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couverture du livre

Vivre passionnément avec Kierkegaard

Cet ouvrage répond à la problématique suivante : De quoi souffrons-nous et qu’est-ce qui détermine la condition humaine ?

Kierkegaard est souvent considéré comme le père de l’existentialisme. Dans cette tradition, les grandes formations morales ou théologiques ne préexistent pas à l’existence humaine, qui est fondée uniquement par l’action des hommes, maîtres de leur destin. Ils ne peuvent plus se réfugier derrière Dieu ou l’éthique.

C’est cette liberté face au destin qui justifie que l’angoisse prenne une place si prépondérante dans l’existence humaine selon Kierkegaard.



Damien Clerget-Gurnaud est professeur. Il a écrit plusieurs textes de la même facture, où la lecture des philosophes sert de levier d’action pour l’individu, en particulier Agir avec Aristote (Eyrolles, 2012).

Ce texte, Vivre passionnément avec Kierkegaard, comprend quatre chapitres, « Les symptômes et le diagnostic », « Les clefs pour comprendre », « Les moyens d’agir » et « Une vision du sens de l’existence. »

Il s’agit d’un texte pédagogique et pratique grâce auquel la lecture de textes de Kierkegaard éclaire sur des maux contemporains : l’angoisse, le désespoir, le suicide, documentés par des études récentes. C’est la principale particularité du texte, d’assumer des va-et-vient entre réflexion « sociologique » sur le désespoir aujourd’hui et étude critique de Kierkegaard.

Il s’inspire de textes issus du Traité du désespoir (1849, Copenhague) et de Ou bien…ou bien (1843).

En amont du texte, Damien Clerget-Gurnaud rappelle que la philosophie de Kierkegaard est celle d’une vérité de l’existence individuelle et de la subjectivité. Devenir subjectif est la plus haute tâche qui nous soit assignée. Cette subjectivité explique ce que l’on lit ci-après, que le désespoir, chez Kierkegaard, ne vient jamais de facteurs extérieurs, mais toujours de soi.

Désespérer de soi

Kierkegaard est connu comme le philosophe du désespoir. Le désespoir, chez le philosophe danois, ce n’est pas désespérer d’une chose ; c’est désespérer de soi. Par exemple, explique le commentateur Damien Clerget-Gurnaud, quand on est malade, le désespoir ne vient pas du facteur exogène (la maladie) mais plutôt de notre incapacité à la vaincre. De notre impuissance, de notre vulnérabilité.

La perte de l’être aimé répond à cette même logique. On n’est pas désespéré d’être abandonné ; on est désespéré du moi sans l’autre. Ce moi, dont elle (l’amante) se fut défait, qu’elle eût perdu sur le mode le plus délicieux s’il était devenu le bien de l’autre, maintenant ce moi fait son ennui, parce qu’il doit être un moi sans l’autre 1. C’est ce que la situation arrache au moi qui désespère.

Une idée similaire est exprimée un peu plus loin.

Quand l'ambitieux qui dit « Être César ou rien » n'arrive pas à être César, il en désespère. Mais cela a un autre sens, c'est de n'être point devenu César, qu'il ne supporte plus d'être lui-même. Ce n'est donc pas de n'être point devenu César qu'au fond il désespère, mais de ce moi qui ne l'est point devenu. Ce même moi autrement qui eût fait toute sa joie, joie d'ailleurs non moins désespérée, le lui voilà maintenant plus insupportable que tout 2.


C’est l’idée principale de ce texte. On pense le désespoir comme une autodestruction, alors que le moi se désespère surtout de ne jamais parvenir à être soi ; et face à cette impuissance, à ne pas parvenir à se détruire non plus.

Désespérer : vivre perpétuellement la mort

Le moi qui n’arrive pas à vaincre la maladie, la perte, le deuil, ce moi qui nous désespère, continue à vivre. C’est pour cela que Kierkegaard appelle le désespoir « la maladie à la mort ».

En fait, le désespoir ne mène pas au suicide, précisément, parce que le désespoir, c’est toujours mourir sans mourir, vivre éternellement. L’échec de son désespoir à le détruire est une torture , rappelle Kierkegaard. Le désespoir ne parvient jamais à anéantir le moi, c’est une mort sans arrêt répétée dans la vie, comme l’incarne l’extrait suivant :

Au contraire, c'est de ne pouvoir mourir, comme dans l'agonie le mourant qui se débat avec la mort sans pouvoir mourir. Ainsi être malade à mort, c'est ne pouvoir mourir, mais ici la vie ne laisse d'espoir, et la désespérance, c'est le manque du dernier espoir, le manque de la mort.3


Le rapport du désespoir à la temporalité est expliqué avec précision dans ce texte et en éclaire le sens. Contrairement à la maladie, qui apparaît d’un coup, se manifeste, le désespoir est toujours déjà là. L’individu est bien portant, puis il est malade. Mais les symptômes du désespoir n’en indiquent pas l’origine. Son apparition (du désespoir) montre déjà sa présence. Angoisser est une condition nécessaire et universelle.

Mais angoisser est nécessaire pour prendre conscience de notre possibilité de pouvoir, et donc pour agir

Finalement, la philosophie de Kierkegaard s’incarne dans une expression très volontariste du « devenir soi ». Même si l’angoisse est l’inhérente à l’espèce humaine, en raison de son libre arbitre, de la multiplicité des choix qui s’offrent à lui et de l’incapacité à faire des choix justes, l’homme peut faire le choix d’être soi. Les contemporains sont empêtrés dans la liberté de choisir.

Mais tout l’enjeu est de faire le pari de cet effort vers soi.

Ce texte, didactique et éclairant parce que remettant constamment en lien les problématiques chères à Kierkegaard et des questionnements actuels, satisfera les amateurs de Kierkegaard ; peut-être moins les académiques.

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 cité p. 10
2 Traité du désespoir, p. 358
3 Ibid., p. 69