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Philothérapie : Redonner à la philosophie sa vocation thérapeutique.

Une contribution de Patrick Sorrel

Une réflexion sur la notion de philothérapie : de quoi s'agit-il, et comment expliquer son succès actuel ?


Philothérapie ou philosophie pratique ?

Loin de moi l’idée de faire une longue histoire de la philothérapie, dans cet article. Il n’y aurait certes pas de quoi remplir une page – rares sont les philothérapeutes assumés, hier et aujourd’hui ; mais surtout ce serait basculer dans le reproche que je fais à l’histoire de la philosophie en général : perdre l’essentiel à force de recherche de précision et de détail. J’essaierai donc ici de me concentrer sur l’essentiel : sur l’esprit de la philothérapie, selon moi. Et pour réaliser cela, il convient en premier lieu de situer l’intention propre à la philothérapie, au sein de la catégorie plus vaste de la philosophie.

Dans son manifeste de création, l’association « Les artisans de la philo » distingue trois usages de la philosophie : universitaire, médiatique et pratique. Le premier se décline certes en recherche et en enseignement, mais son moteur commun est l’expertise. Le second usage se décline en publications et en interventions dans les médias ou sur les réseaux sociaux : il vise plutôt à la démocratisation de la pensée, quitte à user parfois de simplification. Le troisième se décline en cafés ou ateliers philosophiques pour adultes ou enfants, en consulting d’entreprises ou en coaching ; enfin en philothérapie. Le point commun de ce 3ème usage est la volonté de s’inscrire dans une action concrète : il est résolument pragmatique. A quoi cela sert-il de raisonner, d’expertiser et de rendre la pensée accessible au plus grand nombre, si ce n’est dans l’espoir d’obtenir un gain bien concret ? La question devient par conséquent la suivante :

Qu’est-ce que la philothérapie espère nous faire gagner ?

Nombreuses sont les définitions que l’on donne à la philosophie : quête de sagesse, soif de connaissance (ces deux définitions tirant leur origine de l’ambivalence de l’étymologie grecque du concept de « sophia », qui signifie à la fois « science » et « sagesse »), analyse de la pensée, ou encore construction d’un système idéologique cohérent et rationnel. Pour moi, l’essentiel est à rechercher en amont (lisez cette phrase à l’envers et vous le verrez ! ) : la philosophie est la recherche d’un sens profond, essentiel, à l’existence.

Si l’on accepte ce postulat, l’intention de la philothérapie devient évidente : celle-ci considère que le sens que l’on donne à sa vie possède des conséquences non négligeables sur le bien-être, la santé et la capacité à agir, à initier des actions authentiquement créatives dans le monde. Et ceci tant du point de vue individuel que collectif, social, politique. Combien de personnes, aujourd’hui, affirment sans complexe ne trouver aucun sens à la Vie, à leur propre vie ? Et quelle en est la conséquence ? Combien d’autres personnes se rassurent en suivant aveuglément des prêcheurs de sens, qu’ils soient religieux, scientifiques ou politiciens ? Et quelle en est la conséquence ? Combien, enfin, seraient prêt à remettre à plat la question du sens, et à entamer une démarche philosophique, nécessaire selon moi pour traverser dignement cette maladie du sens ?

Chercher le sens à travers ses 3 sens...

Il faut ici s’arrêter quelques instants sur l’idée-même de sens. On ne peut la restreindre à la seule recherche d’une signification, c’est-à-dire d’une explication cohérente en termes de raison, de but (quelle est la raison de tout ceci ? Y a-t-il un but?). Car le sens, c’est aussi la direction que va prendre l’action (pensons au fameux sens interdit), et enfin c’est avant toute chose la sensation qui nous traverse (le sens commun, le 6ème sens...). Signification, direction et sensation sont intrinsèquement liés, et la philothérapie se doit d’agir sur les trois, si elle veut représenter un gain palpable pour l’individu.

Partons d’un postulat, certes difficile à démontrer ici, mais évident pour moi : la perte de sens (au sens de signification, de raison d’être) ne provient que trop souvent d’une perte de contact avec nos propres sensations, par conséquent avec notre corps-propre. Retrouver le plaisir de la sensation, de l’émotion, et enfin du sentiment : telle est pour moi l’enjeu premier de la philothérapie.

