couverture du livre Etre et temps de Heidegger

Résumé de : Etre et temps

Dans cette œuvre majeure, Heidegger, dans un dialogue avec la pensée grecque la plus ancienne, repose une question enfouie dès l'origine, dès lors qu'elle fut posée : la question de l'être. Cela l'amène à élaborer une ontologie fondée sur de toutes nouvelles bases : l'analytique existentiale du Dasein.

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Du même auteur : Introduction à la recherche phénoménologique - Correspondance avec Karl Jaspers




Etre et Temps est un ouvrage inachevé, et pourtant il a suscité, dès sa parution, un vif intérêt. On a rapidement compris qu’on se trouvait là face à une nouvelle manière de philosopher ; là, devant nos yeux, se déployait une pensée libre, élaborant ses propres termes, les légitimant, remontant à la pensée grecque la plus originaire tout en s’inspirant des doctrines contemporaines telles que la phénoménologie.

De la même manière qu’il a fallu à l’humanité plusieurs siècles pour accueillir les œuvres de Platon et d’Aristote, les méditer, les mûrir, se les approprier, il faudra probablement plusieurs siècles pour comprendre l’ampleur de l’apport d’Etre et Temps, en sa radicale et inouïe nouveauté.

Après avoir achevé l’ouvrage, on ne peut que partager l’avis de l’un de ses traducteurs, Emmanuel Martineau : Sein und Zeit est le chef-d’œuvre de ce siècle.


Pourtant, de nombreuses difficultés entourent la lecture et la découverte de Heidegger, que nous ne pouvons que vous encourager à dépasser. Le mieux est probablement de les résumer brièvement, et d’essayer de lever ces obstacles.

Tout d’abord, Heidegger s’est gravement compromis avec le régime nazi. Il a adhéré au parti en 1933, jusqu’à la fin en 1945. Il offre à son frère un exemplaire de Mein Kampf et accepte de devenir recteur de l’université de Fribourg-en-Brisgau en 1933, lorsque Hitler prend le pouvoir. Même s’il démissionne l’année suivante, il a donc bénéficié pour son avancement universitaire de la politique de purge initiée par les nazis. Ce qui est particulièrement retors, c’est qu’il commence, semble-t-il, à prendre ses distances avec le parti après la défaite de Stalingrad, ce qui montrerait un revirement simplement opportuniste et pragmatique.

De ce fait, un débat violent s’est ouvert entre les heideggériens et ceux qui refusaient l’introduction du nazisme dans la philosophie, tels qu’Emmanuel Faye ; les premiers ayant parfois tendance à minimiser le problème, voire le nier. La parution des Cahiers noirs en 2014 a finalement clos le débat, puisque l’on trouve dans ce recueil des considérations d’un antisémitisme indéniable, représentatif des clichés de l’époque.

Il faut donc conserver à l’esprit tout cela lorsqu’on lit Heidegger, ne pas sombrer dans un hagiographisme béat qui nierait cette part sombre. Il faut le lire comme on lit Céline, avec toutes les précautions et la prudence que cela impose. Mais il faut le lire, sous peine de passer à côté d’un des plus grands penseurs du XXème siècle. Cette part sombre ne peut venir ternir son génie, ces deux aspects d’un seul et même homme se situent sur des plans différents.


La deuxième difficulté concerne la traduction même d’Etre et Temps. C’est Gallimard qui possède les droits, et de ce fait seule cette maison d’édition peut commercialiser une traduction française de l’ouvrage ; toute traduction alternative est interdite, et ne peut circuler que de manière informelle, hors commerce, jusqu’à ce que l’œuvre tombe dans le domaine public, ce qui ne se produira pas avant quelques dizaines d’années.

Or cette traduction, la seule autorisée, a soulevé de nombreuses critiques. Gallimard a confié cette tâche à des heideggériens de la première heure, dont le travail reposait sur des présupposés qui font débat. De nombreux néologismes ont été forgés, des mots très anciens de la langue française ont été exhumés, ce qui rend le texte heideggérien, déjà difficile, assez obscur. Le lecteur étonné pouvait découvrir, au fil du texte des termes aussi exotiques que « factivité », « ouvertude », « immondation », etc.

Ce qui constituait un obstacle majeur pour comprendre la pensée de Heidegger. De nombreux lecteurs, découragés, abandonnèrent l’entreprise ; quelques-uns purent se tourner vers le texte original allemand.

Face à cette situation, Emmanuel Martineau, professeur au CNRS, prit l’initiative de faire paraître une nouvelle traduction, reposant sur de tout autres présupposés. Le texte, bien plus lisible, apparut alors dans tout son éclat, toute sa majesté. Seulement, en raison des questions de droit exposées ci-dessus, cette traduction ne fut pas commercialisée et ne put que circuler sous le manteau. On la trouve à présent en ligne.

Il faut donc franchir ce second obstacle : nous travaillerons sur la traduction Martineau. La traduction officielle reste néanmoins intéressante en seconde lecture, pour enrichir notre compréhension du texte : elle aussi est le fruit d’un long travail de passionnés, qui se confrontent courageusement au texte heideggérien. En la lisant, on peut voir à l’œuvre ce phénomène fascinant : deux traductions peuvent conduire à un résultat complètement différent alors qu’elles partent d’un même texte initial.


La dernière difficulté est liée à la dichotomie qui scinde la pensée philosophique depuis le 20ème siècle et oppose d’un côté la philosophie continentale, et de l’autre la philosophie analytique, anglo-saxonne. Pour ceux qui partagent l’approche analytique, les doctrines des philosophes « continentaux » (français, allemands…) tels que Hegel, sont en réalité dénuées de sens. La philosophie doit se concentrer sur d’autres tâches comme l’analyse logique des énoncés.

Heidegger est l’une des cibles de ce courant, et ce dès l’origine : Carnap, dans le Manifeste du cercle de Vienne, se gausse de cette proposition de Heidegger le néant néantit, en montrant par une analyse logique que ce simili-énoncé métaphysique n’a en réalité aucune signification, et ne révèle qu’une carence logique du langage.

Un lecteur qui serait influencé par cette tradition aura du mal à partir à la découverte de la pensée de Heidegger. Un tel monde sépare ces deux conceptions de la philosophie que le livre aura tendance à lui tomber des mains. Nous ne pouvons que l’encourager à persister, à s’intéresser à une tout autre manière de philosopher et ainsi franchir ce dernier obstacle.


A présent que ces difficultés sont évoquées, posons-nous la question : quel est le projet général qui a présidé à la rédaction d’Etre et Temps ?