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photo de Thomas Boyer-Kassem

Thomas Boyer-Kassem

Poitiers

Nous découvrons ici le parcours de Thomas Boyer-Kassem, docteur en philosophie et maître de conférences à l'Université de Poitiers...

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?

J’ai la chance d’être depuis cette année maître de conférences en philosophie des sciences à l’Université de Poitiers. Je parle de « chance », parce que je sais bien que les processus de recrutement sont loin d’être parfaits. Cela faisait un certain temps que je patientais tant bien que mal : j’ai soutenu ma thèse en 2011, pour être recruté en 2018. Entre temps, ATER, postdoc, vacations et un peu de chômage. Et puis, c’est aussi une chance de faire ce métier parce qu’il procure une liberté indéniable dans le choix des thèmes de recherche et d’enseignement.

Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Je suis venu à la philosophie des sciences après des études de physique. Je me souviens avoir hésité en entrant au département de physique à l’ENS de Cachan : et si je devais plutôt tout plaquer pour aller étudier la philosophie et découvrir le sens de la vie ? Heureusement, je ne l’ai pas fait tout de suite, et j’ai appris bien des choses intéressantes en physique. L’attraction pour la philosophie ne m’a néanmoins pas quitté. Lors d’un stage en maîtrise, j’ai pensé à un moment : tout ce travail de recherche est bien amusant, mais ce que je voudrais, c’est avoir une perspective plus générale, réfléchir sur la science et pas dans la science ! J’aspirais à de la philosophie des sciences.

Alors je suis reparti en licence de philosophie. Mais là, j’ai été désagréablement surpris par le fait que certains enseignants ne connaissaient pas la science contemporaine, et n’avaient pas envie de la connaître. J’ai par exemple le souvenir d’un cours sur la Critique de la Raison Pure de Kant, dans lequel le professeur n’avait pas pu m’éclairer sur le lien entre les catégories d’espace et de temps, qui sont centrales chez Kant comme chacun sait, et le rôle également central des concepts d’espace et de temps dans la théorie de la relativité. Surtout, il m’a donné l’impression de penser que les développements ultérieurs importaient peu, et qu’étudier Kant pouvait se limiter à Kant, ce qui m’avait beaucoup frustré ! Un autre professeur restait sourd à mes remarques selon laquelle la mécanique quantique manifestait un type de hasard qui était fort différent du hasard présent dans le chaos dont il parlait. Je crois que j’aspirais vraiment à de la philosophie pleinement informée de la science, et c’est ce vers quoi je me suis ensuite dirigé.

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

Il y en a eu plusieurs au cours de mes études. J’ai eu une phase Nietzsche. Et puis ensuite, sur un tout autre thème, La structure des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn a été une révélation. Concernant la mécanique quantique, sur laquelle j’ai travaillé pendant ma thèse, le livre Quantum mechanics and experience de David Albert a été extrêmement éclairant. Cet homme est un pédagogue incroyable, et ses explications ont mis d’un coup de l’ordre dans ce qui était auparavant un grand bazar dans ma tête.

Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

J’ai des projets dans pas mal de directions. Je crois que c’est une question de caractère : j’aime changer de problème, ne pas travailler toujours sur le même thème. Je me laisse tenter ou bien par les problèmes eux-mêmes, ou bien par les collaborations que des collègues me proposent. Car oui, c’est assez rare en philosophie, mais je travaille souvent de façon collaborative, et j’aime beaucoup !

Un projet que je continue depuis ma thèse porte sur la mécanique quantique, et ses nombreuses interprétations. Elles fournissent des images du monde différentes (avec du hasard, ou sans hasard, avec un seul monde, ou une infinité, etc.), tout en n’étant pas distinguables du point de vue empirique. La plupart des philosophes qui travaillent sur ces interprétations descendent dans l’arène et défendent une interprétation contre les autres. Pour ma part, je suis sur le banc des spectateurs et je compte les points, ou plutôt je cherche comment compter les points : quels sont, et quels devraient être, les critères pour choisir entre les différentes interprétations ? Je continue à y travailler, dans la continuité de mon livre Qu’est-ce que la mécanique quantique ?

Je poursuis aussi des travaux sur le principe de précaution, selon lequel lorsqu’une activité pourrait entraîner une catastrophe pour l’environnement ou la santé humaine, il convient de la restreindre ou de l’interdire même s’il existe de l’incertitude scientifique sur le lien entre l’activité et la catastrophe. Et ce principe est attaqué par certains, qui y voient un recul de la rationalité ou des standards scientifiques habituels. Je cherche à clarifier les arguments qui sont employés et à débusquer les failles qui s’y trouvent.

Et puis, je travaille aux frontières de la philosophie avec l’économie ou la psychologie, autour de ce qui nous fait dévier de la rationalité (les « biais »), ou de ce qui pourrait nous aider à faire de meilleurs jugements. Et pour cela, j’adopte une approche expérimentale : on pose des questions à des volontaires, on fait des statistiques, et on essaie de valider des hypothèses philosophiques ! C’est passionnant, les gens appellent cela de la philosophie expérimentale. Je travaille sur ces sujets avec Sébastien Duchêne, un ami économiste à Montpellier.

Pour en savoir plus : rendez-vous sur ma page web.



Merci Thomas, pour ce témoignage !

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