Mais ce clivage entre notre capacité de raisonner et notre capacité de sentir n’est jamais gratuit, in-sens-é, absurde. Encore faut-il en chercher le sens, chercher à comprendre pourquoi l’on s’est coupé de ses sensations, jusqu’à ne plus ressentir les émotions qui sont autant de preuves que l’on est vivant. Combien de personnes viennent en thérapie en affirmant qu’elles se sont coupées de leurs émotions, ce qui représente visiblement pour elles un problème majeur ?

Chercher le sens de cette distance prise avec la sensation : tel est pour moi l’enjeu second de la philothérapie : et il s’agira de construire à deux une sorte de généalogie du sens, dans ses deux sens : significations et sensations. Comment avons-nous construit les croyances qui nous habitent aujourd’hui ? Comment avons-nous vécu tel ou tel événement, quelle perception en avons-nous eu, quel sens lui avons-nous donné, et quel impact sur notre sensibilité présente, sur notre perception du monde et de notre propre personne ?

Enfin, il y a fort à parier que la perte de sens occasionne des difficultés à avancer sereinement et résolument dans la vie, à créer, à prendre des risques, à jouer. Difficulté à prendre une direction. Hésitation, indécision, paralysie du choix, sentiment de perte de liberté. Ou au contraire dépendance, crédulité, abandon à une direction toute faite, déjà déterminée : perte d’autonomie. Construire ses propres solutions, petit pas par petit pas ; et retrouver l’élan et le désir d’avancer, qui sont toujours présents dans le corps vivant : tel est l’enjeu tertiaire de la philothérapie, telle que je la conçois.

La philothérapie est donc, selon moi, véritablement une thérapie philosophique ; ou encore elle est l’usage de la philosophie à vocation thérapeutique : elle prend soin du sens et lui redonne l’importance fondamentale qu’il a dans la vie d’un individu.

Pourquoi vouloir faire de la philosophie une thérapie ?

Mais deux questions se posent spontanément, lorsque je parle autour de moi de philothérapie, ou encore de thérapie philosophique. En premier lieu, est-ce bien la vocation de la philosophie de s’occuper de thérapie, domaine traditionnellement réservé à la psychologie ? En effet, la philosophie s’adresse à un public pleinement capable de dialogue et de raisonner, elle s’adresse à la raison et exige un interlocuteur en bonne santé psychologique ; alors que la psychothérapie se donne pour mission d’accompagner et de soigner les personnes ayant un trouble psychologique, paralysant plus ou moins profondément le raisonnement et l’intellection. Pourquoi vouloir alors relier ces deux concepts, philosophie et thérapie, alors qu’ils semblent s’adresser à un public si différent ? Ceci amène, comme hypothèse de réponse, la seconde question immanquablement posée : ne serait-ce pas pour « surfer » sur la vague des nouvelles thérapies, si à la mode de nos jours ? De l’instinctothérapie à la thérapie quantique, chacun y va de son néologisme, et on voit fleurir sur la toile un nouveau réseau en plein essor : les thérapies « alternatives ». La philosophie ne chercherait-elle pas à rejoindre le mouvement et à grignoter, elle aussi, une part du gâteau ?

Pour répondre à ces deux questions, et mieux cerner l’essence et l’intention de la philothérapie d’après moi, il convient de revenir à la racine du concept de thérapie, dans la Grèce Antique. Du grec ancien θεραπεία, therapeía (« cure ») dérivé de θεραπεύω, therapéuô (« servir, prendre soin de, soigner, traiter »), lui-même issu de θεράπων, therápôn (« serviteur »), la thérapie prend ses racines dans le soin, dans le service. Or le service ne concerne pas nécessairement une personne malade, puisqu’il prend chez les Grecs deux directions - dont la première semble avoir été oubliée : le soin des Dieux (dans le culte) et le soin des humains (dans la cure). Et paradoxalement, le soin des Dieux revient toujours dans les analyses étymologiques comme la première direction qu’emprunte la thérapie. Les religieuses appelées « thérapeutris » prennent soin des statues des dieux, et elles se chargent de maintenir une bonne relation entre les hommes et les dieux. Les thérapeutes sont donc des personnes qui ont décidé de se consacrer au service des Dieux, et ce n’est pas la maladie qui est l’objet de leurs soins attentifs : c’est de la bonne santé – d’une relation – qu’ils entendent prendre soin, jour après jour.

