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couverture du livre

Fichte, le moi et la liberté

Jean-Christophe Goddard est un professeur de philosophie qui exerce à l’Université de Toulouse Jean Jaurès.

Ses travaux portent sur Johann Gottlieb Fichte, un philosophe allemand à cheval entre les 18e et 19e siècles. Il a présidé l’Internationale Fichte Gesellschaft de 2006 à 2012. Plus récemment, ses travaux portent sur la colonisation.

Ce texte rassemble une série de commentaires sur Fichte. Sa lecture est exigeante et devrait être réservée aux persévérants. Il réunit des textes de Jean-Christophe Goddard, Franck Fischbach, Yves-Jean Harder, Mark Maesschalck, Claude Piché, tous spécialistes de Fichte.


Le moi et la liberté au centre de la philosophie de Fichte

En introduction, Jean-Christophe Goddard précise les contours du titre choisi : le Moi et la liberté. Le Moi, chez Fichte, répond au principe d’identité. A = A. Or, dans la philosophie de Fichte, le Moi accomplit la totalité de sa destination en s’efforçant à être libre. A n’est donc réellement égal à A que lorsqu’il est libre, c’est-à-dire lorsqu’il répond à une pure activité, d’où la solidarité fondamentale entre la réflexion sur l’identité et celle sur la liberté chez le philosophe.

Dès lors que l’on peut affirmer qu’A = A, nous nous situons dans le champ du « Moi absolu ». Quand le A est confronté à un non-A (un Non-moi, un toi par exemple), alors on parle du « Moi fini ».

Tous ces concepts répondent à la volonté propre à Fichte de faire de la philosophie une science rigoureuse, même si le christianisme y tient une place de choix. Son livre de référence s’intitule Doctrine de la science 1.

Fichte et Kant

Son principal dialogue philosophique s’est établi avec Emmanuel Kant – dialogue que ce texte cherche à qualifier exactement. Leur école philosophique ? L’idéalisme allemand. On en connaît la définition kantienne, établie par Emmanuel Kant lui-même :

J'entends par idéalisme transcendantal de tous les phénomènes la doctrine d'après laquelle nous les envisageons dans leur ensemble comme de simples représentations et non comme des choses en soi, théorie qui ne fait du temps et de l'espace que des formes sensibles de notre intuition et non des déterminations données par elles-mêmes ou des conditions des objets considérés comme choses en soi 2.

Fichte et l’idéalisme allemand

- Que nous envisagions les choses du monde comme des représentations, et non comme des choses en soi, cela veut dire que tout ce qui n’est pas « Moi » n’est perçu qu’à travers le « Moi ». Tout Non-moi n’est que pour le moi.

C’est ainsi que la philosophie de Fichte retravaille l’idéalisme kantien. Pour lui, le sujet est la condition de possibilité du monde empirique et de toute connaissance. Cela conduit à un paradoxe intéressant : le Moi est tout, puisque condition de toute connaissance, mais rien, puisqu’il n’est rien pour lui-même.


- De l’idéalisme allemand, Fichte hérite également de la théorie kantienne de la raison ; la raison désigne tout ce qui est a priori et ne relève pas de l’expérience. Elle peut être pratique (lorsqu’elle contient la règle de la moralité) ou théorique (quand elle concerne la connaissance).

Une autre définition distingue les deux raisons ainsi : alors que la tâche de la raison théorique est de connaître ce qui est, de distinguer le vrai du faux, celle de la raison pratique consiste à dicter ce qui doit être, à différencier le bien du mal.

Chez Kant, il existe un primat net de la raison pratique – donc de la question morale, « tu dois » - sur la raison théorique. Chez Fichte, la détermination des raisons pratiques et théoriques est réciproque pour le Moi. Elle est d’abord pratique quand on est face au Moi-pur et devient théorique l'application de ses lois à un Non-Moi qui la limite.


- Fichte hérite enfin de la théorie kantienne du mal radical. Pour ces deux auteurs, contrairement à des penseurs comme Saint Augustin, l’origine du mal n’est pas à chercher dans les limites intrinsèques de la créature, mais dans l’exercice de la liberté.

Toutefois, leurs visions diffèrent à la marge : chez Fichte, l’homme qui commet le mal n’est pas forcément en pleine conscience du devoir ; ce qui est une condition sine qua non chez Kant.

Chez Fichte, le mal réside dans « l’inertie » (par inertie, il faut comprendre un phénomène physique, mais aussi la paresse, lâcheté, fausseté, qui sont les corollaires de cette tendance générale à l’inertie). En effet, même si la liberté constitue l’essence de l’homme, il n’est pas naturel qu’il la réalise en lui. Quand l’homme ne réalise pas la liberté qui le constitue, quand il n’exploite pas sa pure activité, l’inertie dans lequel il nage le conduit à commettre le mal.

Conclusion

D’autres thèmes sont abordés, d’autres dialogues sont esquissés comme la fonction fabulatrice en référence à Bergson, les liens de Fichte avec Schelling ou avec le divin.

La lecture est dense, et implique qu’une lecture attentive de Fichte ait déjà été faite. Nulle explication des concepts fondamentaux n’y est esquissée ; il s’agit plutôt pour les auteurs d’adresser leurs hypothèses de lecture à des lecteurs initiés. Toutefois, cette précision faite, la lecture est très stimulante pour la pensée.

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 Écrits de philosophie première. Doctrine de la science (1801-1802), et textes annexes, trad. A. Philonenko, Vrin, 1964, 2e éd. Corrigée, 1972, 2 vol., p.432
2 Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Logique transcendantale, Dialectique transcendantale, Livre II, Ch 1, p. 299.