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Notion : l'Etat

La politique

Ce cours sur l'Etat vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : Big brother, de George Orwell dans 1984, une présentation de l'anarchie, l'Etat comme garantie de la protection du citoyen pour Spinoza...



Sujet possible : L’Etat est-il l’ennemi de la liberté ?


Dans 1984, Georges Orwell décrit un Etat totalitaire, dans lequel les libertés ont disparu. Toutes les méthodes de propagande sont utilisées, et dans chaque rue est placardée une affiche avec le portrait du chef de l’Etat, Big Brother, avec ces mots : Big Brother is watching you.

Il ne s’agit là que d’un ouvrage de science-fiction, mais on peut se demander si cet ouvrage ne jette pas une lumière éclairante sur notre propre société, celle dans laquelle on vit. Celle-ci est régie par un Etat, or ne retrouve-t-on pas un peu de ce Big Brother dans tout Etat ? Celui-ci en effet, par la puissance dont il dispose, et le caractère froid et désincarné de la bureaucratie ne ressemble-t-il pas « au plus froid des monstres froids » dont parle Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra ?

Pourtant, on peut se demander si l’Etat n’est pas plutôt garant de notre liberté et de notre sécurité. Le vrai danger ne vient-il pas des autres hommes, et l’Etat n’est-il pas un rempart nécessaire entre eux et moi ? Qui viendrait garantir ma sécurité ?

On peut donc se poser la question : l’Etat représente-t-il plutôt la condition de la liberté du citoyen, ou un danger pour celle-ci ?

L’Etat ennemi des libertés : Proudhon

L’Etat apparaît d’abord comme celui qui me contraint, qui fait peser sur moi des centaines d’obligations ou d’interdictions.

Celles-ci sont relayées par la bureaucratie qui m’oblige par exemple à remplir tel ou tel formulaire lorsque je souhaite faire ou telle chose, mais aussi par d’autres moyens, des panneaux du code de la route (sens interdit, etc.) aux campagnes de sensibilisation (contre le tabac, etc).

Ces ordres sont si nombreux qu’ils finissent par peser sur moi, mettent des obstacles à la réalisation de mes projets personnels, et finissent par nuire à ma liberté.

Voici comment Proudhon, célèbre anarchiste, présente la situation, dans son ouvrage Idée générale de la révolution au XIXème siècle :


Être gouverné c'est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n'ont ni titre ni la science, ni la vertu...

Être gouverné, c'est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C'est, sous prétexte d'utilité publique, et au nom de l'intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale !

Et qu'il y a parmi nous des démocrates qui prétendent que le gouvernement a du bon ; des socialistes qui soutiennent, au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, cette ignominie ; des prolétaires qui posent leur candidature à la présidence la République ! Hypocrisie !


On le voit : pour Proudhon, l’Etat n’a de cesse de briser les initiatives individuelles et brime la liberté de ceux qu’il régit. Pourquoi ? Car la liberté individuelle est source de danger pour lui.

Il ne faudrait pas que l’homme s’aperçoive qu’une société est possible sans Etat (ce qui est l’un des piliers de la théorie anarchiste). Tout est donc fait pour que l’individu, dans chacune de ses actions fondamentales (se marier, monter un commerce, etc.) reçoive le sceau de l’Etat.

Peut-on se satisfaire pour autant de cette explication ? Si l’Etat entoure le citoyen de tant de contrôles et d’interdiction, n’est-ce pas pour que la vie en collectivité soit possible ? Ne faut-il pas limiter la liberté de chacun pour qu’elle n’empiète pas sur celle de l’autre ? Et cela n’est-il pas le rôle de l’Etat ?

L’Etat protège le citoyen des autres individus : Spinoza

Autrui représente avant tout pour moi un danger : il peut s’en prendre à moi, à mes biens, me mettre en danger, psychologiquement ou moralement.

La loi a d’abord et avant tout cette utilité : nous protéger. Nous mettre à l’abri des agissements malveillants d’autrui. La sécurité est l’un des premiers droits de l’homme.

La complexité des rapports sociaux (nous rencontrons les autres au travail, dans nos loisirs, dans la rue, etc.) fait que nous avons besoin d’une multitude de lois pour nous protéger. Voilà qui explique la grande quantité des interventions de l’Etat dénoncée par Proudhon.

On le voit : la fin de l’Etat n’est pas la suppression de la liberté. Il s’agit au contraire d’assurer la liberté de chacun, en la contrôlant de manière à ce qu’elle ne soit jamais utilisée contre celle d’autrui.

C’est ce que remarque Spinoza, dans son Traité théologico-politique :


Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre que l'État est institué; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir.

Non, je le répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres.

La fin de l'État est donc en réalité la liberté.


L’Etat, bien loin d’être une force extérieure s’abattant d’en haut sur les hommes, a été institué par les hommes eux-mêmes. Ce n’est là qu’un outil mis en place par les hommes qui ont voulu rentrer en société, dans l’intérêt bien compris de chacun.


Pourtant, n’est-ce pas là une vision un peu idyllique de l’Etat ? Ne peut-on admettre que dans certaines situations, l’Etat intervient trop et prend trop de place, étouffant la liberté individuelle ? Tout n’est-il pas une question de proportion ? Auquel cas, quelle est la limite à ne pas dépasser ?

L’Etat ne doit pas chercher notre bonheur

On peut imaginer un Etat minimal, chargé d’assurer les fonctions que le citoyen seul ne peut accomplir : la fonction éducative, avec l’école, défensive, avec l’armée, la redistribution des richesses, etc.

Mais on peut imaginer aussi que l’Etat cherche à aller beaucoup plus loin, et se fixe l’objectif de rendre les citoyens heureux.

Voilà une perspective qui a l’air réjouissante, pourtant, elle n’est pas sans conséquences négatives.

La liberté individuelle, la spontanéité qui amène l’homme à se lancer dans toutes sortes de projets, l’esprit d’initiative, tout cela va peu à peu s’émousser et disparaître, si le citoyen s’habitue à ce que l’Etat s’occupe de tout.

Finalement, il s’agit là d’un despotisme d’un genre nouveau, ainsi que le montre Tocqueville dans son ouvrage De la Démocratie en Amérique :

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. […]

Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »


On a peut-être donc identifié ici les limites étroites dans lesquelles l’Etat doit se cantonner pour respecter la liberté des citoyens : il doit à la fois avoir pour finalité la sécurité des citoyens, tout en veillant à ne pas mettre en danger leur indépendance. « L’Etat providence » ressemble à celui que décrit Tocqueville.

Conclusion

L’Etat n’est pas par essence ennemi de la liberté, ou ami de celle-ci. Tout dépend du type de lois qui vont être mises en place. Un Etat despotique sera naturellement ennemi des libertés. Un Etat « providence » les mettra en danger, au nom de l’égalité (mais peut-être faut-il privilégier l’égalité à la liberté ?).

En définitive, il est de la responsabilité de chaque citoyen de veiller à ce que l’Etat respecte les limites étroites que nous avons fixées : par le vote, l’implication politique, nous avons un pouvoir à exercer pour influencer le cours des choses.