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Notion : la religion
La cultureCe cours sur la religion vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).
Au programme : la critique marxiste de la religion, les arguments philosophiques pour prouver l'existence de Dieu, le célèbre pari de Pascal ...
Sujet possible : La religion n’est-elle qu’une illusion ?
La religion nous demande d’adhérer sans preuves à l’idée d’un être supérieur, infiniment bon. Il semble qu’on sorte d’emblée par là du champ de la raison, puisqu’un jugement n’est rationnel que s’il se fonde sur une démonstration ou une expérience.
Mais est-il si irrationnel de croire en un Dieu transcendant et supérieur à nous ? Ne s’agit-il là que d’une illusion ?
La religion comme illusion – Marx
Lorsque Marx affirme la religion est l’opium du peuple
, il compare la religion à une illusion, visant spécifiquement une certaine classe sociale : le peuple.
Qu’est-ce que l’opium ? Il s’agit d’une drogue, dont l’effet immédiat est d’endormir celui qui l’absorbe, le plongeant dans un sommeil profond peuplé de rêves étranges et effrayants.
Comparer la religion à l’opium, ce serait donc affirmer que la religion a pour but d’endormir le peuple, l’empêchant de se révolter face à une situation sociale injuste. Il s’agirait d’une ruse des classes dirigeantes, la classe bourgeoise, pour prévenir toute révolte de la part des prolétaires. Autrement dit : pour empêcher que ceux qui ne possèdent que la force de travail de leurs bras ne s’approprient les moyens de production (machines, ateliers) possédés par les bourgeois, qui leur louent.
En quoi la religion aurait-elle ce pouvoir anesthésiant ?
La religion incite à ne pas chercher le bonheur dans cette vie, ici et maintenant, dans notre réalité quotidienne, mais dans une autre réalité, accessible uniquement après la mort. Le bonheur n’est pas à chercher au présent, il ne se conjugue qu’au futur.
Pour atteindre ce bonheur promis, il faut respecter certaines valeurs, adopter certains comportements : l’humilité, le pardon, la pauvreté, la non-violence... Comme on le voit, ces valeurs sont tout à fait favorables aux classes dirigeantes, et empêchent toute révolte pour modifier l’état social existant, même s’il est injuste. Si le christianisme incite à la charité les dirigeants des classes supérieures, il ne vise pas l’instauration d’un ordre social différent dans lequel la charité serait inutile.
Une illusion n’est pas simplement une erreur, il s’agit d’une erreur à laquelle on a tout intérêt de croire. On désire croire en une illusion ; ce qui n’est pas le cas d’une simple erreur. C’est ce qu’a relevé Freud, qui dans l’Avenir d’une Illusion note : Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains
. 2+2=5 est une erreur, tandis que Christophe Colomb qui croit découvrir l’Amérique est dans l’illusion : il a envie que sa croyance (fausse) soit juste.
Si la religion est une erreur qui sert les intérêts des classes dirigeantes, en quoi peut-elle correspondre à un désir des classes inférieures ? En quoi le peuple peut-il désirer être trompé ainsi ?
Cela vient de ce que la religion lui ôte la responsabilité angoissante de prendre son destin en main et de lutter pour changer l’ordre des choses. La religion le délivre de l’angoisse de la liberté.
C’est là un gain à court terme qui correspond à un désir réel et fait de la religion une illusion. Il est difficile de secouer ses chaînes et de se libérer, ainsi que Marx le remarque dans la Critique de la Philosophie du droit de Hegel :
L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions.
La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme continue à porter des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette ces chaînes et cueille les fleurs vivantes.
La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de la raison
Néanmoins, on peut remettre en cause l’idée selon laquelle le concept d’un Dieu, à savoir d’un être infini et parfait, serait dépourvu de toute rationalité.
En fait nombreux sont les arguments rationnels qui peuvent prouver l’existence d’un Dieu. En ce sens, raison et foi seraient conciliables, et la religion ne serait pas l’illusion que dénonce Marx.
Les arguments rationnels pour prouver l’existence d’un Dieu
La métaphysique est la discipline qui prend pour objet ce qui dépasse l’expérience du monde sensible, ce qui est « au-delà (meta) du physique ». Dieu, l’âme, l’infini, en font partie.
