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Tableau de van Gogh : autoportrait

Notion : l'Art

La culture

Ce cours sur l'Art vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : la conception de l'Art comme imitation, la critique platonicienne de l'artiste, l'exemple du menuisier et du lit...



Sujet possible : L’art nous éloigne-t-il de la réalité ?


Lorsqu’on se trouve devant une œuvre d’art dans un musée, on rentre parfois dans une profonde rêverie. Le monde réel autour de nous disparaît, et l’on se plonge dans le monde propre à l’œuvre qui peut être angoissant, apaisant ou étrange.

Il semble donc que la contemplation esthétique nous éloigne de la réalité. Pourtant, on peut se demander si au contraire, une œuvre d’art n’a pas pour fonction de nous révéler un aspect de la réalité que nous n’aurions pas encore découvert.

La question se pose donc : une œuvre d’art nous fait-elle quitter, l’espace d’un instant le monde réel, ou au contraire nous apprend-elle quelque chose de lui ?

L’art comme imitation de la nature – Aristote

On a tendance à considérer comme réussie une peinture qui ressemble au modèle original. Pline l’Ancien relate avec admiration dans ses Histoires naturelles la prouesse de Zeuxis, un peintre grec qui avait réussi à peindre des grappes de raisin si ressemblantes que des oiseaux se posaient dessus pour les becqueter.

Zeuxis était lui-même fasciné par le modèle de l’imitation, puisque dans sa peinture, les raisins étaient portés par un enfant, et il émit ce regret : « j’ai mieux peint les raisins que l’enfant; car si j’eusse aussi bien réussi pour celui-ci, l’oiseau aurait dû avoir peur ».

Qui n’a pas été fasciné par une peinture en trompe-l’œil ? Il semble que ce soit là le point de perfection de l’œuvre d’art, puisque si elle parvient à tromper l’œil humain, cela montre que l’œuvre est aussi riche de nuances et aussi complexe que la réalité elle-même : l’artiste devient vis-à-vis de l’œuvre l’égal de Dieu vis-à-vis de sa Création.

C’est ce qui amène Aristote à définir l’art comme imitation dans ce texte célèbre de la Poétique :


À l’origine de l’art poétique dans son ensemble, il semble bien y avoir deux causes, toutes deux naturelles. Imiter est en effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux hommes, et ils se différencient des autres animaux en ce qu’ils sont des êtres fort enclins à imiter et qu’ils commencent à apprendre à travers l’imitation


La seconde cause est le plaisir pris aux images (Aristote note qu’on prend plaisir aux représentations dont l’original déplairait, comme la peinture d’un cadavre).

L’image, là aussi, est comprise comme l’imitation d’un modèle ; et Aristote soutient même qu’on prend plus de plaisir à la vue de l’imitation que du modèle.

On voit donc qu’Aristote définit l’art comme imitation, et dans ce cas, l’art ne nous éloigne pas de la réalité, mais au contraire vise celle-ci comme un idéal à atteindre. Le but de l’artiste n’est pas de nous détourner du monde réel, mais de nous en rapprocher le plus possible.


Néanmoins, on peut remettre en question l’idée qu’imiter la nature serait nous rapprocher de la réalité. L'imitation ne nous éloignerait-elle pas de la réalité ? Telle est la conception, surprenante, défendue par Platon.

L’artiste nous éloigne de la réalité de trois degrés – Platon

On a jusqu’à présent retenu l’idée selon laquelle la « réalité » était le monde sensible, celui que nous voyons. Dans ces conditions, il est logique de considérer que l’œuvre d’art qui imite le monde sensible nous rapproche de la réalité.

Tout change si l’on considère, comme Platon, que la réalité n’est pas le monde sensible que nous contemplons. Platon considère que le monde sensible n’est qu’une apparence, un simple reflet du monde réel, le monde intelligible, ou monde des Idées.

Alors que les choses du monde sensible sont soumises au changement et sont donc caractérisées par une forme dégradée d’être, les Idées du Monde intelligible sont éternelles : alors que les hommes vieillissent et meurent, l’Idée de l’Homme en soi reste éternellement ce qu’elle est.

De plus les étants sensibles tirent leur être des Idées auxquelles ils participent : c’est en participant à l’Idée d’Homme que Pierre est homme. Ou en participant à l’Idée de Bien qu’une action est bonne.

Les choses du monde sensible ne sont donc que des reflets, au sens où ils ne tirent pas leur être d’eux-mêmes, mais de manière dérivée, en participant à ce qui est réellement : le monde intelligible.


Dans cette perspective, qu’est-ce qu’un artiste ?

En imitant le monde sensible, l’artiste imite un reflet, une apparence. En tant que reflet, le monde sensible est en lui-même une copie, une imitation du vrai monde, intelligible. L’artiste imite… une imitation ! Il nous éloigne donc de la vraie réalité de trois degrés, ainsi que l’explique Platon dans le livre X de la République. Il distingue le Lit en soi, la vraie réalité, le menuisier qui imite le lit, et le peintre qui imite l’imitation du lit :


S. - Et le menuisier ? Nous l'appellerons l'ouvrier du lit, n'est-ce pas ? G. - Oui.

S. - Et le peintre, le nommerons-nous l'ouvrier et le créateur de cet objet ? G. - Nullement.

S. - Qu'est-il donc, dis-moi, par rapport au lit ?

G. - Il me semble que le nom qui lui conviendrait le mieux est celui d'imitateur de ce dont les deux autres sont les ouvriers.

