Le communisme platonicien
Une contribution de Marius Mercier
Une comparaison du communisme de Platon avec celui de Marx...
Voir aussi : Marx
Ce qui caractérise PLATON, c’est la communauté à la fois des femmes, des enfants et des biens
(Aristote, La Politique, II).
Aristote fut le premier à étiqueter la cité-idéale de Platon de “communiste” car la grande nouveauté du projet politique platonicien est la mise en commun de tout, jusqu’à la destruction de la cellule familiale. Pourtant est-il pertinent de comparer “communisme antique” avec le communisme de Marx et d’Engels ?
Des similitudes troublantes entre Marx et Platon
De prime abord, l’abolition de la propriété privée chez les deux auteurs pourrait permettre de mettre en place une analogie forte. En effet, Platon entend mettre en place une communauté du plaisir et de la peine
afin que la cité soit unie et que le malheur d’un citoyen soit partagée par tous. Il y a une disparition de l’oïkos (“maison”, “privé” ) au profit de la communauté totale des femmes et des enfants. Ainsi, pour Platon, si l’on supprime la possession de richesses, d’enfants et de parents on abolira les dissensions au sein de la cité. Pour Marx et Engels, la collectivisation des moyens de productions permettra au travailleur de s’émanciper et par là, une société sans classe d’advenir: En ce sens les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique: abolition de la propriété privée
(Le Manifeste du Parti communiste II).
De plus, une autre analogie peut être instaurée au niveau de l’interventionnisme étatique. En effet, Platon comme Marx, formulent la nécessité d'une primauté du politique sur l'économique. Ne négligeons pas ici, la distinction marxiste entre infrastructure -tout ce qui se rapporte à la production- et superstructure -ensemble des idées d’une société-. Il est vrai que Marx pense que l’économie détermine la politique mais son projet est de déterminer politiquement l’économie, ce qui pourrait être résumé à l’opposition au motto libéral “laisser-faire”.
Or, les similitudes entre Platon et Marx s'arrêtent ici. Leurs projets ont en effet, nombres d’oppositions.
Une vision du peuple qui diffère
En effet, entre la verticalité politique de la République platonicienne et son philosophe-roi, et l'horizontalité de la société prolétarienne où Marx voudrait que les travailleurs possèdent leur outil de production et décident pour eux-mêmes, il y a plus un rapport d'opposition que d'analogie. Les conceptions de Marx tendent vers des cellules démocratiques directes, là où la pensée de Platon est hautement hostile à la démocratie. En effet, Platon très pragmatique se demande pourquoi l’on accepterait en politique ce qui est inenvisageable dans la cuisine par exemple, à savoir que cela ne soit pas les meilleurs -ou les plus compétents- qui gouvernent.
La différence essentielle, il me semble, tient dans la défiance que Platon entretient à l'égard du peuple : le peuple, pour lui, c'est la foule stupide, la multitude chaotique qui à cause de son nombre ne peut penser, reste mue par les passions collectives, et dont ne peut naître que le désordre caractéristique de l'emprisonnement sensible. Pour Platon, le peuple est la multitude aveugle qui a condamné Socrate à mort : il ne faut pas mésestimer l'influence de ce traumatisme sur sa philosophie. Être capable de distinguer le juste de l'injuste, c'est affaire d'usage individuel de l'intellect à ses yeux, et non d'usage collectif. De même c'est aussi affaire d'éducation et de vertu, car pour commencer à connaître ce qu'est le bien, il faut conversion de l'âme du sensible à l'intelligible. D'où la figure si nécessaire à ses yeux du philosophe-roi.
Il nous faut ici souligner que Marx, lui, vient après Rousseau qui l'a profondément influencé. Et donc il a conscience, comme l'a montré Du contrat social, qu’entre la foule qui n'est qu'une multitude juxtaposée et le "peuple" qui est une multitude politiquement organisée, il n'y a rien de commun. Par conséquent, que le même grand nombre qui dans la foule assure de tomber dans les passions collectives chaotiques, dans le peuple est au contraire la garantie de parvenir à une pensée collective qui s'approche au mieux de l'intérêt général en neutralisant mutuellement les intérêts particuliers. Et ce que Rousseau voulait que le peuple puisse faire avec la République, Marx voudrait que le prolétariat puisse le faire avec le capital, avec son outil de travail. Il ne s’agit pas ici de critiquer la vision rousseauiste du peuple et de l’existence de celui-ci mais de mettre en opposition les deux conceptions de la politique entre Platon et Marx.
