Tableau le Cri de Munch

Notion : le Langage

La culture

Ce cours sur la démonstration vous aidera à préparer l'épreuve de philosophie du bac, quelle que soit votre filière (L ou ES).

Au programme : la théorie des animaux-machines de Descartes, le caractère appauvrissant du langage et l'importance de la poésie chez Bergson...

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Sujet possible : Le langage trahit-il la pensée ?


Le langage est un système de signes qui a pour fonction de transmettre nos pensées à nos interlocuteurs. Le mot est signe de l’idée.

Le langage parvient-il à remplir sa fonction ? Est-il un signifiant efficace ? Ou trahit-il les significations qu’il est censé véhiculer, à savoir nos idées ?

Le langage signe de la pensée : Descartes

On sait que Descartes définit l’homme par la pensée : si « je pense donc je suis », comme il l’établit au terme de l’expérience du cogito, on peut définir l’homme comme « une chose qui pense » (res cogitans).

C’est là un privilège que Descartes réserve à l’homme : seul l’homme pense. Dans sa célèbre théorie des animaux-machines, Descartes montre que l’animal lorsqu’il émet des sons ne fait que réagir mécaniquement à un stimulus. Il réagit par instinct, sans penser, de la même manière qu’une machine réagit automatiquement quand on presse un bouton.

L’animal ne pense pas, et ne parle pas : il émet des sons certes, mais ceux-ci ne représentent aucune pensée, seulement des passions. Celles-ci ne relèvent pas pour Descartes de la liberté de l’esprit, mais d’un instinct mécanique du corps.

Pour Descartes, le corps humain est lui aussi une sorte de machine qui agit de lui-même : on digère, éternue, frissonne… mécaniquement, sans y penser ou sans le décider. Ces actions ne sont donc pas le fruit d’une volonté libre, mais seulement des réflexes d’une machine privée de pensée.

Mais l’homme est autre chose qu’un corps-machine, il est aussi esprit : il pense, et c’est le langage qui révèle cela :


il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examine, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, exceptées les paroles ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion.


On comprend alors pourquoi le langage est un critère déterminant à partir duquel Descartes distingue radicalement l’homme et l’animal dans la Lettre au marquis de Newcastle :


Il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul. Car, [...] il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eut point de rapport à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées

Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leurs manquent.


On le voit : non seulement le langage ne trahit pas la pensée, mais il est le milieu dans lequel se déploie la pensée : nous ne penserions pas si nous ne parlions pas. Le langage est à la fois signe de la pensée et condition de celle-ci.


Néanmoins si l’on admet que les mots transmettent notre pensée de manière globalement satisfaisante, on peut se demander si parfois ils ne trahissent pas celle-ci, ainsi que le soutient Bergson.

Les limites du langage - Bergson

Le mot transmet-il la pensée qu’il a pour fonction de véhiculer dans son intégralité ou l’appauvrit-il ? Nous devons conserver à l’esprit que le mot a une fonction sociale : il sert à faciliter la vie en société. Il est utile.

Cela a une conséquence : l’utilité favorise la simplicité, l’efficacité du langage. La complexité, ou la beauté, ne sont pas essentielles à la vie en collectivité.

Nos idées sont donc simplifiées par le langage. Ce faisant, elles sont irrémédiablement modifiées, dégradées, appauvries. Pour penser plus vite, nos idées sont modifiées de manière à laisser tomber ce qu’elles ont de singulier, d’original et d’unique, pour ne conserver que la signification impersonnelle du concept.

Le concept désigne en effet un genre, et non un individu singulier : lorsque je dis « homme », je ne pense plus à ce qu’est tel ou tel homme dans la richesse de sa singularité, mais j’ai en tête le genre « homme », une sorte de concept abstrait et vide composé de quelques points communs qui se rencontrent chez les hommes : deux bras, deux jambes, un visage.

C’est ce que soutient Bergson dans le Rire :


Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […].

Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu.

Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens.

Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes


On le voit donc : le langage trahit la pensée. Néanmoins, il reste un espoir : un usage enrichi du langage, tel que la poésie, permet de retrouver la singularité et la richesse de la pensée, et de la réalité.

Ce n’est donc pas le langage en tant que tel que Bergson condamne, mais un certain usage de celui-ci : son utilisation quotidienne et non réfléchie, asservie aux impératifs utilitaires.


On peut se demander aussi si le langage ne trahit pas la pensée, au deuxième sens de « trahir » : révéler quelque chose de caché, comme dans l’expression : une grimace a trahi mon intention.

C’est ainsi que le montre Freud, le cas du lapsus, comme nous allons le voir.



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