Patrick Daneau
QuébecNous découvrons ici le parcours de Patrick Daneau, enseignant la philosophie au Québec, passionné par l'épistémologie et les penseurs de l'Antiquité...
Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !
Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?
J’enseigne la philosophie au Cégep François-Xavier-Garneau, situé dans la ville de Québec, dans la province du même nom. Je suis prof de philo depuis maintenant 25 ans et je n’ai pas perdu une seconde de l’intérêt que je porte pour ma discipline ! Pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers avec le système des cégeps, précisons qu’il est propre au Québec et qu’il est unique au monde. L’acronyme cégep désigne les collèges d’enseignement général et professionnel. Cet ordre d’enseignement correspond grosso modo aux deux dernières années du lycée européen. La philosophie y est obligatoire, aussi bien pour les étudiants du parcours pré-universitaire que pour ceux de la filière professionnelle. Cela signifie que dans mes classes, j’ai aussi bien de futures avocates que de futurs policiers, par exemple.
Parallèlement à mon enseignement de la philosophie du programme québécois, je suis professeur dans le programme du Baccalauréat international, car il est offert dans mon collège. Ce dernier, dont le siège est situé à Genève, est présent dans 147 pays et il accorde une grande importance à l’enseignement de la philosophie. J’enseigne un cours passionnant intitulé Théorie de la connaissance, dans lequel j’explore de nombreuses questions d’épistémologie générale appliquées aux sciences naturelles et humaines, aux arts, aux mathématiques, à l’histoire et à bien d’autres champs du savoir.
Je collabore étroitement avec l’Organisation du Baccalauréat international à titre de formateur et d’évaluateur en chef d’une des composantes. Depuis maintenant dix ans, je parcours la planète afin de former des enseignants et d’évaluer la qualité du programme dans les institutions membres. J’ai eu la chance de visiter de nombreuses écoles au Canada, au Royaume Uni, aux États-Unis, en Finlande, en Australie, aux Émirats arabes unis, au Maroc, en Côte d’Ivoire et ailleurs dans le monde. Cela m’a permis de prendre connaissance du large spectre de l’enseignement de la philosophie un peu partout. Je suis très reconnaissant envers l’organisation de m’avoir fait autant voyager.
Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?
Je garde un excellent souvenir de mes études collégiales et universitaires au Québec et en Allemagne. De nombreux professeurs m’ont marqué, au nombre desquels Thomas De Koninck et Jean Grondin, qui ont supervisé respectivement ma maîtrise et mon doctorat. Je dois beaucoup à ces deux excellents professeurs, mais l’expérience philosophique la plus intense que j’ai vécue peut se résumer en une courte anecdote et elle implique un homme d’exception, le professeur Jaromir Danek.
Il enseignait la philosophie allemande, principalement Husserl, à l’université Laval. Son parcours personnel était impressionnant, car il avait connu, enfant, l’occupation allemande à Prague et il avait été prisonnier politique en République tchèque lors de la période communiste. Cet homme était non seulement un grand intellectuel, mais également un humaniste. Il faisait montre d’un très grand respect pour les jeunes étudiants que nous étions.
Un matin d’hiver (je m’en souviens comme si c’était hier), il est entré dans la classe avec sous les bras une grande boîte contenant de nombreux exemplaires d’un ouvrage sur Husserl qu’il avait rédigé. Généralement, dans le milieu scolaire, les livres doivent être achetés par les étudiants, mais pas pour Jaromir Danek. Il a remis à chacun un exemplaire, il s’est tourné vers la classe et il a lancé cette magnifique formule : Je ne vends pas mes idées, je les propose.
J’ai appris plus tard que son éditeur était furieux ! Je l’ai questionné à ce sujet et il m’a dit : Mon jeune ami, j’ai connu la colère des nazis et des communistes, alors celle d’un administrateur …
Cette attitude de grande noblesse, je tente de la reproduire lorsque j’enseigne. Je dis à mes étudiants que je les encourage à penser par eux-mêmes, de manière rigoureuse et rationnelle, et je ne me pose pas en détenteur de la vérité.
Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?
Bien que j’aie réalisé un mémoire de maîtrise et un doctorat sur Nietzsche, et bien que mon parcours m’ait conduit en Allemagne, je suis retourné aux philosophes de la tradition gréco-romaine. J’ai développé un véritable engouement pour Platon, Épicure et Sénèque. J’apprécie chez les Anciens l’adéquation entre la vie et la pensée. Pour eux, on ne saurait dissocier la théorie et la pratique. Une philosophie doit s’assumer jusqu’au bout, même au péril de sa propre vie. Ce que j’aime de ces philosophes, c’est qu’ils nous « apprennent à vivre », pour reprendre la jolie expression de Luc Ferry. Je leur réserve d’ailleurs une grande place dans mon enseignement, car ils savent toucher les jeunes avec des réflexions sur le bonheur, la consommation, l’amour, l’amitié et les épreuves de toutes sortes qui nous touchent.
Avez-vous déjà essayé d'écrire ? Pourriez-vous nous parler de vos créations ?
J’ai inauguré, pour le quotidien Le Devoir, la série Le devoir de philo, avec un long article intitulé Épicure et l’hyperconsommation. Sur une base bimensuelle, ce journal donne la parole à un philosophe et lui laisse carte blanche pour analyser un enjeu de société. J’ai écrit un second papier sur les sophistes et les élections au Québec. Je collabore aussi régulièrement avec des collègues. Par exemple, j’ai participé à l’ouvrage collectif intitulé Quand Platon écoute les Beatles sur son iPod avec un article sur Nietzsche et la musique heavy metal.
J’ai également animé des chroniques philosophiques sur les ondes de Radio Canada, notre diffuseur national. Pendant quatre années, à raison d’une chronique aux trois ou quatre semaines, j’ai commenté des enjeux de société en leur procurant un éclairage philosophique. J’ai ainsi pu présenter au public francophone du Canada des réflexions philosophiques sur différents thèmes, au nombre desquels l’alimentation, la consommation, la santé, l’écologie, le droit des animaux et l’intelligence artificielle.
Présentement, je suis en train de terminer la rédaction d’un petit essai sur les vertus de l’épistémologie à l’ère de la post-vérité. Je fais quelque chose que je n’ai jamais fait : je prends, à mes frais, un congé sabbatique de six mois l’hiver prochain afin de voyager et de peaufiner ce petit ouvrage. Je compte le terminer en mars et le proposer à des éditeurs.
Merci Patrick, pour ce témoignage !
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