Une forme de mise en commun différente
Par ailleurs, la forme de mise en commun qu'on trouve souhaitée par Platon dans La République n'est pas tant une mise en commun, qu'une mise à disposition des ressources entre les mains du philosophe-roi, dont la sagesse est supposée garantir de l'équité de l'usage qui en sera fait et de la répartition qui sera consentie. En outre, l'idée que Platon se fait de la justice en matière politique tient essentiellement de la vertu individuelle du dirigeant, là où précisément l'affirmation communiste marxiste consiste à dire que la question de la justice n'est pas un problème de vertu individuelle mais un problème structurel de répartition du capital – donc de répartition du pouvoir.
De l’éducation de la société
L’éducation possède une place importante dans les deux communismes. En effet, dans le “communisme antique” de Platon, la destruction de la cellule familiale serait nécessaire pour permettre une cité unie. On peut aussi mettre en exergue que cela permet au philosophe-roi d’avoir une emprise toute puissante sur la vie privée. La prise en main de l’éducation par le “communisme moderne” n’a pas du tout la même finalité. Sans reprendre la radicalité de Platon -abolition des liens familiaux- Marx et Engels souhaitent une socialisation intégrale de l’individu. En effet par l’éducation s'opère une émancipation de l’individu d’une cellule, classe ou groupe, afin de l’attribuer à la société en son entier. Les communistes n’inventent pas l’action de la société sur l’éducation ; ils en changent seulement le caractère et arrachent l’éducation à l’influence de la classe dominante
(Le Manifeste du Parti communiste).
La praxis marxiste et l’idéalisme platonicien
Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer
(Thèses sur Feuerbach, XI.) clamait Marx, en cela il marque considérablement une opposition avec le projet platonicien qui est d’énoncer les modalités de la cité idéale. La troisième vague d’opposition auquel doit faire face Socrate dans le chapitre V de La République porte précisément sur l’irréalisabilité de cette vision politique. Mais celui-ci répond habilement que la discussion ne porte pas sur ce qui pourrait être fait mais sur ce qui serait le meilleur pour la cité. Ainsi, lorsqu’il interroge Glaucon, il dévoile donc l’objet de la discussion: Crois-tu dès lors que nous parlions de manière moins satisfaisante pour cette seule raison que nous ne serions pas en mesure de démontrer qu’il est possible de fonder une cité de la façon qui a été proposée ?
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A la suite de quoi, Socrate explique que le premier “petit” changement à réaliser dans les cités établies est de porter le philosophe au pouvoir: c’est en cela que nous pouvons dire que Socrate/ Platon ne propose pas une philosophie de transformation du réel mais une philosophie idéaliste dans le sens où la finalité est de fonder dans l’esprit seulement la cité-idéale.
Précisons cependant que Platon n’entend pas ici formuler une utopie mais propose une norme de la Polis, comme l’a noté Kant dans la Critique de la Raison Pure (Dialectique transcendantale): La République de Platon est devenue proverbiale comme exemple prétendument éclatant de perfection imaginaire qui ne peut prendre naissance que dans le cerveau d’un penseur oisif, et Brucker trouve ridicule cette assertion du philosophe que jamais un prince ne gouverne bien s’il ne participe pas aux idées. Mais il vaudrait mieux s’attacher davantage à cette pensée et (là où cet homme éminent nous laisse sans secours) faire de nouveaux efforts pour la mettre en lumière, que de la rejeter comme inutile, sous ce très misérable et pernicieux prétexte qu’elle est impraticable.
Ainsi la République de Platon se rapproche plus du Contrat Social de Rousseau que d’Utopia de More, sans toutefois être aussi prescriptive que l’œuvre de Rousseau.
Au vu des arguments présentés, l’analogie entre Marx et Platon n’est pas pertinente. Leurs finalités s’opposent et s’inscrivent dans un contexte historique particulier. La différence majeure reste la vision différente sur la foule ou le peuple dans l’esprit des deux philosophes. Ce désaccord axiomatique, oppose donc le “communisme antique” et le “communisme moderne”. De même, l’irréalisabilité du projet platonicien est assumée alors que Marx se détache de la philosophie en affirmant son désir de changement.
La philosophie est à l'étude du monde réel ce que l'onanisme est à l'amour sexuel.
L'Idéologie allemande (1845-1846), Karl Marx
Auteur de l'article :
Marius Mercier, étudiant en philosophie à l'Université de Bordeaux Montaigne