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couverture du livre

Descartes selon l’ordre des raisons

De nombreux commentateurs isolent un thème chez Descartes et lui consacrent une étude spécifique : la liberté, la morale, Dieu…

Or celui-ci insiste sur le fait que sa pensée suit un ordre bien précis, et que chaque idée se déduit d’une autre, sur le modèle d’une démonstration géométrique : Ceux qui, sans se soucier beaucoup de l’ordre et de la liaison de mes raisons s’amuseront à épiloguer sur chacune des parties […], ceux-là, dis-je, ne feront pas grand profit de la lecture de ce traité 1, prévient-il dans la préface des Méditations métaphysiques.

Telle est l’idée à l’origine de l’ouvrage de Martial Guéroult : retrouver l’ordre dans lequel il faut lire Descartes afin de comprendre au mieux sa pensée.


L’ordre des raisons

Chez Descartes, méthode et ordre sont deux notions liées, au point que l’une peut être réduite à l’autre : La méthode n’est […] que le recueil de quelques procédés simples, grâce auxquels pourra se développer, conformément à l’ordre, et devant nos yeux […] le savoir absolument certain 2.

Il le définit ainsi : L’ordre consiste en cela seulement que les choses qui sont proposées les premières doivent être connues dans l’aide des suivantes, et que les suivantes doivent après être disposées de telle façon qu’elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent 3.


Il s’agit de suivre ce précieux fil conducteur sans le perdre de vue : telle est la règle que Descartes fixe à celui qui veut comprendre sa doctrine. Ainsi que le résume Martial Guéroult, dans une géométrie, comprendre la raison de l’ordre, c’est purement et simplement comprendre 4.

Puisque rien n’est plus systématique, pour Descartes, que sa doctrine, celle-ci est pour lui un bloc de certitude sans fissure, où chaque vérité se déduit nécessairement les unes des autres, selon un strict enchaînement conforme à l’ordre des raisons 5.


Le projet de cet ouvrage est donc de restituer l’ordre que l’on peut trouver dans les Méditations, l’ouvrage de référence de ce point de vue, puisqu’il renferme non pas toute la matière de la philosophe mais les éléments essentiels présentés selon leur justification vraie, le bréviaire, l’introduction nécessaire et vraiment démonstrative de toute sa philosophie 6, les lettres ultérieures n’en fournissant que des éclaircissements.

Pourtant, il y a difficulté à l’apercevoir, car Descartes n’a pas toujours voulu nous le rendre immédiatement perceptible. Les Méditations ne sont pas, en effet, que sèche géométrie, mais initiation d’une âme par une autre âme qui la conduit 7. Il convient donc de mettre en lumière cet « ordre des raisons » recouvert, dissimulé, implicite.

Du doute radical jusqu’à l’essence du monde et de Dieu

M. Guéroult nous présente en détail chaque étape de cet ordre des raisons :

Le doute, qui se caractérise de trois manières : Il est méthodique, il est universel, il est radical 8, qui surgit des deux questions à l’origine des Méditations : Pouvons-nous juger valablement qu’à une idée, même supposée vraie, corresponde quelque chose de réel ? 9 et mes idées claires et distinctes sont-[elles] des essences ? 10.

L’hypothèse du Malin Génie, cette fiction qui installant provisoirement […] la fausseté au cœur même de l’infini divin, donne au doute une portée absolument universelle 11.

Le cogito, par lequel mon entendement rétablit au sein du doute universel un point ferme inébranlable à la fiction du Malin Génie et pose, conformément à l’ordre, la raison première qui terminant la chaîne des incertitudes, commande celle des certitudes 12.

Ce n’est là qu’un début : la lecture attentive de Martial Guéroult nous amène alors à saisir toutes les subtilités qui entourent les preuves que donne Descartes de l’existence de Dieu, la conception cartésienne du vrai et du faux, ainsi que celle des essences de Dieu et du monde.

Et cela, sans fuir les difficultés, nombreuses, qui entourent le texte : obscurités, contradictions, au moins apparentes… Ainsi le fameux cercle, peut-être vicieux, au cœur des Méditations, que Guéroult résume ainsi :

Le Cogito apparaît comme le principe premier de toute science humaine possible, puisque c’est uniquement par lui et par la réflexion sur lui que peut se construire la science comme système de raisons liées par une nécessité rigoureuse. […] Mais Dieu apparaît comme le principe premier de toute science humaine valable, car c’est lui seul qui fonde les vérités imposées à moi-même par mon propre entendement comme des vérités imposées par les choses elles-mêmes. […] Toutefois, si l’on se place au point de vue de la ratio cognoscendi, le Cogito est le seul principe premier, tandis que, si l’on se place au point de vue de la ratio essendi, c’est Dieu seul qui le sera, puisque étant l’auteur de toute chose, il est à la fois principe, et du Cogito comme simple conscience, et des réalités objectives qui constituent le contenu des modes de cette conscience. 13

Conclusion

Un ouvrage qui renouvelle en profondeur la lecture de ce chef-d’œuvre de Descartes, en prenant au mot l’avertissement que nous a lancé son auteur.

En cherchant ainsi à reconstituer l’ordre des raisons, on saisit ainsi mieux ce qui nous amène à passer d’un thème, d’un problème, d’une méditation à l’autre. La structure de l’œuvre nous devient plus claire.

On comprend, une fois le livre achevé, pourquoi Martial Guéroult était considéré, en son temps, comme l’un des plus grands spécialistes de Descartes.


1 Méditations métaphysiques, Préface, VII
2 p.19
3 Réponse aux deuxièmes objections, IX
4 p.21
5 p.19
6 p.23
7 p.25
8 p.33
9 p.31
10 p.32
11 p.39
12 p.50
13 p.235-236