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Tableau American Gothic de Grant Wood

Notion : le Devoir

La morale

Ce cours sur le devoir vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : l'impératif catégorique kantien, la critique nietzschéenne de la morale comme symptôme de décadence...



Sujet possible : Qu’est-ce qu’un devoir ?


Pourquoi dit-on qu’il ne faut pas mentir, voler ou tricher ? En quoi est-ce un devoir de dire la vérité, ou de respecter la loi ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre la signification du terme « devoir ».

I/ L’impératif catégorique kantien

Kant propose une définition intéressante de ce terme. Un devoir est selon lui un « impératif catégorique », qu’il distingue des «impératifs hypothétiques ».


Un impératif hypothétique est de cette forme : si tu veux ceci, fais cela.

Il y a une condition à l’action : il faut faire telle ou telle action si l’on souhaite obtenir tel ou tel résultat.

Par exemple : si tu veux réussir ce gâteau, rajoute un peu de sucre.

Ou : si tu veux te muscler, fais plus de sport.


Dans ces deux cas, l’action (faire du sport ou rajouter du sucre) n’est pas présentée comme un devoir, bien que le verbe principal est à l’impératif (« rajoute », « fais »). Nous ne sommes pas dans le champ de la morale, mais dans celui de l’habileté.

Grâce à ce type d’impératif, on indique un moyen pour atteindre un but.


La morale apparaît là où on rencontre un impératif catégorique.

Il s’agit d’un impératif sans conditions. Il est de la forme : « Fais ceci » ou « ne fais pas cela ».

Il ne s’agit pas de dire : « si tu veux agir moralement, fais ceci ». Agir moralement n’est en effet pas présenté comme un choix parmi d’autres, que l’homme habile pourrait privilégier en fonction de telle ou telle situation.

Il s’agit d’un devoir inconditionné. Pour distinguer ce type d’impératif, Kant lui donne un nom spécifique : « impératif catégorique ».


Nous ne sommes plus dans l’habileté mais dans la morale.

Il ne s’agit plus d’un moyen pour atteindre une fin, mais d’une fin en soi, qu’il faut viser pour elle-même.

Il ne faut pas en effet accomplir son devoir en vue d’un autre but (par exemple une récompense). On agirait là de manière intéressée, c’est-à-dire égoïste. On n’agit moralement que lorsqu’on fait son devoir sans aucun autre but que… faire son devoir. C’est uniquement dans ce cas qu’on agit de manière désintéressée.

En agissant conformément à son devoir, on peut même agir contre son intérêt. On peut même perdre la vie.

En voici quelques exemples : le soldat lorsqu’il obéit aux ordres se conforme à son devoir (même si on pourrait soutenir le contraire). Il peut mourir sur le champ de bataille. Les kamikazes, ces pilotes d’avion japonais qui se précipitaient sur les porte-avions américains en sont un exemple privilégié.

Lorsque Jean Moulin préfère se laisser torturer par la Gestapo plutôt que de donner le nom de ses complices, il préfère agir par devoir plutôt que selon ses intérêts.


Tandis que les animaux agissent de manière intéressée, en variant les moyens mis en œuvre pour atteindre leur but (par exemple une friandise), l’homme est le seul capable d’agir de manière désintéressée.

C’est ce qui fait la dignité humaine, ce qui vient donner une valeur à l’homme et le place au-dessus des animaux.

Ce pourquoi Kant célèbre l’impératif catégorique par ces mots célèbres :

« Devoir ! mot grand et sublime, toi qui n’as rien d’agréable ni de flatteur et commandes la soumission, sans pourtant employer, pour ébranler la volonté, des menaces propres à exciter naturellement l’aversion et la terreur, mais en te bornant à proposer une loi, qui d’elle même s’introduit dans l’âme et la force au respect (sinon toujours à l’obéissance), et devant laquelle se taisent tous les penchants, quoiqu’ils travaillent sourdement contre elle, quelle origine est digne de toi ? Où trouver la racine de ta noble tige, qui repousse fièrement toute alliance avec les penchants, cette racine où il faut placer la condition indispensable de la valeur que les hommes peuvent se donner à eux-mêmes ? »


On pourrait penser que le devoir nuit à la liberté de l’homme, le brime dans sa créativité, l’empêche de réaliser certaines actions qui lui seraient profitables, et même le met en danger.

