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photo de Jean-Claude Vuillemin

Jean-Claude Vuillemin

Paris

Nous découvrons ici le parcours de Jean-Claude Vuillemin, professeur à l'université de l'Etat de Pennsylvanie et critique littéraire...

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?

Associé à plusieurs centres de recherche en France, et professeur étranger invité (U. Sorbonne, Paris-1; U. Lumière, Lyon-2), je suis Liberal Arts Research Professor of French Literature dans le Département d’études françaises et francophones de la Pennsylvania State University, sise entre Philadelphia, à l’Est, et Pittsburgh, à l’Ouest.

Outre un séminaire ce semestre sur « L’écriture de soi : Montaigne et la philo-selfie », j’enseigne régulièrement des cours sur la « French Theory », l’épistémè baroque, et sur la « Pensée Foucault ». J’occupe aussi pour l’instant la fonction administrative de Director of Graduate Studies, i. e. je suis chargé des études de 3e cycle menant à la maîtrise (MA) et au doctorat (Ph.D.).

Je profite de l’occasion pour inviter des étudiant·e·s motivé·e·s et désirant s’engager dans un cursus post-licence à faire acte de candidature pour un poste de Teaching Assistant leur garantissant la gratuité des études (sic) et une rémunération décente pour les cours à enseigner qui leur échoiraient : https://french.la.psu.edu

Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Ayant poursuivi des études de part et d’autre de l’Atlantique, mes souvenirs à ce sujet sont de nature très différente, mais demeurent dans l’ensemble très positifs.

Je garde un bon souvenir de mes études en France, où les contraintes afférentes n’ont jamais obéré des activités multiples et variées beaucoup moins académiques ; les choses sont devenues plus sérieuses aux États-Unis où, aidé en cela par l’incomparable richesse des bibliothèques universitaires, la disponibilité des enseignant·e·s et le cadre privilégié des campus, il est somme toute relativement aisé de se livrer sans retenue au plaisir émanant d’un travail de recherche pourtant extrêmement exigeant.

Si un mémoire de maîtrise sur la poésie imagiste de William Carlos Williams, et dirigé par le poète Jean Joubert (U. Paul-Valéry, Montpellier-3), m’avait, un peu par hasard, donné l’occasion de découvrir la vie étasunienne grâce à un séjour d’un an à la Central Michigan University, c’est la littérature française et la philosophie dite « continentale » qui allaient par la suite présider à mon existence outre-Atlantique.

Après donc une année passée à CMU, j’optai pour le magnifique campus de la Michigan State University afin d’y poursuivre un DEA de Lettres modernes initié en France. C’est la phénoménologue Marlies Kronegger, adepte de Husserl et disciple d’Anna-Teresa Tymieniecka, qui, non seulement me fit découvrir les arcanes de la littérature baroque française du XVIIe siècle, mais dirigea également ma thèse de doctorat consacrée au théâtre de Jean de Rotrou (1606-1650).

En plus de cette professeure, prodigue en encouragements et prolixe en éloges parfois exagérés, je dois reconnaître avoir eu la chance, et ce depuis l’école primaire jusqu’à l’université, de bénéficier de maîtres et de maîtresses qui, nonobstant les carences et les travers de certain·e·s, ont grandement contribué à mon développement intellectuel.

Je les remercie, mais ne peux m’empêcher de souligner aussi que si je vis aujourd’hui outre-Atlantique, la faute, ou le mérite, en revient non seulement à Jean Joubert, mais aussi à cette secrétaire de l’UFR d’Études anglophones de Paul-Valéry qui, après m’avoir informé que les possibilités d’un poste d’assistant dans une université britannique auquel je prétendais étaient fort limitées, me suggéra, qu’étant donné mes travaux sur la poésie américaine, j’aurais tout intérêt à viser les États-Unis.

Je n’y avais jamais pensé — nous étions alors en 1977, et l’Amérique était encore à l’autre bout du monde ! Je me remémore souvent cet entretien, et remercie cette dame, dont je n’ai jamais connu le nom, pour un judicieux conseil qui décida en fin de compte d’une grande partie de mon existence et me donna du même coup l’occasion de revisiter la prétendue liberté sartrienne d’un œil beaucoup plus critique...

