’est arrivé d’avoir des bonnes notes et de remporter des prix. Inversement, j’ai le sentiment (peut-être inspiré par un orgueil indu) d’avoir été plutôt un autodidacte.

Mon premier contact avec l’école fut traumatisante car j’avais appris à lire et à écrire à la maison, ma mère fut ma première institutrice mais je ne fus, à cause de cela même, nullement préparé à la violence exercée de manière plus ou moins spontanée par les enfants dans les salles de classe et les cours de récréation.

Les deux matières dans lesquelles j’ai pendant quelques années damé le pion à mes camarades de classe furent la gymnastique (on ne parlait pas encore, en 1960, d’éducation physique) et les mathématiques, simplement parce que j’étais plus grand qu’eux d’une tête et assez agile en calcul mental.

Les matières ne m’intéressaient que médiocrement, l’idée même de programme m’horripilait. Aussi, à partir de la classe de quatrième ou de troisième, je préférais me plonger, seul dans ma chambre, dans la lecture des dictionnaires et des encyclopédies, ce qui, à l’évidence, fut la source didactique de mon travail ultérieur sur l’idée de totalité et de mon Encyclopédie conceptuelle et thématique de la philosophie.

Quant à mes professeurs, j’ai compris, rétrospectivement, beaucoup plus tard, qu’ils étaient pour la plupart davantage de grands névrosés que des maîtres de l’enseignement ou des spécialistes d’une discipline. Je fais toutefois exception pour un professeur de lettres classiques, que j’ai eu pendant deux ou trois ans, en français, en latin et en grec, et qui était si brillant qu’il confinait au génie. Plus tard j’ai su (un élève ou un étudiant ne s’interroge jamais sur le passé de son professeur) que cet homme remarquable, qui nous incitait à traduire Homère en vers assonants, qui nous rendait sensibles au drame de Polyeucte, et qui, avant la classe de terminale, nous faisait comprendre, grâce au Banquet de Platon, que la philosophie pouvait être de la plus haute poésie, que ce même homme, Claude Jamet, avait somme toute vécu la belle vie durant l’Occupation, et prêté sa plume au journal collaborationniste de son camarade de classe préparatoire et de l’École normale, Robert Brasillach.

Durant les trois années de classes préparatoires que j’ai vécues au lycée Louis-le-Grand, je n’ai rencontré aucun maître, non pas qu’ils fussent tous mauvais (les femmes que l’on n’aime pas ne sont pas toutes laides), simplement ce qu’ils disaient me paraissait très en deçà de ce que je lisais, sur mon lit, de Platon, de Kant, de Hegel et de Nietzsche.

Ces années de classes préparatoires n’ont pas été pour moi très heureuses. Certains enseignants, en français et en grec, étaient médiocres, pour ne pas dire grotesques. Mes résultats, aussi, étaient médiocres. Reçu au baccalauréat avec une petite mention assez bien (mon 11 en philosophie m’ayant empêché d’accéder au « bien »), mes études supérieures ont été surtout vécues sur le mode de l’échec : deux échecs au concours d’entrée de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, trois échecs à l’agrégation, avant une quatrième tentative, qui fut la bonne. Il y eut par la suite bien d’autres déconvenues, que mon orgueil interprétait davantage comme le symptôme de l’insuffisance de mes juges plutôt que comme celui de mes propres faiblesses.

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L’auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

En classe de troisième, un camarade, qui était un vrai génie, m’avait prêté Ainsi parlait Zarathoustra, en Livre de poche, qui l’avait enthousiasmé. Je lus le livre durant les vacances de Pâques, je fis l’effort de le lire en son entier, par esprit d’émulation, mais je n’y entendis presque rien. Plus d’un demi-siècle plus tard, cet épisode me fait dire que dans une formation intellectuelle un camarade peut être beaucoup plus important qu’un maître.

La traduction du Banquet, en classe de grec, en seconde ou en première, fut la deuxième rencontre décisive avec la philosophie. Cette fois, j’eus l’impression de comprendre.

Le troisième événement décisif fut la lecture de la Critique de la raison pure durant l’été qui suivit la classe de terminale. Je me souviens avoir compris l’Esthétique transcendantale et l’idée de condition a priori de l’expérience dans le car que je pris pour rejoindre la côte du Calvados à partir de Caen, et cette rencontre avec la plus haute pensée fut pour moi aussi enthousiasmante que les rencontres amoureuses ou les rencontres en matière d’art.

Après le baccalauréat, Hegel fut le philosophe avec lequel je me sentis le plus en connivence. La triade Idée/Nature/Esprit me sembla donner la clé à la fois du réel et de la pensée. Hegel me convainquit que la philosophie ne pouvait être définie autrement que comme une pensée du monde.

C’est Nietzsche qui, après la bravade de la lecture solitaire et sans appui d’Ainsi parlait Zarathoustra, et que je compris peu à peu en prenant connaissance de son œuvre complète, m’épargna le ridicule d’être « hégélien ». Prenez garde à n’être pas écrasé par une statue, prévenait l’auteur de Par-delà le bien et le mal.

Pourriez-vous nous parler de vos créations ? Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

Un philosophe reste un étudiant. Il doit passer des épreuves orales : ce sont ses cours, ses séminaires, ses conférences. Et puis des épreuves écrites : des articles, des livres.

La pensée est rapidement arrêtée par la parole. On le voit à la rareté des grands philosophes qui ont su être également de grands improvisateurs (les Jankélévitch se sont beaucoup moins courants que les Derrida). L’écriture fait penser au-delà de ce que croyait penser celui qui s’y adonne.

Et puis l’écriture ne fait pas que tuer la mémoire, comme le croyait Platon, elle l’incarne.

Je me suis exercé à des genres divers (académiques, propédeutiques, grand public) et ai toujours mené de front plusieurs projets. J’espère avoir le temps de mener à bien une trilogie consacrée à l’identité (que sommes-nous devenus ?), à la justice mondiale et à l’environnement.



Merci Christian, pour ce témoignage !

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