S. - Soit. Tu appelles donc imitateur l'auteur d'une production éloignée de la nature de trois degrés. [...] L'imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne tous les objets, c'est, semble-t-il, parce qu'elle ne touche qu'à une petite partie de chacun, laquelle n'est d'ailleurs qu'une ombre


On le voit : l’art nous éloigne de la réalité, et on comprend pourquoi Platon veut chasser le Poète de la Cité idéale qu’il imagine dans la République. En tant que maître de l’apparence, il représente un danger, à moins que ses œuvres d’art ne célèbrent les vertus morales (auquel cas il sera autorisé à rester).


On peut pourtant interroger ce modèle de l’imitation qu’on trouve à la fois chez Aristote pour célébrer l’œuvre d’art et chez Platon pour la condamner.

Cette conception de l’art n’a-t-elle en effet pas été relativisée et dépassée par des courants modernes comme l’impressionnisme, ou la peinture abstraite, dont le but est tout autre que celui d’imiter la réalité ? Il nous faut donc interroger à nouveau cette conception de l’art comme imitation, et essayer de déterminer si l’art, entendu autrement nous éloigne ou nous rapproche de la réalité.

Sortir du modèle de l’imitation

L’imitation constitue-t-elle réellement la finalité suprême de l’art ? Ou ne représente-t-elle qu’un but parmi d’autres ? Pourquoi restreindre l’art à une seule fonction ? Celle-ci semble d’ailleurs inférieure.

Si l’idéal d’une peinture, c’est d’imiter parfaitement, alors la peinture a été détrônée par la photographie et ne sert plus à rien.

Il semble que l’imitation ravale la peinture à une simple affaire d’habileté technique, ainsi que le remarque Hegel dans son Esthétique :

Quel but l'homme poursuit-il en imitant la nature ? Celui de s'éprouver lui-même, de montrer son habileté et de se réjouir d'avoir fabriqué quelque chose ayant une apparence naturelle. [...] Mais cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement, et cela d'autant plus vite et plus facilement que l'imitation reproduit plus fidèlement le modèle naturel. […]

En entrant en rivalité avec la Nature, on se livre à un artifice sans valeur. Un homme s'étant vanté de pouvoir lancer des lentilles à travers un petit orifice, Alexandre, devant lequel il exécuta son tour de force, lui fit offrir quelques boisseaux de lentilles ; et avec raison, car cet homme avait acquis une adresse non seulement inutile, mais dépourvue de toute signification. On peut en dire autant de toute adresse dont on fait preuve dans l'imitation de la nature.

Le modèle de l’imitation est précisément ce à quoi ont essayé d’échapper certaines formes d’art, comme l’art abstrait, défini ainsi par Michel Seuphor : J'appelle art abstrait tout art qui ne contient aucun rappel, aucune évocation de la réalité observée, que cette réalité soit, ou ne soit pas le point de départ de l'artiste.


Lorsque Kandinsky peint une aquarelle dans laquelle toute mention au monde extérieur est supprimée, il s’agit là d’un geste révolutionnaire, qui rompt avec le paradigme de l’imitation.

Avant lui, les impressionnistes avaient déjà mis en question ce modèle, puisque leur idéal était non pas la représentation la plus objective possible du monde extérieur, mais plutôt de transcrire sur la toile l’impression subjective qu’un paysage suscitait en eux.


Enfin, nous nous sommes jusqu’à présent intéressé plutôt à la peinture, mais nombreuses sont les formes d’arts : qu’est-ce que la musique est censée imiter ? Ou l’architecture ?

On le voit, le modèle de l’imitation n’est qu’un paradigme parmi d’autres. Libéré de ce modèle, on peut dire que l’art nous éloigne de la réalité, car il ne poursuit plus celle-ci comme un but.


Pour finir, on peut mentionner la théorie quelque peu paradoxale d’Oscar Wilde, selon laquelle c’est la Nature qui imite l’Art :

Qu'est-ce donc que la Nature ? Elle n'est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création. C'est dans notre cerveau qu'elle s'éveille à la vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l'on en voit la beauté.

Alors, et alors seulement, elle vient à l'existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu'il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J'ose même dire qu'il y en eut.

Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d'eux. Ils n'existèrent qu'au jour où l'art les inventa. Maintenant, il faut l'avouer, nous en avons à l'excès… » (Intentions)

Conclusion

L’art nous éloigne de la réalité ou nous en rapproche selon le but qu’on lui fixe. Mais même enfermé dans le modèle de l’imitation, on a vu qu’on pouvait soutenir, avec Platon, qu’il nous éloigne de la vraie réalité. On peut donc considérer que celui-ci, quelle que soit la finalité qu’on lui assigne, est par définition un mouvement de l’esprit, pour fuir, dépasser, ou transcender la réalité.