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couverture du livre

Descartes : une crise de la raison

Quelle est la nature exacte de la révolution cartésienne ? Consiste-t-elle, comme on le croit communément, en un triomphe du rationalisme ? Ou mène-t-elle, au contraire, vers une crise de la raison ?

Cet ouvrage déconstruit les idées communes par un patient travail des textes cartésiens, en particulier les Règles pour la direction de l’esprit et les Méditations métaphysiques.


Dépasser les préjugés

On identifie en général chez Descartes deux thèses révolutionnaires, autour desquelles s’articulerait son projet global, et constitueraient l’apport irremplaçable de sa pensée :
- La position du principe de la connaissance dans le sujet humain et non plus en Dieu, ce qui rompt avec la tradition philosophique et plus particulièrement la philosophie médiévale […]
- La mise en place du projet rationaliste qui place les notions d’ordre et de mesure au cœur de la connaissance, et dont l’ambition ultime serait la réduction du qualitatif au quantitatif
1.


Pourtant, il convient de réexaminer chacun de ces points de près. Car on a finalement ici affaire à des idées émises dès la plus lointaine Antiquité. Protagoras, déjà, soutenait que l’homme est la mesure de toute chose, et chez Pythagore, on trouve l’idée que comprendre l’essence des choses revient […] à mettre au jour leur structure mathématique 2, ce qui mène vers une réduction du qualitatif au quantitatif.


Ces idées préconçues, toutes faites, sur Descartes, il nous faut donc les écarter. Nous devons nous replonger dans les textes, afin de saisir l’apport irréductible de Descartes, ce qui fait qu’il inaugure une nouvelle ère de la philosophie, que nous rentrons dans la modernité, et que, pour reprendre le mot de Hegel, ici nous pouvons dire que nous sommes chez nous, et pouvons enfin, tel le marin après un long périple sur une mer déchaînée, crier : terre 3.

Le réel apport de Descartes

Ce que nous découvrons alors au contraire, c’est une combinaison originale de deux idées que l’on croyait irréductiblement opposées : le primat du sujet, caractéristique de la tradition sophistique, qui conduit par filiation à un antirationalisme sceptique, et la recherche d’une connaissance rationnelle, dont le modèle est mathématique.

De là ces deux questions, qui traversent l’ouvrage : comment Descartes parvient-il ainsi à concilier ces deux traditions, le scepticisme et le rationalisme ? Ou encore : le primat du sujet et l’objectivisme mathématique ?

Et surtout : assiste-t-on réellement chez Descartes à un avènement du rationalisme, comme on le pense communément ? Celui-ci peut-il s’édifier sur un tel primat du sujet ?

Pour Alain Séguy-Duclot, la réponse est négative : Alors Descartes, fondateur du rationalisme ? En fait, non : plutôt celui qui le met en crise 4.

Ontologie et épistémologie

Pour comprendre un tel renversement, il convient de retravailler les textes en profondeur.

Privilégiant une approche génétique, l’auteur commence donc par cet ouvrage inachevé : les Règles de l’esprit. Dans cet ouvrage, Descartes cherche à occuper une position originale entre platonisme, aristotélisme et scepticisme, en mettant volontairement entre parenthèses les questions d’ontologie, pour s’en tenir à une approche strictement épistémologique 5.

Il s’intéresse donc à ce qui est premier dans l’ordre de la connaissance, ces premières vérités accessibles à l’intuition, dont on pourra déduire progressivement d’autres idées, et non à ce qui est traditionnellement reconnu comme premier du point de vue de l’être : Dieu.

Mais ce rejet de l’ontologie semble mener nécessairement à un scepticisme radical. Pour échapper à ce danger, Descartes renoue avec l’ontologie dans les Méditations. On assiste ainsi, dans cette œuvre, à un cercle fascinant, que l’auteur décrit ainsi :

Les Méditations travaillent explicitement sur les deux ordres : l’ordre de la connaissance et l’ordre de l’être. Or si du point de vue de la connaissance la raison humaine est première […], du point de vue de l’être, c’est Dieu qui est premier. Ce qui implique une circularité essentielle de ce texte. Tout le problème est de comprendre la validité ou non d’un tel schéma circulaire, qui correspond à l’ontologisation de la méthode qui a été construite précisément sur le projet d’une mise entre parenthèses de l’ontologie. 6


Cette tension essentielle se retrouve dans tout l’ouvrage, que l’auteur examine de près, au fil des Méditations. Une lecture qui finira par interroger ce qui, au cœur de l’œuvre de Descartes, échappe au rationalisme, excède le cadre rationnel : la folie, les songes, le rapport à la mort.

Conclusion

Un ouvrage très clair, riche en références, que tout étudiant qui cherche à comprendre la pensée de Descartes devrait consulter.

Un renversement surprenant, qui fait apparaître le supposé fondateur du rationalisme sous un tout autre jour.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que vous en recommander la lecture !


1 Introduction
2 Ibid.
3 Leçons sur l’histoire de la philosophie, Deuxième division, période de l’entendement pensant.
4 Introduction
5 Ibid.
6 Ch. I, 9