En fait, pour Kant, c’est tout le contraire. C’est ce qui constitue l’homme en tant qu’homme. C’est ce qui vient donner à l’homme toute sa valeur, l’élevant au-dessus des autres créatures.

Une idée que l’on trouve particulièrement bien exprimée dans ce second texte célèbre de Kant :


« Deux choses me remplissent le cœur d'une admiration et d'une vénération, toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. […]
Le premier spectacle, d'une multitude innombrable de mondes, anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale qui doit rendre la matière dont elle est formée à la planète (à un simple point dans l'Univers), après avoir été pendant un court espace de temps (on ne sait comment) douée de la force vitale.
Le second, au contraire, élève infiniment ma valeur, comme celle d'une intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible ».


Kant formule ainsi l’impératif catégorique : Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. Autrement dit : ce que je fais aux autres, je dois pouvoir vouloir que les autres me le fassent. Sinon ce n’est pas une action morale. Ainsi on voit que l’assassin ne peut vouloir que les autres le tuent, ou que le meurtre soit permis par la loi.


L’exemple privilégié que Kant prend comme type de devoir est celui de la sincérité. Il ne faut pas mentir, quelle que soit la situation. Au point que si un ami pourchassé par un tueur vient se réfugier chez moi, et que l’assassin tape à ma porte en me demandant si j’ai vu passer quelqu’un, il faut que je lui dise la vérité ! Un exemple dont se moqueront d’autres philosophes.

II/ Le devoir comme expression d’une décadence ? Nietzsche

Pour Nietzsche la morale n’est qu’un symptôme. On parle de symptômes d’une maladie, pour désigner les signes extérieurs et visibles d’un problème du corps. Selon Nietzsche, la loi morale est le signe visible d’un problème caché de celui qui la respecte : le nihilisme.

Le nihilisme est l’idée selon laquelle rien n’a de valeur et qu’il n’y a donc pas de raison de vivre. Il s’agit pour Nietzsche d’une maladie, au sens physiologique du terme, et non d’une doctrine philosophique qu’il faudrait prendre au sérieux.

Le sage, celui qui agit de manière morale et ne se laisse pas céder à la tentation du désir, est malade :

De tout temps, les sages ont porté le même jugement sur la vie : elle ne vaut rien… Il faut qu’il y ait quelque chose ici de malade dit-il dans le Crépuscule des Idoles.


Ainsi en va-t-il de Socrate. Nietzsche remarque que celui-ci, au moment de mourir, demande qu’on aille sacrifier un coq à Asclépios, le dieu de la médecine. Il en déduit que Socrate considérait la vie comme une maladie, et qu’il fallait remercier le Dieu de la médecine au moment où il allait être délivré de cette maladie.

Socrate était conscient du nihilisme à l’œuvre en lui. Nietzsche rapporte l’anecdote d’un physionomiste qui dit à Socrate qu’il était un monstre, cachant en lui tous les vices, suscitant l’hilarité de son entourage, qui le tenait pour un modèle de vertu.

Socrate répondit simplement : Vous me connaissez, monsieur !. Ce n’est pas là pour Nietzsche un exemple de la célèbre ironie socratique mais un moment de sincérité dans lequel Socrate confessait le mal qui le ronge.


Pour Nietzsche, derrière l’équation platonicienne bien=beau=vertu (qui n’est autre que le principe de la morale) se dissimule un nihilisme réel, une envie de mourir.

Le philosophe doit donc se placer par-delà le bien et le mal, dépasser la morale, et comprendre qu’il n’y a pas du tout de faits moraux.

Conclusion

Un devoir n’est donc autre chose qu’un symptôme. Loin de constituer ce qui fait la dignité humaine, il représente plutôt une impuissance de l’homme, ce qui le rabaisse, et le pousse vers la mort.

Néanmoins, on peut se demander ce qu’entend Nietzsche par « agir au-delà du bien et du mal ».

Serait-ce là un nouveau commandement ? Un nouveau devoir ?