Prendre soin n’est pas forcément soigner

Il en va de même de la seconde direction de la thérapie, celle qui a trait à la médecine et non plus à la religion. Pour Hippocrate, le plus connu des médecins antiques, la bonne santé requiert un soin tout particulier et quotidien : celui de la préservation de l’équilibre des humeurs (c’est ainsi que sont nommés les quatre grands fluides corporels que sont pour le médecin grec le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire, correspondant respectivement aux quatre éléments que sont l’air, l’eau, le feu, et la terre). Sans rentrer dans les détails physiologiques fort instructifs de cette conception homéostasique, il convient juste de remarquer ici que le soin n’a pas pour fonction première de réparer mais de préserver, de prévenir. La maladie est en effet une rupture d’équilibre du corps, liée à l’excès d’une des humeurs (occasionnant et/ou provenant du défaut d’une autre). Ce que la mal-a-die nous dit – pour jouer utilement sur les maux – c’est qu’un des besoins du corps n’a pas été bien compris, soit en le satisfaisant à l’excès, soit en oubliant de le satisfaire. Le soin, c’est donc l’attention que l’on porte au be-soin et à sa juste régulation. L’étymologie ne nous dit pas autre chose, puisque le terme « besoin » provient du francique « bisunnia » formé à partir du préfixe germain « bi- » signifiant « auprès » (cf l'allemand « bei ») et du radical « soin ». Le thérapeute est celui qui prend soin de nos besoins et de leur équilibre, en veillant à la bonne régulation des fluides et des humeurs. Comme le culte aux Dieux, la cure n’est pas forcément réparatrice : le jeûne ou la cure thermale en sont les preuves les plus flagrantes ; et c’est tout à fait dommage que l’on attende souvent d’être malade pour y avoir recours.

Ce qu’il faut retenir de tout ceci, c’est que dans les 2 cas (culte et cure), le dénominateur commun est le soin, le service. Le thérapeute prend soin de l’autre, qu’il soit humain, Dieu ou même animal ou végétal. Dans la racine-même du terme de soin, on retrouve le fait d’entretenir attentivement, avec prévenance et sollicitude, ce qui en a besoin : la vie. Pour cela, le thérapeute doit se mettre au service de l’autre, il prend soin de lui, quitte à vouer sa vie à cela. C’est le sacerdoce des prêtres et prêtresses d’un côté, le serment des médecins de l’autre. C’est aussi la vocation d’un Socrate, qui parcourt les rues d’Athènes pour prendre soin de la santé psychologique de ses compatriotes, à l’aide de l’outil maïeutique, ou l’art de faire accoucher les esprits. Socrate aime en effet clamer que sa mère était sage femme et accouchait les corps (ce qui fait bien évidemment partie du service) ; lui-même ayant repris le flambeau thérapeutique à un autre niveau...

Et la philosophie dans tout ça ?

La naissance de la philosophie est là : dans le trajet quotidien d’un homme qui se met au service des autres, et qui ne cherche à pas à leur enseigner quoi que ce soit (c’est le travail des sophistes, ces « vendeurs de savoir », des péda-gogues et des déma-gogues de toute espèce) mais à prendre soin d’eux et à les soigner de leur plus grand déséquilibre : l’hybris.

