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couverture du livre

Plotin ou la simplicité du regard

Pierre Hadot, qui nous a quitté en 2010, était un grand spécialiste de l’Antiquité, en particulier du néoplatonisme et de Plotin (205-270 ap. JC). Outre les œuvres de Plotin, il a édité Marc Aurèle, Marius Victorinus ou encore Ambroise de Milan.

En 1963, alors chargé de recherche au CRNS, il publiait aux éditions Plon Plotin ou la simplicité du regard. Dans ce texte, on découvre la vie de Plotin, mais aussi ses réflexions sur l’amour, la vertu ou la solitude...



De Plotin, nous connaissons peu de choses ; ce que nous savons nous est transmis par Porphyre de Tyr, un philosophe néoplatonicien d’origine syrienne. Plotin serait originaire de la Haute-Égypte. Il aurait reçu l’enseignement d’un certain Ammonius, un philosophe grec d’Alexandrie. Après une expérience guerrière et la défaite de son armée, il fuit à Antioche puis rejoint Rome où il fonde, sous le règne de l’empereur Philippe l’Arabe, une école philosophique.

À la fin de sa vie, il serait tombé gravement malade, et serait mort isolé (probablement de la tuberculose). Porphyre le décrit volontiers comme un homme souffreteux, qui a la maladie complaisante – un portrait réfuté par Pierre Hadot. Bien sûr, nous avons ses œuvres, réunies par Porphyre lui-même, sous le titre Les Ennéades.

L’Un chez Plotin

À la lecture des textes de Plotin ajoutés au commentaire de Porphyre, Pierre Hadot choisit de retenir chez Plotin : La simplicité du regard. Quand on lit Pierre Hadot, il faut sans doute comprendre par « simple » sa définition chimique : qui n’est pas composé de parties, qui est indécomposable.

La philosophie de Plotin s’organise en effet autour de trois concepts : l’Un, l’Intellectuel et l’Âme. L’Un, chez Plotin désigne à la fois le principe premier et l’unité intrinsèque à tous les êtres. L’unité et l’harmonie deviennent des motifs structurels à son œuvre.

C’est qu’en passant d’un niveau intérieur à un autre, écrit Plotin, le moi a toujours l’impression de se perdre. S’il s’unifie et s’élève à la pensée pure, le moi craint de perdre conscience de lui-même et de ne plus se posséder. Mais s’il vient à vivre sa vie divine, il craint de reprendre conscience, de se perdre en se dédoublant 1.

Atteindre l'harmonie du regard

Pour être sage, donc, il faut viser une certaine harmonie du regard.

Du regard porté sur soi-même quand il invite à accepter son corps avec douceur, à se tourner vers Dieu pour ne pas laisser la souffrance percer son moi-profond, ou encore à se façonner comme on le ferait d’une sculpture, ainsi que l'écrit Plotin :

Si tu ne te vois pas encore toi-même beau, fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle : il enlève, il gratte, il polit, il nettoie, jusqu’à ce qu’il fasse apparaître un beau visage dans la statue 2

Pierre Hadot consacre ainsi de longues pages à la relation que Plotin entretenait avec son corps, sain puis égrotant. Il invalide partiellement la thèse de Porphyre pour qui Plotin avait honte d’avoir un corps 3. Certes, le platonisme a entraîné, dit-il, une nausée du corps qui explique l’hostilité des païens vis-à-vis de la thèse chrétienne de l’Incarnation 4.

Mais Plotin, contrairement aux gnostiques, n’a jamais opposé le corps et l’esprit au profit du second. Il envisage plutôt le monde comme une longue ascension du corps vers l’esprit, de la matière vers Dieu, parce que, pour lui, le monde spirituel auquel nous aspirons n’est autre que le moi le plus profond 5. Le vrai Dieu, le moi en Dieu, nous est intérieur, explique encore Pierre Hadot. Il n’est ni extérieur à nous, ni transcendant.


Du regard porté sur les autres quand Plotin nous parle d’amour, cet amour qui est toujours supérieur à son objet et qui sert, là aussi, de point de départ à une longue ligne continue vers l’expérience mystique 6. Dans l’amour, c’est encore l’Un qui prime : Deux centres qui coïncident sont un. Ils ne redeviennent deux que lorsqu’ils se séparent, écrit Plotin dans les Ennéades.

Conclusion

En 270, Plotin meurt à Naples des suites de sa maladie, après une solitude forcée à Rome puis en Campanie où il voit ses disciples s’éloigner de lui. Il laisse à la postérité la simplicité de son regard, exprimé dans des textes sans prétention.

Plotin n’est pas un poète. Il se refuse à séduire, à forcer l’adhésion, raconte Pierre Hadot. Son écriture limpide et universelle a séduit des disciples qui n’étaient pas convertis à la philosophie.

Ses mots, par leur justesse et leur limpidité, ont même sauvé Porphyre du suicide, selon ses propres mots. Plotin, qui décèle chez Porphyre une mélancolie maladive, lui conseille de partir en Sicile.

Je fus délivré de mon projet de suicide, mais cela m’empêcha de rester près de Plotin jusqu’à sa mort 7.

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 p.40
2 p.20
3 p.25
4 p.26
5 p.28
6 p.86
7 Action par laquelle une divinité s’incarne dans le corps d’un homme (Jésus) ou d’un animal.