Christian Walter
ParisNous découvrons ici le parcours de Christian Walter, chercheur associé au Centre de philosophie contemporaine de la Sorbonne.
Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !
Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?
Je suis actuaire agrégé de l’Institut des actuaires, professeur HDR à l’école supérieure de commerce et de gestion Kedge BS, et cotitulaire avec Emmanuel Picavet de la chaire Ethique et Finance du Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l’homme. J’enseigne la philosophie des modèles de risque à Kedge BS et dans les Masters Recherche (M2R) de l’UFR de philosophie et de l’UFR d’économie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ainsi qu’à l’Institut de statistique (ISUP) de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UMPC Paris 6). Par philosophie des modèles de risque, on entend une réflexion à la fois épistémologique, théorique et appliquée sur les différentes représentations du risque et sur leurs conséquences.
Mon parcours professionnel a été double. J’ai en quelque sorte connu deux vies qui se sont progressivement rejointes au fil du temps. Une première vie a été très opérationnelle : j’ai d’abord travaillé comme actuaire pendant une vingtaine d’années dans différents établissements financiers à la gestion des portefeuilles et des risques, avant de créer ma propre structure de conseil en actuariat en 2004. Puis parallèlement et progressivement, j’ai adjoint à cette expérience opérationnelle une seconde carrière avec des travaux de recherche en modélisation des risques puis en épistémologie du hasard.
Depuis 2018, je suis engagé dans la promotion des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU par SDSN (Sustainable Dévelopment Solutions Network) et via le réseau PoCfiN (Post-Crisis finance research Network), créé par Kedge BS et la Fondation Maison des sciences de l’homme. L’objectif est de construire une « finance durable » qui prenne en compte les enjeux écologiques.
Pouvez-vous nous parler de la chaire Ethique et Finance ?
La chaire fait partie du Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l’homme et est institutionnellement liée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS, UMR 8103).
Dans cette chaire, nous travaillons sur un problème très actuel, la complexité croissante des systèmes économique et financier et le défi posé par les nouveaux risques (environnementaux, technologiques, systémiques) qui transitent en partie par les outils financiers. Nous développons une réflexion sur l’articulation entre régulation, normes et modèles de risque. De ce point de vue, le cas de la finance est exemplaire au regard des rapports entre modèles et réalité. Dans la sphère financière, les modèles de risque ont un effet direct sur la « réalité », au point de modifier les pratiques financières elles-mêmes par le biais des représentations mentales à l’origine de décisions pratiques, comme par exemple l’attribution de financements sur des projets ou la protection en capital d’activités potentiellement dangereuses pour la société.
L’analyse philosophique de la finance fait donc émerger des questions qui intéressent plus largement les normes, les risques et la régulation.
Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?
J’ai découvert la philosophie en classe de terminale et j’ai tout de suite été séduit. Il m’a semblé que cela me permettait de penser adéquatement (avec les bons instruments) les questions que je me posais. Depuis, j’ai toujours continué à considérer la philosophie comme un remarquable outil pour aborder les problèmes que rencontre tout-un-chacun dans la vie de tous les jours. Une « manière » davantage qu’une « matière » (scolaire ou universitaire). Mes textes sur le cinéma , qui s’inscrivent dans la démarche du philosophe Stanley Cavell, poursuivent cette idée.
Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?
J’ai été littéralement fasciné, à l’âge de 17 ans, par la lecture d’Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, et par celle de Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, deux livres qui m’ont fait découvrir la puissance de la réflexion philosophique pour l’analyse de la science. Une sorte de coup de foudre !
Plus tard, à 23 ans, Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, fut une lecture déterminante puis, encore plus tard, la découverte de Willard van Orman Quine, en particulier son article « Les deux dogmes de l’empirisme », un texte sensationnel qui donne une respiration incroyable à la pensée de la science.
J’ai aussi été influencé par le très beau livre de Bernard d’Espagnat, A la recherche du réel, qui posait de manière tout-à-fait intéressante la question de la relation entre la physique quantique et les représentations mentales philosophiques.
Pourriez-vous nous parler de vos projets et de vos travaux de recherche ?
J’ai publié sept livres et une soixantaine d’articles scientifiques sur les représentations du hasard dans les modèles de risque en finance. Conjointement à mes travaux de recherche en modélisation actuarielle, je poursuis une réflexion sur les questions épistémologiques et éthiques posées par les modèles de risque. Je cherche aussi à diffuser ces connaissances auprès de non spécialistes car il me paraît important de rendre accessible tout cela pour le débat public, en particulier la relation entre un système de croyances et son expression mathématique.
A la chaire, nous travaillons à l’élaboration d’outils pour faire faire face aux nouveaux enjeux délibératifs et interprétatifs qui s’imposent dans un monde de plus en plus structuré et géré par des modèles mathématiques de risque résumant des systèmes de croyances. Les modèles de risque, en tant que modalités formalisées à la fois d’appréhension et de façonnement du risque, constituent en fait très largement le moteur des dynamiques des normes et des régulations. Le point de vue que nous cherchons à approfondir est la corrélation étroite et peu étudiée entre l’adoption acritique d’un modèle de risque et la production d’un excès de normes ou de normes dangereuses, qui peuvent devenir une menace pour la société en provoquant les accidents que l’on cherche à éviter. Le réseau CHRONOS et le projet « cygnes noirs » (métaphore pour désigner les catastrophes naturelles ou financières) s’inscrivent dans cette perspective.
Plus personnellement, ayant eu la chance de connaître Benoît Mandelbrot qui m’invita à Yale en 1997 pour travailler avec lui sur les fractales, je poursuis une réflexion sur la fécondité des méthodes fractales pour l’appréhension et la modélisation des risques à différentes échelles.
Merci Christian, pour ce témoignage !
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