En grec, hybris signifie à la fois orgueil et démesure. Orgueil (le fait de ne pas connaître sa juste place dans le groupe humain) parce que démesure, déséquilibre, excès dans une direction, au détriment des autres. Or l’excès est souvent le fait d’une croyance in-questionnée, qui a ainsi pris trop de place dans l’économie psychique de l’individu. Pourquoi a-t-elle pris autant de place ? Il faudrait un article à part entière pour répondre à cette question ; je me contenterai ici de pointer une fois de plus vers le besoin. Une croyance répond toujours à un besoin, ceci est le postulat de ma posture philosophique pragmatique. Pour chercher le moteur de la croyance, il faut en trouver le besoin originel : la croyance est la stratégie employée pour satisfaire le besoin (de reconnaissance, d’appartenance, etc.). Mais la stratégie n’est pas toujours raisonnable, et parfois même elle sort de toute mesure, un peu comme une addiction aurait dû à l’origine être uniquement la satisfaction d’un besoin. Cette croyance addictive devient alors dogmatique, au sens où un dogme est une « vérité » qu’on doit bien se garder de remettre en question. Pour soigner l’hybris, il faut fragiliser la croyance, instiller le doute, douloureux comme tout remède certes, mais salutaire pour l’âme. Et pour prévenir cet excès dogmatique d’une croyance au détriment des autres, il convient d’entretenir le doute, de prendre de la distance vis-à-vis de ses croyances, et de toujours chercher à apprendre. C’est le premier rôle thérapeutique de la philosophie.

Avant d’être théorique et abstraite, enseignée par et à une élite dans les grands lycées et académies grecques, la philosophie est une fille de la rue, marchant pied nu et cherchant à questionner ceux qui voudront bien partager ce soin à deux raisons qu’est le dia-logue, pendant quelques minutes ou quelques heures. C’est en tout cas l’image que je me fais de Socrate. Les mains sales (pour plagier Sartre), dans la dure besogne du travail au corps des croyances les plus profondes ; et les pieds dans la boue, au contact de la terre qui nous rappelle à notre humilité. Car nous sommes tous pétris de croyances plus indémontrables les unes que les autres (l’athée n’est-il pas aussi croyant que celui qu’il nomme croyant, lui qui nie fermement et sans autre forme de procès l’existence d’un Dieu?) ; ceci car nous sommes tous des êtres de besoins, et que nous nous sommes débrouillés comme nous pouvions pour trouver des stratégies plus ou moins efficaces, plus ou moins nuisibles sur le long terme, afin de palier à l’urgence. La philothérapie ne s’adresse pas à un public spécialisé, elle s’adresse à tout humain, dans sa vulnérabilité et ses tentatives parfois désespérées de conserver un équilibre psychique précaire…

Redonner sa place au corps dans le soin de l’esprit

Mais cette philothérapie socratique est encore très intellectuelle, puisqu’elle présuppose que c’est en prenant soin des croyances seulement, que l’on peut échapper à la maladie mentale qu’est le dogme. Je ne vois pas Socrate comme une personne prenant vraiment soin de son corps, que ce soit dans les banquets (buvant et mangeant beaucoup, s’en retournant ivre chez lui, marchant pieds nus dans la neige…) ou du fond de sa cellule lorsque, condamné au suicide volontaire pour avoir dénié les divinités grecques et corrompu la jeunesse, il clame haut et fort à Phédon qu’il va bientôt être débarrassé de ce corps qui l’empêche de voir la vérité toute nue. Je ne sais pas s’il l’a vu, cette vérité tant désirée, mais je questionne sincèrement cette croyance qu’il faudrait se passer du corps pour accéder à l’essence de la réalité. N’est-ce pas encore une illusion de la conscience, de laquelle la philosophie pourrait et devrait nous mettre en garde ? N’est-ce pas encore une croyance qui, si elle est érigée en dogme, peut devenir radicalement dangereuse pour l’individu et pour le groupe ?

Ma croyance personnelle est que rien n’est vain ni inutile dans cette vie : nous ne nous sommes pas incarnés pour devoir ensuite espérer quitter au plus vite ce corps. La philothérapie, telle que je la conçois, interrogera aussi la croyance immatérialiste chère à Socrate : elle questionnera ses origines, son intention, enfin le besoin qu’elle cherche (peut-être maladroitement) à servir. En attendant, une thérapie ne peut pas être complète si elle délaisse le corps, si elle est trop intellectuelle. Car si changer sa croyance a un impact non négligeable sur la vie « réelle », dans le concret de la matière et des corps, la contrepartie est vraie : c’est par le travail sur son propre corps que les évolutions psychologiques et spirituelles les plus efficaces auront lieu.

