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photo d'Alexis Tytelman

Alexis Tytelman

Paris

Nous découvrons ici le parcours d'Alexis Tytelman, professeur de philosophie contractuel au lycée Robert Schuman...

Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !


Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Alexis Tytelman, titulaire du « Philmaster », (École Normale Supérieure/EHESS) et d’un M2 en théorie politique obtenu à Sciences Po Paris. Je suis également musicien, DJ, journaliste indépendant spécialisé « musique électronique » et pratiquant d’un art martial originaire du Sud-Est de l’Asie : le penchak silat.

Que faites-vous actuellement ?

J’ai la chance d’enseigner aux terminales L/S et aux premières « HLP » du lycée Robert Schuman (Charenton) en tant que professeur contractuel. C’est mon premier poste et, confinement oblige, je n’ai pu y travailler en présentiel que quelques semaines. En parallèle, je cogère un petit label indépendant. Pour ne rien vous cacher, j’ai longtemps hésité avant de me décider à devenir enseignant et, lassé de l’université, j’ai séjourné pendant quelques mois dans la rédaction d’un magazine spécialisé avec l’idée de me reconvertir. Mais la philosophie m’a finalement rattrapé !

Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?

Sans surprise, mon premier contact s’est fait en Terminale avec une professeure extraordinaire : Martine Israitel. Sans doute profitât-elle du fait qu’il s’agissait d’un lycée confessionnel pour consacrer un temps inhabituellement long à nous parler de Martin Buber et d’Emmanuel Levinas qui, je le découvris plus tard, fut son professeur à l’École Normale Israélite Orientale (ENIO).

Concernant Sciences Po, où j’ai passé six ans, je mentionnerais d’abord Alexandros Alexandropoulos, un jeune chercheur qui animait un excellent séminaire sur Nietzsche. Julie Saada, qui me fit découvrir la philosophie « critique » du droit. Frédéric Gros, dont le cours « Obéir/Désobéir » est devenu par la suite un ouvrage à succès et ma directrice de recherche Astrid Von Busekist. À Paris IV, j’ai été frappé par l’élégance et l’érudition de Jean-Louis Chrétien. S’il n’a pas réussi à me faire aimer Plotin, c’était quelqu’un de profondément habité par son cours. Et comment oublier Jean-Cassin Billier ! Un showman dont les expériences de pensée tordues étaient sans cesse interrompues par les fous rires de l’auditoire. J’ai par contre un assez mauvais souvenir de Claude Romano qui, au-delà d’une fascination pour Heidegger que la parution des premiers Cahiers Noirs n’avait pas suffi à atténuer, m’avait apostrophé alors que je tentais de défendre Nietzsche, dont les écrits se réduisaient selon lui à du « non-sens ». Sur une note plus positive, j’ai eu la chance de suivre les remarquables TD de Marilyn Maeso et d’Elsa Ballanfat, que j’ai cru apercevoir sur votre site !

J’ai ensuite passé un an à l’Université de Toronto, où dominait une philosophie « critique » d’inspiration franco-allemande. Ce fut l’occasion de m’initier aux jewish studies avec deux excellents professeurs (Sol Goldberg et Michael Morgan) et à la philosophie postcoloniale dont j’ignorais tout.


De mon passage à Normale Sup, je garde en mémoire la bonne humeur de Paul Clavier et, dans un autre style, les cours très « écrits » de Marc Crépon, qui dirigeait mes recherches. Ces années furent également rythmées par les « Lundis de la philosophie » de Francis Wolff, qui m’a redonné goût à la philosophie « générale » et joué sans le savoir un rôle majeur dans mes choix de recherche et mon orientation vers l’enseignement. Il incarne encore le mieux ce que doit être pour moi un « professeur » de philosophie.

Pour ce qui est de l’EHESS, le premier nom qui me vient est celui d’un des introducteurs de la philosophie analytique en France, Pascal Engel. À l’opposé total, Bernard Harcourt, un fidèle lecteur de Derrida et Foucault qui se plaisait à disserter sur Nietzsche dans les luxueux locaux du Columbia Global Center.

Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?

Je rejoins Thibaut Giraud quand il dit qu’on ne poserait pas cette question à un biologiste ou un physicien. Et il est ridicule de vouer un culte à des auteurs dont on justifie les arguments parfois peu rigoureux par leurs qualités littéraires ou, pire, l’érudition insuffisante du lecteur « non-initié ». Je me refuse toutefois à renier complètement la part esthétique du plaisir pris à la lecture d’un texte philosophique dont l’opacité, à condition de masquer des arguments intéressants et de ne pas être excessive, peut parfois être stimulante.

Pendant ma première année à Sciences Po je me souviens avoir dévoré une bonne moitié du corpus nietzschéen et, pour contrebalancer, m’être délecté du nihilisme suicidaire de De l’inconvénient d’être né, de Cioran. Mais l’auteur que j’ai le plus lu est Emmanuel Levinas, que j’ai découvert en cours, puis en lisant Éthique et infini. Je n’ai jamais cessé de m’y référer, bien que je me sois progressivement éloigné de lui au fur et à mesure que grandissait mon aversion pour la langue phénoménologique. Mon passage du côté « analytique » de la force s’est confirmé il y a quelques années lorsque, fouinant dans les rayons de la FNAC, je suis tombé sur Mon diner chez les Cannibales, de Ruwen Ogien. À la lecture, ce fut une telle révélation que j’ai quasiment dû réécrire le mémoire sur lequel je travaillais ! En refermant ce petit recueil d’articles, j’étais converti au minimalisme moral.

Avez-vous déjà essayé d'écrire ? Pourriez-vous nous parler de vos créations ?

Mes écrits publiés sont plutôt journalistiques, bien que je ne puisse m’empêcher d’y glisser quelques références philosophiques. Je pense à un article que j’ai consacré aux musiciens dont la dance music « lente » accompagne souvent l’éloge politique d’un ralentissement envisagé comme alternative à la frénésie contemporaine. Pour le reste, je concentre ma créativité sur la musique au sein d’un duo avec un ex-camarade de promotion et en solo. Je viens d’ailleurs de sortir mon second EP.

Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?

Le principal projet qui m’occupe en ce moment, c’est la préparation des concours, mais je n’abandonne pas la recherche pour autant. Mon premier mémoire portait sur l’analyse des arguments formulés par les dénonciateurs de « l’appropriation culturelle » tandis que le second consistait en une défense de ce que Francis Wolff appelle « l’idéal cosmopolitique » qui, selon moi, passe avant tout la mise en œuvre d’une « citoyenneté mondiale » dont j’ai tenté d’analyser la faisabilité et les modalités. Ces travaux reposaient sur des fondements théoriques similaires :

- Une « ontologie relationnelle » considérant les relations comme premières par rapport aux entités qu’elles relient et valant aussi bien pour des entités « concrètes » comme les êtres vivants que pour des entités « symboliques » comme les cultures ou les nations.

- Une méta-éthique d’inspiration lévinassienne et derridienne où le raisonnement moral est initié par l’expérience de la vulnérabilité d’autrui par un sujet humain constitué en tant que tel par cette relation éthique.

- Une éthique « normative » dont les fondements sont ceux de l’éthique minimale. Non-nuisance, neutralité à propos des conceptions du bien, universalisme à propos du juste, distinction nette entre offense et préjudice et, enfin, asymétrie morale.

Je songe à analyser ce dernier point dans le cadre d’une hypothétique thèse, et ait également pour but de confronter la critique adressée par Levinas à l’art à certaines formes d’art contemporaines, et hésite entre étayer mon travail sur le cosmopolitisme et, à l’inverse, le condenser en un article. Enfin, je réfléchis à la possibilité de créer des simulations informatiques visant à réaliser des « expériences morales » impossibles à mettre en œuvre dans le monde réel, la question étant de savoir comment éviter la déresponsabilisation induite par cette « virtualité » sans mettre les « cobayes » dans une situation où leurs choix auraient des conséquences réelles pour eux.



Merci Alexis, pour ce témoignage !

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