Jeremy Derny
ParisNous découvrons ici le parcours de Jeremy Derny, doctorant en philosophie politique, en cours de création d'une librairie...
Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !
Pouvez-vous vous présenter ? Que faites-vous actuellement ?
J’ai entrepris un travail doctoral dans la suite du parcours logique de mon master recherche. La recherche a trouvé son sens réellement dans ce premier travail de mémoire où je travaillais sur la démocratie de partis et la logique de caste politique. Encadré par le Pr. Yves Charles Zarka, j’ai par la suite choisi de poursuivre en doctorat.
Malgré des conditions économiques peu évidentes, c’est le choix de la réflexion scientifique et de la discussion qui m’a intrigué bien davantage que celui d’une hypothétique carrière dans le milieu. Et pour cause, j’ai eu l’opportunité de travailler ma recherche et en accompagner d’autres. Principalement en ayant été assistant de recherche et ingénieur d’études sur différents programmes de recherches mettant au centre de leurs réflexions la démocratie, ses acteurs et ses dangers.
Les rencontres et les événements ont animé mon intérêt pour la discipline et surtout parce que toute réflexion ne pouvait prendre fin. La philosophie politique, la sociologie, la sémiologie, etc. ont acté l’intérêt de faire de la recherche en assurant une discussion nécessaire entre chercheurs et sciences de tous les horizons. J’ai eu également la chance de pouvoir enseigner, principalement la philosophie du pouvoir dans l’œuvre de Michel Foucault, la démocratie face à la mondialisation et la philosophie politique pour différents niveaux d’études.
Après un coup dur financier toutefois, j’ai dû mettre ma thèse sur pause. En tout cas sur la perspective officielle liée aux limites institutionnelles. Mais cette dernière continue en coulisse et peut se permettre de prendre le temps d’assurer son actualité permanente et surtout de ne pas répondre à une exigence institutionnelle quelconque. Pour cause, mon sujet de recherche concerne les nouvelles servitudes dans l’espace démocratique contemporain.
Aujourd’hui, en parallèle de cette thèse, où je conserve une réelle proximité avec l’équipe de recherche dont je suis originaire, je prépare l’ouverture d’une librairie généraliste indépendante dans le 11e arrondissement. Il s’agit en effet, à l’image de mon intérêt scientifique, de clamer l’existence de l’Autre et, par le livre, d’animer un lieu où le partage d’un savoir discute sans frontières, fait vivre la critique et interroge le vivre ensemble. La librairie est, par essence, la continuité de mon parcours et pourra, sans doute, permettre un meilleur accomplissement de ma thèse.
Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?
Mes études ont été nombreuses et compliquées, car trouver sa voie n’est pas une chose si aisée que cela. J’ai donc pris le temps de faire des études : commerce international, lettres modernes, communication des entreprises puis sciences sociales.
La philosophie n’est apparue réellement qu’au cours de la 3e année de licence avant de prendre principalement place en master construction européenne et sciences de la société de l’Université Paris Descartes.
J’ai pu y rencontrer de nombreux chercheurs et chercheuses qui ont pu donner goût à une passion de la discipline.
Yves Charles Zarka, philosophe et spécialiste de Hobbes dans son intérêt d’interroger continuellement la démocratie dans le monde émergent et d’en questionner le sort face aux nouvelles problématiques sociétales.
Danilo Martucelli, sociologue, pour sa capacité d’analyse et de méthode, sa manière de nous faire élever notre regard social.
Alice Legoff, Erwan Dianteill, Jean-Michel Morin, Eric Letonturier et d’autres ont fait partie de mon parcours et de la création d’un intérêt certain.
Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?
Pour avoir enseigné Michel Foucault, je dois bien évidemment revenir à lui et citer cette conférence publiée ensuite dans les Dits et Écrits intitulée « Les mailles du pouvoir ». Ce texte est magistral en ce qu’il reprend la capacité analytique de Foucault telle qu’elle a traversé son œuvre dans une relation entre le sujet et le pouvoir et comme il le dit lui-même : Essayer de développer, mieux, de montrer dans quelle direction on peut développer une analyse du pouvoir qui ne soit pas simplement une conception juridique, négative du pouvoir, mais une conception d'une technologie du pouvoir
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Mais je dois tout autant citer deux autres ouvrages que je trouve inégalés à ce jour : Machiavel d’une part avec Le prince ; Alexis de Tocqueville avec De la démocratie en Amérique. Deux ouvrages désormais très classiques, mais ô combien nécessaires pour appréhender notre monde en pleine mutation (écologie, économie, politique).
Enfin, en tant que libraire, j’ai envie de mentionner l’ouvrage Le peuple contre la démocratie (trad. française à paraître le 29 août aux éditions de l’observatoire, coll. La relève // The People vs. Democracy, Harvard University Press, Mars 2018) de Yascha Mounk qui s’annonce très important pour interroger la place du peuple et ce qu’il en reste dans nos démocraties contemporaines.
Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?
Mon travail de recherche interroge la démocratie dans son versant libéral, voire liberticide.
Pour cause, il s’agit de questionner tant sur un plan individuel et collectif l’espace de liberté garantie par la démocratie et comprendre comment ce régime, qui pourtant s’appuie sur cette notion, ne peut en assurer la pleine jouissance, mais, au-delà, conduire à l’expression de sa négation.
Autrement dit, il s’agit d’y voir une perspective marxiste dans la question du fétiche marchandise telle que l'a reprise Moische Postone, mais aussi la dimension du capital tout puissant dont l’objet n’est plus, où le pouvoir s’exerce en fantôme : un pouvoir autonome, global et invisible. Comment donc cette démocratie qui générer (ou à défaut tolérer) ce monstre en son sein qui la menace directement ? Au-delà c’est tout l’enjeu d’une réintégration du contrat social comme garantie d’un vivre ensemble qui est posé.
Les nouvelles servitudes sont nombreuses et dangereuses en ce qu’elles sont séduisantes et perçues justement comme des formes de progrès, d’avancées sociales, de bien-être, d’amélioration, etc. Elles sont entrées dans un récit courant jouant sur des valeurs positives pour conditionner un esprit en des termes de techniques du pouvoir : d’utilité, de place, de temps, de valeur.
Aujourd’hui, plus que jamais, une réponse à ces nouvelles servitudes doit trouver sa place !
J’espère pouvoir retrouver tous les lecteurs du site dans ma librairie prochainement pour refaire le monde autour d’un verre de vin !
Merci Jeremy, pour ce témoignage !
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