Pas de démarcation nette, dans ce cas, entre prendre soin du corps (la somathérapie) et prendre soin de l’âme (la psychothérapie). La philothérapie entend relier ces deux notions : elle prend soin de l’âme, justement parce qu’elle aime prendre soin du corps, en premier lieu. Il n’est toutefois pas question de parler ici de culturisme ou de gymnastique (même si cette discipline était déjà présente dans la pédagogie platonicienne), mais d’un authentique dialogue avec le corps sous ses trois dimensions.

Le travail sur les 3 corps

Interroger le corps-image, indicateur fidèle des croyances qui nous habitent parfois-même inconsciemment, et des blessures psychiques que nous avons inscrites dans notre chair : c’est la première direction que je donne à une séance de philothérapie.
Retrouver le corps-propre, souvent masqué par le réseau d’habitudes et de techniques acquises que je nomme « corps-outil » : c’est la seconde direction, qui nécessite la pratique de l’attention, de la présence à soi et à l’autre, au sein-même de la relation qui se construit dans le dialogue philothérapeutique.
Enfin, permettre au corps de trouver ou de retrouver des chemins efficaces pour que l’énergie - notamment celle libérée par le travail sur les croyances, mais aussi celle trop longtemps bloquée ici et là dans le corps - puisse à nouveau circuler librement. Or cette énergie est d’essence émotionnelle. La psychanalyse la nomme « transfert », et en fait un danger dont le médecin doit toujours se méfier, s’il ne veut pas subir les décharges irrationnelles de haine ou d’amour du patient. La philothérapie (telle que je la conçois) cultive cette énergie et lui offre des moyens d’expression (par le cri, le chant, le mouvement, la danse, etc.), pour que s’incarne dans le corps les changements émotionnels qui affectent l’individu évoluant dans ses croyances.

Prendre soin de l’âme, par le travail sur les croyances, et prendre soin du corps, par le travail sur l’attention et les émotions : telle est la vocation de ma pratique philothérapeutique.

Epilogue

Revenons maintenant à la question laissée en suspens celle de l’engouement actuel pour les thérapies de toutes sortes. Pourquoi autant de personnes décident aujourd’hui de changer de métier, de se mettre en danger financièrement, pour créer une entreprise ou une association à vocation thérapeutique ? Est-ce uniquement un effet de mode, ou faut-il trouver un sens à cet engouement ? Il n’est pas à propos, dans cet article, de donner une réponse définitive à cette question : disons que c’est affaire de croyance. Chacun peut décider, en son for intérieur, s’il croit que l’humain se comporte encore, comme à son habitude, comme un ovin qui suit le troupeau des nouvelles thérapies ; ou s’il pense au contraire qu’il y a derrière cet engouement une signification particulière, un mouvement historique en train de naître. Pour ma part, je constate juste que cela fait maintenant des siècles et des siècles que nous offrons généreusement nos problématiques (elles-mêmes étant des héritages transgénérationnels) à nos chers bambins. D’aucuns diraient même que c’est la principale raison de faire des enfants, que de pouvoir se payer le luxe de décharger sur eux ce que nous n’avons pas réussi à gérer durant notre propre vie.

Or je crois aussi que cela est – doucement, tout doucement – en train de changer. Que de plus en plus de gens refusent de « refiler la patate chaude » à leurs enfants, et préfèrent travailler sur eux, de leur vivant. S’il y a de plus en plus de thérapeutes, c’est qu’il y a de plus en plus de demande. Ce n’est pas que les gens soient de plus en plus malades. C’est qu’ils sont de plus en plus lucides sur leurs propres blessures, et de plus en plus soucieux de leur responsabilité d’humain, de parent, de conjoint. La conscience humaine évolue vers plus de transparence : telle est ma croyance. Inutile de me demander de la justifier, je n’ai aucune preuve à donner et n’en ressens pas le besoin. Cette croyance, parmi les autres que j’emprunte pour un temps, donne du sens à mon propre travail et me permet d’avancer dans le chemin que j’emprunte depuis déjà un temps. C’est en ce sens que j’affirme être un thérapeute pragmatique, au sens où W. James entendait ce concept :

Croyez que la vie est digne d’être vécue, disait W. James, et votre croyance aidera à en créer le fait.

Auteur de l'article :

Patrick Sorrel est philothérapeute, professeur agrégé de philosophie, directeur d'une école démocratique, et auteur de cinq ouvrages sur la liberté intérieure. En savoir +