Hume, L’identité personnelle
Franck SalaünFranck Salaün est docteur en philosophie, spécialiste des philosophes des Lumières. David Hume, philosophe écossais (1711 – 1776) s’inscrit dans cet héritage en tant qu’il propose dans sa philosophie une science de l’homme, en lui appliquant les méthodes des sciences de la nature.
Dans ce texte, le commentateur présente la pensée humienne de l’identité. Que signifie être soi-même ? Il faut comprendre cette réflexion sur l’identité dans le contexte des Lumières, qui ont consacré l’individu moderne.
Chez Hume, l’homme est un être éminemment social, qui existe par et pour ceux qui l’entourent. Notre jugement nous est propre, mais il est largement influencé par le corps social selon la logique de « sympathy » (d’empathie) qui veut que l’individu embrasse volontiers les opinions de son entourage.
L’identité personnelle de l’individu est donc d’abord et avant tout une identité sociale. Puisque l’identité personnelle découle directement des relations que l’individu entretient avec autrui, ce sont les lois qui régissent la société qui l’expliquent et la conditionnent en grande partie.
Toutefois, si l’individu se fond le plus souvent dans le groupe social et recherche son adhésion, il existe aussi en propre. Il est un moi et un moi seul. Cette affirmation est incarnée par Descartes dans la fameuse formule « Je pense, donc je suis ».
Expliquer l’unité de l’expérience personnelle
Le problème de l'identité du moi reste une question irrésolue chez Hume. Il est surtout question de l'unité de l'expérience individuelle : l'esprit ne peut être certain de saisir le lien qui expliquerait que certaines sensations particulières forment un tout composé appelé « moi ».
Le moi chez Hume, c’est l’être d’impressions, de passions, et d’égoïsme. Le concept d’impression est crucial à Hume, parce qu’il sert aussi bien à qualifier le moi, dupé par ses « impressions », qu’à expliquer pourquoi le « moi » est si inqualifiable. Quand l’homme veut expliquer ce qu’est le « moi », comment peut-il être certain de ne pas se laisser avoir par ses propres impressions sur ce qui le constitue en propre ?
La nature de notre cohésion interne demeure inexpliquée, et Hume, revenant sur sa théorie dans l'appendice du Traité de la nature humaine, déclarera que sa propre théorie du moi ne le satisfait pas complètement.
J’ai nourri l’espoir que, quelque défectueuse que puisse être notre théorie du monde intellectuel, elle fût affranchie des contradictions et des absurdités qui semblent accompagner toute explication que la raison humaine donne du monde matériel mais, en revoyant de façon plus stricte la section sur l’identité personnelle, je me trouve engagé dans un tel labyrinthe que, je l’avoue, je ne sais comment corriger mes premières opinions ni comment les rendre plus cohérentes.
Essai pour introduire la méthode expérimentale de raisonnement dans les sujets moraux. (Traduction de Philippe Folliot)
Au mieux faut-il être sceptique sur le cogito cartésien, dit-il. Mais de là à affirmer que l’identité personnelle n’existe pas…il ne s’y résoudra pas, laissant cette question en suspens.
Le texte est décliné en six parties, d’une réflexion générale sur les enjeux du problème de la connaissance de l’homme et de son identité au scepticisme de Hume en passant par l’analyse de la nature humaine et la fiction du moi chez David Hume.
Le moi : fiction, réalité ?
En référence à Descartes, qui affirmait l’existence du cogito, Hume écrit dans son Traité de la nature humaine (livre I, 4ème partie, section V) :
Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre « moi » ; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence ; et que nous sommes certains, plus que par l’évidence d’une démonstration, de son identité et de simplicité parfaites
D’après Franck Salaün, on a faussement attribué à Hume une pensée radicale qui voudrait infirmer jusqu’à la possibilité même d’aborder la notion de moi. En réalité, s’il semble rejeter la théorie de l’identité personnelle de Descartes, c’est un sujet qui le met mal à l’aise, suffisamment pour se corriger, revenir sur ses écrits.
Si le moi est une fiction chez Hume, l’expérience nous prouve que c’est une fiction dont nous pouvons a minima ne pas nous passer. L’identité personnelle est une fiction, mais d’un genre bien particulier ; on peut se demander avec Franck Salaün si cette fiction ne parvient pas, grâce à sa vivacité, à se faire passer pour une idée.
Tout objet qui forme une unité n’a pas d’identité, c’est là une feinte de l’imagination, laquelle mène à un pseudo-savoir sur l’homme.
Ce sont ces réflexions qui font de Hume le penseur par excellence de l’empirisme sceptique, grâce auquel on peut comprendre les paradoxes du « moi ».
Conclusion
Même si Hume conteste philosophiquement la surestimation du « moi », il reste politiquement très attaché à l’émergence de l’individu tel que les Lumières l’ont consacré.
Prenant parti pour l’émancipation totale de l’individu politique, il défend ainsi le droit au suicide en libérant l’homme de la tutelle religieuse, de l’emprise de la société, et y compris de lui-même : rien, ni dans les institutions qui nous gouvernent ni dans les lois morales que nous avons vis-à-vis de nous-même, ne nous imposent de continuer à vivre une vie qui ne nous est plus tolérable.