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

Question particulièrement ardue à laquelle je ne saurais donner une réponse univoque sans, du même coup, faire preuve de beaucoup d’ingratitude à l’encontre de nombreux auteurs ou autrices qui, au fil des ans, et de Montaigne à Foucault, en passant par Racine, Spinoza, San Antonio, Proust, Michon, et bien d’autres, ont rythmé mon existence...

Davantage que tel ou tel livre, c’est avant tout le respect non encore érodé que l’on accordait alors en France aux humanités qui, sans que j’en fusse à l’époque tout à fait conscient, m’a considérablement influencé.

Avec les États-Unis, et l’emprise qu’avait alors la théorie — critical theory — dans les départements de Philosophie, de Lettres et de Littérature comparée, ce fut une autre vie qui se présenta. Une vie qui n’annulait pas la précédente mais qui l’élargissait, qui l’ouvrait sur de nouvelles perspectives. Et ce, à l’instar des textes que l’on pensait connaître mais qui se révélaient autres grâce à la magie de nouvelles modalités de lecture : celles résultant notamment du structuralisme et de la sémiotique ainsi, bien sûr, que des apports de la fameuse French Theory, snobée jadis par l’université française, comme elle néglige trop souvent aujourd’hui les études francophones, les études de genre, les LGBTQ Studies et autres Postcolonial Studies. Approches dont les théoricien·ne·s jouissent désormais ici d’un prestige égal, sinon supérieur, à celui dont se prévalurent pendant longtemps les philosophes français, comme, pour ne citer qu’eux, Bourdieu, Foucault et Derrida.

Je reste dans l’ensemble fidèle à mes premières amours et considère toujours que la littérature, « maitresse de nuance » (Barthes), aide à moduler la rigueur parfois tyrannique des concepts. Bien que je n’aie encore ressenti de véritable « coup de foudre » à l’égard d’un livre spécifique, je citerai tout de même cette agréable rencontre avec La littérature de l'âge baroque en France : Circé et le Paon de Jean Rousset (Corti, 1953), et cette oaristys pérenne avec Les Essais de Montaigne.

Avez-vous déjà essayé d'écrire ? Pourriez-vous nous parler de vos créations ?

Non seulement ai-je essayé d’écrire, mais j’ai véritablement écrit puisque une carrière universitaire aux États-Unis requiert une publication soutenue : Publish or perish, prévient d’ailleurs l’adage. Il s’agit donc d’écrits dits « scientifiques » et non de créations au sens où, probablement, vous l’entendez. Cela dit, et peut-être du fait que je vis aux États-Unis depuis quelque quarante ans, et que j’ai même acquis la nationalité étasunienne en l’an 2000, j’éprouve toujours beaucoup de plaisir à écrire en Français et sacrifie de mon mieux au souci de la langue.

Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

Après mon Foucault l’intempestif (Hermann, 2019), où je revisite plusieurs concepts et dimensions de la « Pensée Foucault » déjà mise à contribution dans certains de mes précédents travaux, je vais me consacrer au « souci de soi » (επιμέλεια ηεαυτου). Une problématique qu’aborde Foucault lors de son « trip gréco-latin », et que je souhaiterais maintenant analyser chez Montaigne, Pascal, Nietzsche et, bien sûr, une fois encore chez Foucault.

Je serais enclin à déceler chez ceux-ci la conviction que le logos ne peut être complet que s’il est en mesure de conduire jusqu’à l’ergon ; que s’il existe le moins d’écart possible entre l’idéal affirmé et l’existence menée. Telle pourrait être d’ailleurs la pierre de touche de la philosophie si, avec Nietzsche, on estime un philosophe à proportion de l’exemple qu’il ou elle donne par sa vie et non seulement par ses théories.

Quant à moi, si j’ai parfois l’outrecuidance de m’estimer philosophe, il s’agit toujours d’un philosophe décalé, voire, comme disait Montaigne, d’un philosophe imprémédité et fortuit...



Merci Jean-Claude, pour ce témoignage !

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