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couverture du livre

Albert Camus, soleil et ombre

Roger Grenier (1919-2017) est un écrivain, homme de radio français et jeune membre de la rédaction du journal Combat, le journal de Camus. Il a participé à la publication posthume des œuvres de Camus après sa mort précoce, à quarante-six ans.

Cette biographie fabuleuse retrace scrupuleusement et chronologiquement l’œuvre d’Albert Camus et précise par endroits ses liens avec la philosophie comme discipline ainsi qu’avec les philosophes de son temps.


Éléments biographiques

Albert Camus, né à Belcourt (une commune d’Alger) dans une famille d’illettrés est un transfuge de classe. Son père Lucien meurt d’une blessure lors de la bataille de la Marne. Féru de football, il est atteint d’une tuberculose pulmonaire qui l’empêche de se rêver en sportif professionnel et le rapproche de la philosophie.

Comme souvent, ce sont des professeurs qui l’inspirent dont Jean Grenier – l’homonymie avec l’auteur Roger Grenier semble être une coïncidence - professeur de philosophie au lycée d’Alger entre 1930 et 1938, collaborateur des éditions Gallimard chez qui Albert Camus travaillera plus tard comme lecteur.

Jeune étudiant de philosophie, Camus est déçu par Bergson, inspiré par Schopenhauer et Nietzsche : la facticité de la vie que l’on retrouve dans les textes de Camus est une référence nette. Après quelques contributions comme critique dans Alger-Étudiant, Camus se passionne pour le théâtre.

Il milite brièvement auprès des communistes avant de s’écarter du mouvement et anime la rédaction d’Alger-Républicain, interdit pendant la guerre.

Je ne suis pas philosophe

Albert Camus n’est pas philosophe, du moins c’est ce qu’il dit. Il décrit seulement l’attitude de l’homme confronté à l’absurde de la condition humaine. Quand Camus traite de l’absurde, il ne le fait pas en métaphysicien mais en témoin. Il n’aime pas les compliqués ou les cérébraux 1, apprécie le corps et ses voluptés.

Aussi, Camus ne se reconnaît-il pas dans le travail des philosophes, moins encore dans les mouvements (l’existentialisme ou le nihilisme) auxquels il a été associé. Cela ne l’empêche pas d’avoir des références philosophiques : Jaspers, Heidegger ou encore Kierkegaard. Pour l’anecdote, il appelle son chien Kirk en hommage à Kierkegaard et le surnomme le chien de l’Angoisse.

Existentialiste, il ne l’est pas car il défend l’idée que l’homme est responsable et libre, qu’il est sa propre fin. Chez les existentialistes au contraire, la transcendance (une fin extérieure à l’homme) joue un rôle majeur.

Nihiliste, il ne l’est pas non plus. Dans L’homme révolté 2, il défend une révolte qui n'est pas destruction de l’ordre existant pour la destruction, mais pour établir des valeurs créatrices.

Camus, Sartre

En fait, Albert Camus est un moraliste. Ses véritables maîtres sont d’ailleurs les grands moralistes du XVIIème (ces intellectuels qui décrivent les mœurs de leur époque pour défendre une vision de la nature humaine).

Chez Camus, c’est l’absurde (ou le non-sens de la vie) qui permet le mieux de qualifier le monde. D’où la confusion existentialiste. En effet, à Paris, Camus fréquente Sartre et Simone de Beauvoir. Sartre est aussi un philosophe de l’absurde. Sartre publie une explication de l’Étranger et nomme Camus le cartésien de l’absurde.

C’est cette proximité qui fait dire de Camus qu’il est existentialiste comme Sartre, mais d’après Camus, tous les deux s’étonnaient que leurs noms soient associés par la critique. Seule chose qu’ils partagent : de ne pas croire en Dieu et dans le rationalisme absolu. Quand nous nous sommes connus, ce fut pour constater nos différences, insiste Camus dans une interview aux Nouvelles Littéraires en 1945.

Roger Grenier résume : Camus et Sartre sont deux philosophes de l’absurde, mais le premier est cartésien dans la mesure où, chez lui, le monde existe par ma propre conscience quand le second met en scène la connaissance de soi en face de l’autre. Pour les existentialistes, l’autre est aussi certain que le moi.

Une pensée de midi

Roger Grenier définit aussi la philosophie de Camus comme une pensée de midi 3. Camus est le fils d’une race du soleil et de la mer 4 selon ses propres mots. C’est une philosophie de la joie que propose Camus, convaincu qu’il est bien plus exigeant de vivre l’amour et la beauté que la misère. C’est la beauté qui rend l’existence tragique, la beauté et la joie, qui n’a rien à voir avec le rire.

Plus tard, il écrit dans La Peste : Oui, Rieux, c’est bien fatigant d’être un pestiféré. Mais c’est encore plus fatigant de ne pas vouloir l’être 5.


Voilà quel genre de philosophie est celle de Camus, même si celui-ci ne se définit pas comme un philosophe. Il voulait écrire sur Spinoza, Hegel et Platon mais ces essais critiques ne seront jamais que des projets.

Au lieu de cela toutefois, Camus rédige une analyse de la philosophie de Brice Parrain, philosophe de la mort du communisme et de l’existentialisme, comme Camus. Obsédé par le langage, comme Camus.

Conclusion

En levant les yeux hors de cette biographie signée Roger Grenier, véritable fresque sur l’œuvre de Camus, nous retenons deux choses : si Camus est le père d’une certaine philosophie, il est l’héritier d’un moraliste, et l’initiateur d’une philosophie de la Méditerranée.

Cette pensée de midi l’empêche de sombrer dans le nihilisme et la radicalité stérile. Midi en effet est cette heure où le soleil est au centre du ciel, et cherche l’équilibre entre des pôles contradictoires. Une lecture nécessaire et magistrale.

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 Albert Camus, Noces suivi de L’été, Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, 1959, p. 28.
2 Gallimard, 1951
3 Repris dans Jacques Chabot, Albert Camus, la pensée de midi, Édisud, 2002.
4 Noces, Op. Cit, p. 19.
5 La Peste, Chapitre 45