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photo de Marina Trakas

Marina Trakas

Avranches

Nous découvrons ici le parcours de Marina Trakas, chercheuse postdoctorale en philosophie.

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis philosophe, de formation et de profession. Originaire d’Argentine, après avoir commencé d’études d’économie et de traductorat de français, j’ai découvert la philosophie et j’ai tout quitté pour m’y consacrer entièrement. J’ai obtenu le diplôme de Professorat de Philosophie dans l’université de ma ville natale (Universidad Nacional de La Plata) qui est équivalent à un M2 en France et qui permet d’enseigner la philosophie au lycée.

Après cette formation initiale centrée plutôt sur l’enseignement de la philosophie continentale, j’ai eu la chance d’obtenir une bourse de la Région Ile-de-France pour réaliser un master de philosophie et sciences cognitives à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris. Grâce à cette bourse, j’ai eu l’opportunité de connaître une autre manière de faire la philosophie qui demande plus de créativité et donne plus de liberté sans pour autant perdre en rigueur, et qui côtoie toujours les sciences et se veut interdisciplinaire et d’actualité au lieu d’être simplement historique.

Cette possibilité m’a changé la vie, et cela en deux sens. D’’un côté, j’ai commencé à m’intéresser au sujet qui allait devenir le thème central de mes recherches : la mémoire et les souvenirs personnels. D’un autre côté, une université australienne à Sydney, Macquarie University, m’a offert une bourse pour continuer mes recherches sur la mémoire dans le cadre d’une thèse en co-tutelle avec l’EHESS. L’expérience au sein du Département de Sciences cognitives à Macquarie a été véritablement fantastique et très enrichissante au niveau intellectuel aussi bien que personnel. Je garde un très bon souvenir de cette université et de mon vécu en Australie.

Que faites-vous actuellement ?

Après ma thèse, je suis restée en France pour des raisons personnelles, mais ma vie n’a pas été facile. Le marché de travail pour des gens comme moi, avec un doctorat en sciences humaines (et en plus étrangère provenant d’un pays du « tiers monde »), est très dur, et les doctorants n’ont en général aucune aide de la part des institutions éducatives et des directeurs de thèse pour faire face à cette réalité accablante.  Il faut avouer qu’en France il n’y a que quelques chanceux qui sont agrégés en philosophie, éventuellement normaliens, qui peuvent devenir Maître de Conférences à l’Université… Pour les autres, il ne reste que le lycée ou une reconversion.

Je pense que le milieu éducatif français devrait discuter plus sur ce sujet, afin d’accompagner les futurs docteurs dans leur insertion professionnelle et d’envisager éventuellement des reformes structurelles pour que la société puisse bénéficier des ressources humaines qu’elle a aidé à former.

Personnellement, je n’ai pu continuer avec mes recherches et mes écrits que de manière très sporadique ; ma vie a alterné entre l’enseignement de la philosophie au lycée en tant que contractuelle, la traduction et le chômage.

Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Je garde un bon souvenir de quelques de mes professeurs en Argentine, et de mon directeur de thèse John Sutton qui s’est complètement investi dans ma formation doctorale. En France, je n’ai pas eu la chance de rencontrer de professeurs qui m’ont marqué d’une manière ou d’autre. En fait, j’ai trouvé que les cours que j’ai suivis ici n’étaient pas bien structurés et étaient assez superficiels. J’ai eu l’impression de valider mon cours sans avoir une réelle connaissance du sujet. Peut-être que les professeurs que j’ai eus étaient plus concentrés sur la recherche que sur l’enseignement…

Par ailleurs, j’ai trouvé de bons professeurs au lycée, très investis dans leur métier d’enseignant. J’ai essayé de faire pareil l’année dernière, au lycée Littré d’Avranches où j’ai enseigné la philosophie, mais je ne sais pas si j’ai réussi… L’enseignement a plus de rapport avec la manière de s’approcher des élèves qu’avec la maîtrise du contenu, et je pense que cette compétence ne se développe qu’avec le temps, l’expérience et un investissement et questionnement permanents.

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

Je n’ai jamais eu un livre ou un auteur préféré. En réalité, j’ai du mal à préférer quelque chose à une autre. Il y a tellement de livres et d’auteurs qui m’ont intellectuellement nourri de différentes manières ! Cependant, je dois avouer que Matière et Mémoire (1896) d’Henri Bergson m’a laissé une trace indélébile. Je l’ai choisi un peu par hasard, afin de faire un travail écrit pour valider un séminaire de philosophie française dans mon université natale. Cependant, c’est indéniable que ce livre m’a marqué pour toujours.

C’est lui qui m’a (in)consciemment poussé à choisir la mémoire comme sujet de recherche depuis le Master. Quand Jérôme Dokic, mon directeur de Master, m’a demandé de choisir entre l’imagination et la mémoire pour faire un stage de recherche, j’ai répondu « la mémoire » sans hésitation, parce qu’au fond je me souvenais comment je m’étais réjoui de lire Matière et Mémoire, même si quelques de ses idées demandaient un effort intellectuel important pour les comprendre. A partir de ce moment, le sujet de la mémoire et les souvenirs ne m‘a jamais quitté. Par ailleurs, je n’ai pas seulement adoré le contenu de ladite œuvre de Bergson, mais aussi son style clair et la référence très présente aux études psychologiques de son époque. On pourrait dire que Bergson a été ma première initiation à la philosophie que j’allais découvrir dès mon arrivée en France.

Il semble que Bergson m’a pas mal marqué puisqu’à la fin de l’année académique passée je me suis rendue compte que j’avais choisi beaucoup d’extraits de Bergson pour les analyser avec les élèves ! Parmi ces extraits, j’ai apprécié ses réflexions sur le langage et notre rapport au monde et à nous : Nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. Quelques-uns de mes élèves se sont aussi sentis touchés par ces pensées magnifiques de ce grand philosophe français.

Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

De manière très générale, pendant ma thèse j’ai essayé d’analyser le contenu représentatif et l’intentionnalité des souvenirs personnels, aussi bien que la nature essentiellement affective de ce type de souvenirs. Il y a quelques articles sur ces sujets qui devraient être publiés bientôt (espérons que les comités de lecture donneront un avis positif à mes soumissions!), mais ma thèse est de toute manière disponible en ligne.

Mon prochain projet de recherche, approuvé par le Conicet, est centré sur les aspects épistémologiques et éthiques des valeurs de nos souvenirs personnels. J’ai l’intention d’orienter petit à petit ma recherche vers des thématiques plus sociales, plus spécifiquement vers des problématiques liées à la mémoire et la (in)justice historique. J’aimerais commencer à réfléchir sur des sujets plus pratiques, qui ont le potentiel d’introduire un changement réel dans la triste réalité qu’est le monde actuel. J’espère que mes prochaines réflexions porteront leur fruit.



Merci Marina, pour ce témoignage !

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