Ludovic Gouesbet
ChâteaurouxNous découvrons ici le parcours de Ludovic Gouesbet, professeur agrégé de philosophie enseignant à Châteauroux.
Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !
Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?
Je m’appelle Ludovic Gouesbet. J’enseigne la philosophie au lycée Sainte-Solange de Châteauroux depuis 2001 (je l’ai enseigné en parallèle dans un autre établissement privé jusqu’en 2007, année où j’ai obtenu l’agrégation). Le métier d’enseignant est de mon point de vue un métier stimulant pour celui qui l’exerce en ce qu’il oblige constamment à réfléchir à la manière de rendre accessibles certaines idées, philosophiques ou autres, à un public auquel ces dernières ne sont, la plupart du temps, pas familières. Bref, on n’enseigne bien, je crois, qu’à condition de savoir « vulgariser » - tâche formatrice pour ceux qui en sont les bénéficiaires, mais aussi pour celui qui l’accomplit ! Je fais donc partie du petit nombre des « happy few » qui ont le bonheur d’aimer le travail qu’ils font.
Hélas ! (ou pas hélas…), je suis atteint de pathologies environnementales (le syndrome de d’hypersensibilité chimique depuis 2013, l’électro-sensibilité depuis l’été 2017) qui sont venues gêner considérablement l’exercice de ma profession.
Elles ont eu cependant le mérite d’aiguiser ma conscience des périls que fait peser sur l’humanité le développement accéléré et aveugle de notre civilisation hyper-technicienne et technolâtre ; elles m’ont rendu sensible par ailleurs que le degré d’interconnexion des êtres vivants avec leurs environnements respectifs (et en particulier, de l’homme avec le monde artificiel qu’il a créé) dépasse tout ce que l’on peut s’imaginer. On connaît la devise de Nietzsche : « la vie, moyen de la connaissance ». Mais notre philosophe en aurait été d’accord : la maladie ne l’est pas moins.
Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?
J’ai été étudiant pendant deux ans en Hypokhâgne et en khâgne au lycée Jeanne d’Arc de Rouen où j’ai eu la chance d’avoir quelques professeurs chevronnés et passionnés qui m’ont appris à organiser mes idées et m’ont permis de développer ma rigueur intellectuelle. J’ai été inscrit ensuite en Faculté d’Histoire à l’Université de Rouen pendant deux ans, mais j’ai effectué, dans le cadre du programme Erasmus, un an d’étude à l’université de Hambourg en Allemagne pour effectuer des travaux de recherche sur la place prise par la notion de génération dans la conscience allemande de 1890 jusqu’à l’avènement du nazisme.
Finalement, après quatre années passées sous la férule de Clio, la muse des historiens, je décidais d’offrir mes services à Athéna (Minerve), déesse de la Sagesse qui les a acceptées. Je sautais le pas, non sans crainte et inquiétude, mais avec l’encouragement de Jean Granier dont j’ai suivi les cours à l’époque : il me semblait ainsi répondre à l’appel de ma véritable « vocation » (mais aujourd’hui, s’il me fallait invoquer un dieu grec, c’en serait un bien plus sage et plus puissant qu’Athéna : Dionysos assurément…).
J’ai étudié alors la philosophie à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne pendant trois ans jusqu’au DEA. C’est durant ces années que j’ai fait la connaissance de Michel Haar, phénoménologue nietzschéisant (ou nietzschéen phénoménologisant ?), professeur que j’estimais beaucoup et qui a accepté de diriger mes travaux de recherche de maîtrise et de DEA.
EN 2015, j’ai entrepris un travail de thèse sur Nietzsche avec une co-direction : Jérôme de Gramont de l’ICP, et Arnaud François de l’Université de Poitiers qui m’ont l’un et l’autre apporté un soutien précieux et des conseils avisés. Je viens cependant de renoncer - peut-être provisoirement- à poursuivre ce travail en grande partie à cause de mes problèmes de santé. Je m’y proposais de réinterroger la notion apparemment bien connue de nihilisme avec le désir de montrer que la philosophie de Nietzsche, par l’abandon du concept de vérité, en opérait une radicalisation extrême et que cet acte de destitution, loin d’impliquer seulement une sortie du vieux monde de la « métaphysique », permettait en outre de trouver une issue positive au nihilisme consubstantiel à cette dernière, ouvrant sur des horizons encore inexplorés.
Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?
Nietzsche est de loin le penseur qui aura eu sur moi la plus forte influence. Les penseurs idéalistes tels que Berkeley ou Schopenhauer, mais aussi des penseurs démystificateurs comme Spinoza, Hume ou Diderot (ce Nietzsche à la française), sont, parmi d’autres, des philosophes qui m’intéressent aussi. C’est cependant la lecture des œuvres de Nietzsche, entamée vers l’âge de 16 ans, qui m’a amené à la philosophie. Un ouvrage fut pour moi tout à fait déterminant : Vérité et mensonge au sens extra-moral. Cette œuvre de jeunesse opère une mise en question de la notion de vérité dont il me semble ne pouvoir trouver aucun précédent dans toute l’histoire de la philosophie occidentale.
Pour finir, je dois ajouter que mon père, physicien théoricien et grand amateur de philosophie, a été pour moi depuis toujours un interlocuteur privilégié.
Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?
Cela fait des années que je note patiemment dans des cahiers les « pensées » que la vie, le monde et les hommes m’inspirent. Je réfléchis aujourd’hui à la façon dont je pourrais les réunir pour en faire un ouvrage.
Le thème du nihilisme est dans mon parcours intellectuel, on l’aura compris, un sujet de préoccupation philosophique majeur. De multiples définitions de cette notion existent. Mais la lecture de Nietzsche m’a fait prendre conscience que, parmi les définitions possibles, la plus « efficiente » est sans doute celle qui consisterait à définir le nihiliste comme celui qui croit (encore) à la vérité – ce qui fait presque de tout un chacun un nihiliste ! C’est une intuition qui affleure dans la pensée de certains philosophes « éclaireurs » (comme Heidegger jusqu’à un certain point, Cioran, Foucault, Wittgenstein peut-être…) – il s’agit en fait beaucoup plus que de cela : il s’agit d’une aventure philosophique à tenter.
Merci Ludovic, pour ce témoignage !
> Découvrez d'autres parcours philosophiques dans l'agora...