Vincent Citot
ParisNous découvrons ici le parcours de Vincent Citot, professeur à l'ESPE Paris Sorbonne et photographe...
Etudes, lectures, projets... Voici son témoignage !
Pouvez-vous vous présenter ? Que faites vous actuellement ?
Enseignant à l’ESPE de Paris – Université Paris-Sorbonne, je m’occupe de préparer les étudiants au CAPES de philosophie. Sur un plan moins professionnel, je dirige une revue de philosophie générale (Le Philosophoire) et poursuis mes recherches dans le temps qu’il me reste. Parallèlement à ces travaux philosophiques, j’ai une activité de photographe, à laquelle j’attache également de l’importance. Enfin, j’écris des essais littéraires. La fin visée est à peu près la même à chaque fois (une interrogation sur les idées, les sentiments et les revendications de liberté et de vérité), mais les moyens sont plus directs et le chemin moins tortueux quand il ne s’agit pas d’argumenter philosophiquement.
Quel souvenir gardez-vous de vos études ? De vos professeurs ?
Un souvenir mitigé. Je voulais faire de la philosophie, mais l’Université proposait essentiellement des cours sous la forme de commentaires d’auteurs. Je me serais plié de bonne grâce à l’exégèse si j’avais jugé qu’elle fût la condition pour faire de la bonne philosophie. Mais c’était loin d’être le cas. Les vraies questions étaient laissées de côté et les auteurs eux-mêmes n’étaient, en général, interrogés que de l’intérieur de leur système. Il s’agissait moins de mettre en évidence leur traitement des problèmes que de fouiller le détail de leurs réponses. D’où un ennui lancinant. D’où la création, avec quelques amis, du Philosophoire (dont l’objet initial était de répondre à cette insatisfaction).
En outre, je me suis rendu compte que ce que l’on appelait « histoire de la philosophie », et qui était devenu pour moi un repoussoir, n’était nullement de l’histoire stricto sensu. Examiner les auteurs du passé, c’est être un examinateur, un exégète ou un commentateur, non pas un historien. La culture historique me semblant essentielle pour poser correctement des problèmes philosophiques, j’ai entrepris depuis de me faire historien de la philosophie. Mais selon des méthodes qui ne sont pas exactement celles que l’on m’enseignait jadis.
Quant à mes professeurs, certains ont été de véritables stimulants intellectuels. J’aimais (avec toute ma naïveté d’alors) croiser le fer avec eux, leur présenter des arguments, des objections, des suggestions… Ils étaient bienveillants envers moi parce qu’eux-mêmes souffraient des défauts structurels de l’enseignement universitaire de la philosophie en France (et ailleurs, mais c’est un autre sujet).
Quel est le livre de philosophie qui vous a particulièrement passionné ? L'auteur pour qui vous avez eu un véritable coup de foudre ?
Le premier livre de philosophie pour lequel je me suis dit, en le lisant, « voilà un sacré os à ronger ! », est Être et Temps de Heidegger. Mais ma lecture de L’être et le néant, de Sartre, juste après, m’a fait penser qu’il était encore meilleur guide. Michel Henry intégra ensuite mon panthéon sans en chasser Sartre. Pendant une petite dizaine d’années, la phénoménologie me semblait devoir être mon interlocutrice principale. Mais plus j’étendais ma culture générale en philosophie, plus j’en voyais les limites. Vers mes 30 ans, je découvris Alain (et, de là, Montaigne, Pascal, Lequier, Lagneau, Fouillée et Valéry) qui m’ouvrit d’autres horizons et me convertit à la « philosophie réflexive ».
Mais peu à peu, je regrettais de ne pas trouver chez lui ce qui, déjà, me manquait dans l’univers phénoménologique, à savoir une authentique culture scientifique et surtout une compréhension plus fine des rapports philosophie-science. J’ai toujours été navré que les philosophes contemporains soient si peu ouverts à la recherche savante, alors même que celle-ci révolutionne périodiquement la vie intellectuelle (je considère ici toutes les sciences, et pas seulement les sciences de la nature). Je forcerais à peine le trait en disant que cela revient à se priver (sous couvert d’autonomie intellectuelle et de métadiscours transcendantal) de la source vive de production des idées nouvelles.
Je me tournais donc vers des auteurs pour qui la science était une alliée plus qu’une concurrente. C’est dans ce contexte que je (re)lus des philosophes-savants ou des savants comme Tocqueville, Durkheim, Freud et surtout Piaget. Tombé fortuitement sur l’œuvre de Gustave Le Bon, je l’engloutis d’une manière vorace en quelques années. Aujourd’hui, j’ai presque cessé de lire les philosophes de la tradition ; je me nourris essentiellement d’autre chose (de sciences humaines). J’exagère : je lis encore des philosophes, et même des classiques, mais, le plus souvent, avec l’œil d’un historien que j’essaye d’être aussi.
Quels sont vos projets, vos travaux de recherche ?
Depuis plusieurs années, je suis engagé dans un travail ambitieux, voire téméraire, qui consiste à appliquer à l’écriture de l’histoire de la vie intellectuelle (philosophie, sciences, pensée politique, théologie, mystique, essayisme, etc.) la méthode que j’ai théorisée dans divers articles. Autrement dit, j’entreprends de réécrire cette histoire, dans un ouvrage qui s’appellera Histoire universelle de la vie intellectuelle. Universelle, c’est-à-dire qui prend en compte toutes les grandes civilisations dont l’évolution intellectuelle (singulièrement philosophique) a fait l’objet de travaux sérieux. Je me suis donc plongé dans l’histoire de la pensée égyptienne, grecque, romaine, arabo-musulmane, indienne, chinoise, japonaise, russe et bien sûr aussi celle de l’Europe occidentale. Il me reste deux-trois chapitres à écrire – et peut-être d’autres encore, car ma liste reste ouverte…
La raison qui me pousse à sortir momentanément de ma discipline pour faire de l’histoire est la suivante : j’ai remarqué que la pensée philosophique était très sensible aux contextes historiques et sociaux. Autrement dit, ceux qui font profession de penser librement et universellement sont en fait largement influencés par leur temps et leur milieu. Or quel est le meilleur moyen de s’affranchir de ses conditionnements, sinon les mettre au jour ? C’est donc pour mieux philosopher ensuite que je philosophe moins depuis quelques années…
Merci Vincent, pour ce témoignage !
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