Les métaphysiciens ont essayé de prouver l’existence de Dieu, en utilisant plusieurs types d’arguments.
Kant en identifie trois sortes dans la Critique de la Raison pure :
- l’argument physico-théologique : la beauté du monde, l’ordre qu’on trouve en celui-ci, prouvent l’existence de Dieu. La matière seule, assistée du simple hasard, ne peut parvenir à créer l’univers dans la Beauté et les lois harmonieuses et constantes que nous lui connaissons.
- l’argument cosmologique : tout a une cause. Mais si tel effet a une cause qui elle-même a une cause, qui elle-même a une cause, etc., alors pour éviter une régression à l’infini, il faut bien parvenir à une cause première : Dieu.
- l’argument ontologique : repris par Descartes de Saint Anselme, il peut se résumer ainsi : Dieu désigne le concept d’un être parfait. Or ce qui existe est plus parfait que ce qui n’existe pas. Donc Dieu existe. Son existence se déduit de sa perfection même.
Comme on le voit, il existe plusieurs arguments rationnels pour fonder l’existence de Dieu. Ce qui montre que la religion n’est pas une illusion. Ce n’est pas simplement notre désir ou nos intérêts qui nous amènent à croire en l’existence d’un Dieu suprême, mais notre raison elle-même.
Cependant, Kant a montré que la métaphysique ne constituait pas une authentique connaissance, mais relevait de la simple croyance. En effet, une connaissance nécessite l’union d’un concept et d’une intuition, or la métaphysique est une science qui repose sur le simple concept : aucune intuition ou expérience ne peut venir remplir ou fonder ces concepts.
La religion retomberait-elle, avec la métaphysique, au rang de simple illusion ?
Non : on peut imaginer un certain type de rationalité, le calcul, qui nous amène à croire en Dieu. Telle est le sens du célèbre pari de Pascal.
Le pari de Pascal
Comment convaincre les athées de se tourner vers Dieu ? Pascal essaie de se placer sur leur terrain. Il se fie à une sorte de « portrait général » de l’incrédule. En général, ceux-ci ont plus confiance en leur raison qu’en leur foi. D’autre part, les sceptiques pensent à leur propre intérêt égoïste. Enfin, ils aiment se divertir, par exemple jouer aux cartes.
Partant de ce portrait psychologique de l’athée, Pascal tente de montrer, en un seul et même argument que raison et foi sont compatibles, ou mieux, que la raison donne toutes les raisons de croire ; que c’est là l’intérêt même du sceptique ; et enfin qu’on peut montrer cela en se plaçant sur le terrain de l’incrédule, celui du jeu.
Il ne s’agit pas de démontrer que Dieu existe, mais que l’on tout à gagner à parier que Dieu existe.
En effet, le gain est infini s’il existe, car cela signifie qu’il y aura une vie après la mort, et non le néant. Et d’autre part, il n’y a rien à perdre. Supposons qu’il n’existe pas, nous n’aurions perdu si nous avons parié, car notre sort après la mort sera le même que celui qui n’a pas parié (le néant).
Or il est absurde de ne pas parier dans un jeu si le gain est infini, et s’il n’y a rien à perdre. Donc parions que Dieu existe et vivons en conséquence.
Voici comment Pascal expose cela dans ses Pensées :
Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n’est pas." Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ?
Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien.
- "Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier."
- Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ?
Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère.
Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter.
- "Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop."
- Voyons. puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner ; mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait encore jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé de jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. [...]
Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l’infini, et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. [...] Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est.
On voit qu’il existe donc un type de rationalité bien spécifique qui amène à se tourner vers Dieu. Il ne s’agit pas d’une raison purement logique, démontrant l’existence de Dieu, mais une rationalité utilitaire, calculant les moyens pour arriver au bonheur. Il faut croire en Dieu non pas parce qu’il existe, mais parce que c’est s’exposer à un bonheur infini s’il existe.
Conclusion
La religion n’apparaît par conséquent pas comme une simple illusion. Certes, elle peut être mise au service des classes dirigeantes comme le relève Marx. Mais, si tout argument métaphysique prouvant l’existence de Dieu est à rejeter, nous avons de fortes raisons de croire en l’existence de Dieu : notre bonheur futur en dépend.