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photo de Maxime Poulin

Sartre, le retour : un baromètre de l’état philosophique de notre société !


Une contribution de Maxime Poulin

Une réflexion sur l'intérêt actuel pour la pensée de Jean-Paul Sartre et l'existentialisme...



Je remarque depuis un bout de temps que la francophonie et notamment les anglo-saxons ont un regain d’intérêt pour Sartre et l’existentialisme athée français. Plusieurs carnets web (blogues) se comptant en dizaines de milliers ainsi que des abonnés twitter en centaines lui sont consacrés. Sur Google scholar, on compte près de 8 K. d’articles ou de citations. Etc. Un respect notoire donc s’en dégage en même temps qu’une connaissance, relativement carencée, je dois l’avouer. Cet article voudrait suppléer à ceci en présentant cinq clés de lectures favorisant une entrée en profondeur dans ce qui est convenu d’appeler la base essentielle de sa pensée. 

Sartre reprend du galon quand la société conventionnelle. La génération des plus jeunes, les 15-25 ans par exemple, est plutôt conservatrice, par rapport aux générations précédentes. Ils veulent prendre leurs places et ne semblent pas contester l’ordre établi ! Toutefois faut-il avouer que certains ressentent malgré tout un profond malaise ou mal être devant cette société les laissant sur leur faim quant à leurs quêtes de sens ! 

De toute évidence, c’est pour ces derniers que Sartre reprend du service, et ce, pour au moins cinq raisons !

L’homme s’invente

D’abord, si les jeux semblent être faits pour la plupart, d’autres revendiquent un espace de liberté et de créativité, où tout pourrait être à faire. Or, chez cet auteur, cela constitue le point de départ de sa philosophie. L’homme n’est rien, il se fait lui-même ! Même si les autres ont des projets pour moi, même la société, l’homme doit s’inventer.

À partir d’une situation

Ensuite, bien qu’on soit plus sensible contemporainement à l’importance de l’environnement, la plupart des individus ne savent pas trop comment intégrer cela avec leurs conduites. Cet aspect constitue justement une dimension originale chez cet auteur. Si l’homme doit s’inventer, il ne le fait jamais à partir de rien ! Il doit le faire toujours à partir de son environnement, son milieu, sa situation, à savoir ce que Sartre appelle sa facticité. L’homme se fait à partir de ses choix qu’il fait lui-même de sa situation ! On se fait à partir des choix que l’on fait de notre situation. Ultimement, je perds un membre, une jambe, c’est un nouveau fait, ma nouvelle facticité. Je ne peux rien y changer ! Cependant, je peux choisir comment je vais vivre cela : en déniant, en colère ou en acceptant, etc. 

Condamnés à être libres !

Troisièmement, devant une société qui refuse par tous les moyens, semble-t-il, d’assumer les conséquences de ses actes, Sartre au contraire nous renvoie à notre liberté. Même en ne choisissant pas, l’individu est encore en train de choisir.  Ne pas choisir, c’est encore une autre façon de choisir ! En ce sens, Sartre nous renvoie à nos efforts, nos projets, d’évitement. Ce qui est inacceptable aux yeux de Sartre. Il est notre « conscience » qui nous parle sans cesse : assume-toi ! Ne te cache pas ! Ceci explique peut-être aussi pourquoi la philosophie de Sartre était tombée dans l’oubli un certain temps. Pour plusieurs l’amnésie demeure encore le meilleur moyen de survivre !

L’authenticité

Quatrièmement, dans un monde portant des masques, s’inventant des avatars, Sartre nous fait le jeu du miroir ! Dans notre monde, il est clair qu’il existe encore deux espèces d’individus : les gens de mauvaise foi et ceux cherchant à vivre plus authentiquement.

Ces projets sont des manières de nous conduire devant le fait que nous soyons condamnés à être libres ! Pour la plupart cela provoque un mal être, parce que trop lourd à porter !

Ainsi, pour les premiers, l’existence consiste à vouloir coïncider avec l’image qu’ils projettent d’eux-mêmes. Impossible projet. Jamais on ne peut coïncider avec soi-même ! Tant que nous vivons, jamais on ne peut être sous le mode d’être pour soi-même à l’état de chosification. On n’est pas soi comme une chaise est une chaise ! On doit constamment s’arracher à soi, dira Sartre. Exister, c’est en quelque sorte un acte herculéen ! D’où le recours pour certains à un infantilisme ou une régression de l’être !

Pour les seconds, moins nombreux, on ne fait que jouer à être ! Lorsque l’on existe authentiquement, on n’est jamais pour soi notre fonction, notre statut, etc. Ce ne sont là que de rôles ! Nous jouons à être, comme le garçon de café dans L’Être et le néant !

La nécessaire présence des autres

Enfin cinquièmement, on oublie une partie de la philosophie existentialiste de Sartre : l’individu ne peut pas y arriver seul. Il a besoin des autres pour se faire annoncer ce qu’il est véritablement ! La tristement célèbre phrase (décontextualisée) de Garcin dans la pièce de théâtre Huis clos, l’enfer, c’est les autres ! ! Elle est vraie, pour les gens de mauvaise foi, mais pour le projet d’exister authentiquement, c’est une aberration ! Dans un monde dominé par un repliement de l’individu sur lui-même, Sartre se présente ici en un véritable anti modèle. Il est vrai que la plupart de nos relations humaines sont vécues sur un mode inauthentique (comme celles décrites dans ses œuvres). Sartre est loin aussi de les préconiser ! Il nous invite à adopter des conduites meilleures !

Conclusion :

Sartre, son retour, non seulement est inopiné mais semble un baromètre intéressant pour l’état de notre société ! Les cinq raisons que j’ai invoquées constituent des indicateurs précieux en ce sens. Sans doute que c’est là ce qu’ont vu les individus y faisant référence ! 

Dans un prochain article, je vous proposerai de traiter des 3 grandes périodes philosophiques sartriennes, question d’avoir un panorama de l’œuvre complète de Sartre ! 

Auteur de l'article :

Maxime Poulin, professeur de philosophie, doctorant.