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Tableau de Jérôme Bosch : l'enfer

Notion : l'inconscient

Le sujet

Ce cours sur l'inconscient vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L, ES, S).

Au programme : la doctrine de l'inconscient de Freud, la critique qu'en dresse Sartre, la notion de mauvaise foi...



Sujet possible : L’inconscient contredit-il la liberté ?


On agit librement si c’est notre volonté qui est au fondement de notre action, si aucun autre élément extérieur (par exemple un pistolet braqué sur moi) ne vient déterminer mon choix. Sinon, c’est que j’agis par contrainte.

Mais comment être sûr qu’aucun autre motif ne vient interférer dans ma décision ? S’il s’agit d’un motif aussi explicite qu’un pistolet braqué, la question ne se pose pas. Mais supposons qu’un élément vienne déterminer secrètement ma volonté, sans que j’en aie conscience ?

L’hypothèse de l’inconscient semble donc remettre en cause la notion même de liberté. Si ce sont des mobiles inconscients qui me font agir de telle ou telle manière, comment dire que je suis libre ?

Pourtant on peut se demander si l’hypothèse même d’un inconscient n’est pas à remettre en cause. De ce fait, notre liberté ne demeure-t-elle pas intacte ?

On doit donc se demander : notre liberté est-elle remise en cause par les motifs inconscients qui viendraient interférer dans notre action ?

L’inconscient réfute l’idée d’un moi rationnel maître de ses actions – Freud

L’idée d’inconscient renvoie à l’idée selon laquelle le moi ne serait pas parfaitement transparent à lui-même, qu’il y aurait un ensemble de représentations, d’images, d’idées, qui ne pourraient pas en raison de leur caractère perturbant parvenir à la conscience, systématiquement refoulées par celle-ci.

Mais aussi l’idée que ces représentations parviendraient de temps en temps à franchir la barrière de la censure, pour venir de manière déguisée, affecter celui-ci : cela se produit dans les rêves, les lapsus, ou certains comportements névrotiques.


C’est là le schéma général que présente Freud, dans l’ensemble de ses travaux. Dans la seconde topique, Freud résume cela en dressant la cartographie suivante : le « ça » représente l’ensemble des représentations perturbantes, dangereuses pour la santé mentale, en raison de leur caractère angoissant ou amoral. Le « surmoi » représente l’ensemble des règles morales, à l’origine de la censure des représentations du « ça », les empêchant d’accéder au « moi ».

Puisque ces désirs et représentations du ça sont refoulés, ils ne parviennent pas à la conscience. Ils sont inconscients. Pourtant, ils franchissent parfois la barrière de la censure, en se modifiant de manière à tromper la barrière que constitue le surmoi.

Ils déterminent alors sans qu’on s’en doute certaines de nos actions. Les névroses en sont des exemples.


On voit alors en quoi cela remet en cause notre liberté : certaines actions du moi rationnel ne sont pas l’expression de sa volonté, mais sont déterminées secrètement et sans qu’on s’en doute par des éléments inconscients. Freud résume cela en disant dans les Essais de psychanalyse appliquée que le moi n’est pas maître dans sa propre maison :


Dans certaines maladies et, de fait, justement dans les névroses, que nous étudions [...] le moi se sent mal à l'aise, il touche aux limites de sa puissance en sa propre maison, l'âme. Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d'où elles viennent ; on n'est pas non plus capable de les chasser. Ces hôtes étrangers semblent même être plus forts que ceux qui sont soumis au moi. [...]

C'est de cette manière que la psychanalyse voudrait instruire le moi. Mais les deux clartés qu'elle nous apporte : savoir que la vie instinctive de la sexualité ne saurait être complètement domptée en nous et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, et ne deviennent accessibles et subordonnés au moi que par une perception incomplète et incertaine, équivalent à affirmer que le moi n'est pas maître dans sa propre maison.


C’est pourquoi la psychanalyse représente, après les humiliations infligées par Copernic (la terre n’est pas le centre de l’univers) ou Darwin (l’homme descend de l’animal) une troisième blessure narcissique, ainsi que Freud le note dans son Introduction à la psychanalyse :

Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique.


