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photo d'Isabelle Daudet

Isabelle Daudet

Paris

Nous découvrons ici le parcours d'Isabelle Daudet, professeure agrégée de philosophie, enseignant à Paris.

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ?

Isabelle Daudet, j’enseigne la philosophie.

D’abord institutrice dans le Marais. Et puis professeur de collège dans toutes les matières. On sortait de Mai 68. L’heure était aux furieuses expérimentations pédagogiques.

Ensuite professeur de lettres classiques puis de philosophie, en lycée et dans le supérieur, 

A la Catho de Lille, au CEPHI… même pour l’armée. Je me demande parfois si je ne suis pas le professeur le plus polyvalent du pays. Ce qui n’est en rien une garantie d’excellence d’ailleurs.

Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Je garde un formidable souvenir de mes études. Un profil indiscipliné et irritant mais j’ai aimé apprendre, comprendre, quand un professeur en donnait la possibilité et l’envie.

J’ai voulu devenir, dans cet ordre, carmélite, archéologue et révolutionnaire. Mais en terminale j’ai découvert la philosophie avec Françoise Caujolle. Il ne fut plus jamais question d’autre chose pour moi, malgré les détours et les obstacles.

Ensuite la prépa avec un professeur de philosophie dont je n’ai rien appris faute d’avoir jamais compris une seule de ses phrases. Au fond de la classe je jouais aux échecs ou je lisais Nietzsche.

Ce fut mai 68. J’ai fêté mes 18 ans en regardant s’élever les barricades. Le lycée Fénelon était transformé en centre infirmier, je n’allais plus qu’à la Sorbonne où quelques valeureux s’obstinaient. Jean Wahl venait à pied de sa banlieue pour nous faire cours.

Dans les amphis régnait surtout le politiquement correct de nos apprentis révolutionnaires. Je me sentais de plus en plus un philosophe dégagé.

Je garde le souvenir d’un petit matin dans la cour de la Sorbonne. Un feu fumerolait. Un étudiant hirsute jouait sur un piano à queue en chantant doucement.

Le soleil se levait sur un gâchis souriant, crasseux, assez inutile et infiniment poétique.


Les études ont repris. Maîtrise avec Marcel Conche, l’épicurien de Corrèze. Belle rencontre avec le matérialisme antique et avec cet homme exigeant et ironique. Rares sont les professeurs à être des maîtres. Monsieur Conche est de ceux-là.

Mais la vie de famille, mariage et enfants, avait tout envahi. J’ai raté les concours haut la main.

J’ai poursuivi malgré tout, avec un DEA de philosophie politique et en enseignant dans le privé.

Et puis enfin l’agrégation, et dans la foulée dix ans dans un des pires lycée de Seine Saint Denis, à Sevran.

J’avais toujours vécu au Quartier Latin, j’ignorais jusqu’à  l’existence de la banlieue. Le choc fut rude. J’avais lu le Coran et fait un an d’arabe aux langues orientales. Ca m’a été plus utile que les catégories kantiennes.

Nous nous sommes ajustés, mes élèves et moi, et de bonnes choses se sont faites mais dans un quotidien indescriptible de violence que tous, institutions et médias, taisaient.

J’ai appris, sur le terrain, qu’une certaine idée du droit et de la démocratie avait sombré et que le pays l’ignorait encore.

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionnée ?

Le premier, en tout cas, a été le Gai Savoir. J’y ai appris la liberté de penser. Et une certaine radicalité de la pensée. Une pensée qui ne décrit pas la réalité mais la fait advenir.

Une mention particulière pour le livre lambda de la Métaphysique d’Aristote. Un être humain qui se pose la question de Dieu, de l’extérieur en quelque sorte, soit. Mais qu’un philosophe rentre dans la pensée divine en se demandant qui est Dieu réellement, ce qu’il pense, et même de quoi est fait son bonheur. C’est fabuleux.

L’auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

J’ai eu un coup de foudre pour Nietzsche parce qu’il m’a appris la profondeur. Il va toujours au plus loin sans qu’aucune convention ne l’arrête. 

Nietzsche sait où il va et qu’il faut qu’il y aille, quel qu’en soit le prix. Quand il pense la mort de Dieu, il pense le ciel vide et la transcendance à réinventer. L’exigence est là.

Il est à lui seul une école de liberté qui renvoie chacun à être lui-même. Quoi qu’il en coûte.

Avez-vous déjà essayé d’écrire ? Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

J’ai pu écrire un article ici ou là mais j’entasse surtout de petits textes. Je ne sais pas si je ferai un jour quelque chose de tout ça.

Depuis quelques années je travaille sur la mort. Je suis certaine que ce problème est mal posé. J’aimerais aboutir à quelque chose.

Je creuse plusieurs questions d’esthétique puisque je suis aussi professeur d’Histoire des Arts. 

L’aventure du CEPHI

J’ai connu le père Marie Dominique Philippe au cours d’un stage de philosophie en montagne (on pense mieux sur les cimes, Nietzsche l’a dit).

C’était un grand intellectuel avec le sourire d’un enfant.

J’ai repris à sa demande la direction du CEPHI qui assurait un double cursus avec Paris IV. 

Nous y avons  créé des cours du soir  tout public très suivis et ouverts.

Je garde un souvenir heureux de cette période. 

Que faites-vous actuellement ?

Je prépare ma 49ème et dernière rentrée, au lycée Maurice Ravel à Paris. En juin il faudra faire mon dernier cours, effacer mon dernier tableau. Ce jour-là je serai sans doute vénère comme Lucifer, comme disent mes élèves. Et puis j’avancerai.



Merci Isabelle, pour ce témoignage !

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