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couverture du livre

Thomas d'Aquin : du mal

Quelle est l'origine du mal ? Quelles en sont les manifestations ? Comment lutter contre celui-ci ?

Martin Kuolt, philosophe et théologien, s'intéresse, dans ce livre, aux Questions disputées de Saint Thomas : c'est ici qu'il va s'efforcer de trouver la réponse à ces questions.

Voici une présentation de cet ouvrage…



Thomas d’Aquin est un religieux italien. Il s’engage dans les ordres dominicains à dix-neuf ans contre l’avis de sa famille, étudie à Paris sous le règne de Louis IX avant de retourner en Italie pour enseigner la théologie.

Outre les Pères de l’Eglise, la pensée de Saint Thomas puise dans les écrits d’Aristote, qui dans l’Ethique à Nicomaque, se demande, contre Platon, si le mal est bien une affaire d’ignorance. Les Questions disputées auraient été écrites dans la deuxième moitié du treizième siècle à Rome, puis à Paris.

En introduction, Martin Kuolt rappelle que les commentaires sur la philosophie thomiste se sont attachés à la lecture de La Somme contre les Gentils (synthèse chrétienne de la pensée d’Aristote), ou La Somme théologique (une doctrine pédagogique à destination des novices du christianisme), mettant de côté les Questions disputées. C’est sur elles que Martin Kuolt décide de s’arrêter.

La question du mal : semblable aux têtes de l’hydre, quand on en tranche une, il en renaît mille autres

D’après le théologien, les Questions disputées feraient état d’une pensée plus riche, complète et profonde 1.

La problématique de l’ouvrage s’organise autour des deux questions suivantes. Qu’est-ce que le mal ? D’où vient-il ? L’audience de la dispute est biberonnée au platonisme, convaincue que l’on ne peut vouloir le mal que par ignorance de celui-ci : Il n'y a rien de bon ni de mauvais sauf ces deux choses : la sagesse qui est un bien, l'ignorance qui est un mal 2.


Au contraire, pour Saint Thomas, l’homme est conscient de faire le mal, qui relève du libre arbitre.

Une pensée thomiste qui, d’après Martin Kuolt, serait toujours d’actualité, bien qu’éminemment complexe. L’auteur cite Boèce :

Semblable aux têtes de l’hydre, quand on en tranche une, il en renaît mille autres. Il faut tout le feu du génie pour en venir à bout 3.

Alors, comment l’homme, créature raisonnable par essence, est-il capable de faire le choix du mal ?

Forme du livre

La première partie du livre s’intéresse à la forme des Questions disputées. La dispute est un vif échange d’arguments entre deux parties (opposants et répondant). 4 Elle peut s’établir dans un cadre privé, ou public. Il semblerait dans ce cas-ci qu’il s’agisse d’une dispute privée.

De malo serait organisé en pyramide inversée : d’une question générale aux cas particuliers ; dans l’ensemble le texte tourne autour d’un seul point crucial, le péché, puisque c’est lui qui est à l’origine de tous les maux 51.

Parmi les déclinaisons du péché, le péché originel, le choix humain, le péché véniel (digne de pardon) et les vices – l’envie, la langueur, la gourmandise, la luxure, la vaine gloire, la gourmandise sont ensuite analysés.

Ces déclinaisons du péché sont toutes un acte manqué du bien, lui-même cause indirecte du mal. Prenons la vaine gloire : il faut qu’il puisse exister une gloire juste, non avide d’elle-même, pour que son mauvais penchant puisse s’exprimer, par défaut et en miroir.

Thèse de Saint Thomas : le mal comme privation du bien

Première thèse. Au fondement de ce texte, l’idée que le mal ne peut pas exister comme tel mais seulement coexister comme déficience de bien. Il n’existe pas en tant que mal, mais agit uniquement en vertu du bien qu’il ronge. Autrement dit, le mal n’est pas un concept premier : il est le contraire du bien.

Seconde thèse. Le mal est commis ou subi par l’homme en tant que créature raisonnable ; quand le mal est commis volontairement, il s’agit du péché ; quand il est subi à l’encontre de la volonté, il s’agit de la peine. Dans les deux cas, il relève du libre arbitre.

Entre science et théologie : question de méthode

D’après Martin Kuolt, la force de Saint Thomas est de transformer l’augustinisme en science. C’est la raison pour laquelle la doctrine du mal de saint Thomas est capable de se développer et devient une référence incontournable pour les docteurs et croyants des siècles suivants quand (…) celle de saint Augustin ne survivra pas au quatorzième siècle 6.

Bien sûr, la Bible constitue pour cette philosophie une source majeure, même si l’interprétation littérale se heurte parfois à ses affirmations.

Par exemple, dans la Bible, il est question de Dieu qui aurait créé le mal, ce que Saint Thomas réfute. Mais les grandes idées de la Révélation chrétienne y sont présentes et déterminantes : créationnisme, monothéisme, bonté, toute-puissance et innocence divine. Même la définition du mal comme privation (=absence de bien) 7.

La Révélation expliquant la bonté de la création, le mal ne peut constituer que sa privation.

Conclusion

Pour Thomas d’Aquin, Dieu est cause de l’acte du péché mais pas du péché lui-même. Pour mal marcher, pour boiter, il faut pouvoir marcher. Le rapport de Dieu au mal est du même ordre. Il nous fait marcher, et il faut pouvoir marcher pour boiter, mais il n’est pas responsable de la privation de la bonne façon de marcher, qui est imputable au libre arbitre de l’homme.

Le livre de Martin Kuolt est un éclairage précieux sur cette complexité : l’homme est libre au sens où il opère ses choix ; mais l’homme peut choisir le mal par erreur, associant le mal au bien ; aussi, si l’homme choisit le mal dans un acte délibéré, son choix n’est-il pas toujours parfaitement libre.

Auteure de l'article :

Margaux Cassan est diplômée de l'ENS-PSL en Philosophie et religions, et est l'auteure de Paul Ricoeur, le courage du compromis. Linkedin

1 p. 5
2 Platon — Euthydème, 281e
3 p. 8
4 p. 20
5 p. 21
6 p. 29
7 p. 36