On le voit : l’hypothèse de l’inconscient remet en cause l’idée même de liberté. Si le principe des actions n’est plus la seule volonté rationnelle du Moi, mais des motifs inconscients qui nous déterminent secrètement, alors nos actions ne sont plus effectuées librement.

Pourtant, l’inconscient est-il une réalité ? N’est-ce pas plutôt un mythe, un prétexte pour fuir notre liberté, et notre responsabilité ?

L’inconscient n’est qu’un mythe qui ne vient donc pas remettre en cause notre liberté – Sartre

Notre liberté peut nous faire peur. Difficile en effet d’affronter l’infini des possibilités qui s’offrent à nous, et de faire un choix. Il est beaucoup plus simple de suivre des ordres, ou un chemin tout tracé, que de prendre sa vie en main et décider à quoi elle va ressembler.

Etre libre, c’est devenir aussi responsable de nos différentes actions. Il est beaucoup plus simple de fuir ses responsabilités, et de s’inventer des excuses : j’ai fait ça parce que X me l’a demandé, etc.

C’est là le point de départ de l’existentialisme de Sartre : la liberté. L’homme est absolument libre du fait qu’il n’y a pas d’essence de l’homme, qui l’emprisonnerait parce qu’il devrait s’y conformer. L’homme est bien plutôt existence, et il construit peu à peu, par ses actes, et l’ensemble de sa vie, ce qu’il est. Ce que Sartre présente ainsi, dans l'Existentialisme est un humanisme :


Dostoïevski avait écrit : “Si Dieu n'existait pas, tout serait permis.” C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses.

Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine numineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre.


Le déterminisme apparaît alors comme un acte de mauvaise foi : l’homme, pour fuir sa liberté, se ment à lui-même en imaginant que d’autres mobiles que sa volonté sont à l’origine de ses actions. C’est une forme de lâcheté :


Nous avons défini la situation de l'homme comme un choix libre, sans excuses et sans secours, tout homme qui se réfugie derrière l'excuse de ses passions, tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi. [...]

Les uns qui se cacheront, par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches.


L’hypothèse de l’inconscient, qui est une sorte de déterminisme (puisque des éléments inconscients provoquent mes actions) n’est autre qu’une forme de mauvaise foi : l’homme se cherche des excuses avec la notion d’inconscient.

On le voit : la notion d’inconscient ne vient pas remettre en cause ma liberté, puisqu’il ne s’agit là que d’un mythe, sans aucune réalité, uniquement conçu pour dédouaner l’homme de ses responsabilités.


Pourtant, on peut imaginer qu’une grande part de nos idées ou de nos perceptions n’accèdent jamais à la conscience sans pour autant remettre en cause notre liberté.

Les petites perceptions inconscientes – Leibniz

Certaines perceptions sont infinitésimales, et sont donc inconscientes. Nous ne sommes conscients que de l’ensemble. Ainsi en va-t-il par exemple, du bruit de la mer : nous ne sommes pas conscients du bruit de chaque goutte d’eau prise isolément. En revanche, nous entendons le bruit global, ainsi que le montre Leibniz dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain :

D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception [conscience] et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. [...]

Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j’ai coutume de me servir de l’exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage.

Pour entendre ce bruit comme l’on fait, il faut bien qu’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l’assemblage confus de tous les autres ensemble, c’est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule.

Car il faut qu’on soit affecté un peu par le mouvement de cette vague, et qu’on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelque petits qu’ils soient ; autrement, on n’aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose.


En quoi ces perceptions qui n’accèdent pas à notre conscience restreignent-elles notre liberté ? On voit donc que l’inconscient, pris en ce sens-là, (c’est-à-dire lorsqu’il désigne l’ensemble des idées qui ne sont pas actuellement à la conscience, ou des perceptions infinitésimales), ne remet pas en cause fondamentalement notre liberté.

Conclusion

On voit donc que l’inconscient ne remet pas forcément en cause notre liberté. C’est le cas si on l’entend au sens freudien, mais on peut penser avec Sartre qu’il ne s’agit là que d’un mythe. D’autre part, les nombreuses opérations qui se déroulent en notre esprit sans que l’on en ait conscience ne menacent pas notre liberté, mais ne font que concourir au fonctionnement normal de l’esprit.