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couverture du livre

La République est-elle soluble dans le Care ?

Cet ouvrage interroge le rapport entre la conception républicaine classique telle qu’on peut la voir résumée dans le slogan « Liberté, égalité, fraternité », et la théorie du Care. S’agit-il d’un conflit insoluble ? Y a-t-il contradiction entre ces deux horizons de pensée ?



L’éthique du Care, appelée aussi éthique de la sollicitude, est apparue à l’origine dans le monde anglophone, suite aux travaux de Carol Gilligan.

Qu’est-ce que le Care peut nous apporter à nous autres, français, nous qui vivons dans une tout autre tradition de pensée ? L’éthique du Care vient-elle s’accorder harmonieusement avec la doctrine républicaine qui fonde notre société actuelle ? Sont-elles, au contraire, incompatibles ? Peut-on aller jusqu’à développer, à partir de cette éthique d’un nouveau genre, une critique du modèle républicain ?

Le lien social

En réalité, le Care vient jeter une lumière nouvelle sur le lien social républicain, celui qui unit les citoyens à l’intérieur d’une même République. Ce lien se constitue sur des valeurs universelles, que l’on peut voir inscrites sur le fronton des mairies « Liberté, égalité, fraternité ».

Or n’est-ce pas cela qui nous lie, d’abord en nous reconnaissant chacun égaux par nature, égaux en autonomie, en faculté de nous autodéterminer ? 1.

C’est parce que nous sommes chacun « sujet de droit », « personne autonome », que nous sommes égaux, et cette égalité fonde, précisément le lien social. Voici comment l’on pourrait résumer l’approche républicaine sur cette question.


Pourtant, ne serait-on pas en droit de venir interroger et remettre en question cette belle apparence ? il semble en effet que ce modèle soit en crise, ainsi que le diagnostique Simon Perrier :

Cela ne suffit pas, ou plus, à faire une société, à un lien qui ne serait pas seulement statique mais dynamique. L’amour de l’universel a perdu de son charme. L’égalité devant les lois, sous le règne du droit, qui a porté si haut les cœurs, ne suffit plus à transcender les antagonismes, à dépasser les égoïsmes 2.

Pourquoi ?

La théorie du Care peut nous donner des éléments de réponse.

En effet, le républicanisme nous apparaît à la lumière de celle-ci comme un universalisme abstrait, où prévaut le chacun pour soi 3 de l’individualisme libéral.

L’individualisme républicain

La définition de la liberté que l’on trouve dans l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en témoigne : L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. La liberté n’est définie que négativement, et reste donc formelle. L’autre n’apparaît que comme celui qui vient limiter ma liberté, et il ne s’agit que de se protéger des autres hommes. Cette définition porte en elle d’emblée un antagonisme des hommes entre eux, plutôt que leur lien, et celui-ci ne pourra plus être retrouvé par la suite.

Joan Tronto, l’une des figures emblématiques de la théorie du Care, développe ainsi une critique du rationalisme des Lumières, de l’universalisme républicain, que Simon Perrier nous expose avec pédagogie.


Ainsi l’autonomie n’apparaît que comme un principe légitimant les inégalités sociales, en en renvoyant la responsabilité à celui qui n’a pas su exercer cette autonomie pour réussir 4.

Ainsi le prétendu contrat social, conclu entre les hommes pour sortir de l’état de nature, et devenir les citoyens d’une société. Cet état de nature est défini comme un état de guerre, de tous contre tous : ici encore, l’homme est considéré comme s’opposant naturellement aux autres, comme fuyant la dépendance aux autres, et voulant se protéger d’eux en devenant « autonome ».

Dans cette perspective, le contrat n’apparaît que comme une fiction théorique visant à légitimer cette autonomie républicaine qui fonde, encore et toujours l’individualisme libéral, et les inégalités.

Un modèle alternatif

Le Care développe un tout autre modèle, que Simon Perrier résume ainsi : plutôt que l’illusion d’une société qu’on veut croire instituée par un contrat passé entre égaux à partir de la délibération rationnelle […] la thèse du care est que les hommes sont ainsi bien plus déliés, dans l’inégalité, que liés dans la justice. A cela, il préfère, en quelque sorte, le bonheur d’une société justement sensible aux besoins inégaux de chacun, une société acceptant et vivant de l’interdépendance, relativement à des conditions différentes, des particularités 5.

Ainsi, l’éthique de la sollicitude va nous mener à considérer les hommes tout autrement. Ils ne sont pas naturellement en guerre avec les autres, mais sont en interdépendance, ont besoin les uns des autres. Au paradigme de l’indifférence naturelle succède celui du besoin, sur lequel se fonde la sollicitude. Il nous faut prendre soin des autres, être attentif à leurs besoins, les aider : c’est cela, seulement, qui peut constituer quelque chose comme un vrai lien social.

Cette éthique du Care nous amène à retrouver en nous cette sensibilité active aux besoins des autres et aux siens, sensibilité trop longtemps considérée féminine, pour être mieux refoulée 6.

C’est alors une tout autre société qui émerge, sur un fondement radicalement autre. Une promesse fascinante, pour celui que désespère le nihilisme et l’égoïsme contemporain.


Mais dans ce cadre de pensée radicalement autre, des problématiques inédites se font jour.

La théorie du care privilégie en effet l’écoute sur l’expertise, le cœur sur la compétence. Mais cela peut devenir dangereux, car une sensibilité aveugle peut atteindre le but contraire à celui qui était recherché, et nuire, sans le vouloir, à celui qui est l’objet de soin.

Relativement à une critique des notions de besoin et d'empathie, l’auteur s’interroge donc, dans la dernière partie du livre, sur les délicats rapports du savoir et de la sensibilité. Il montre que cette sensibilité, que l’on pourrait retrouver tel un trésor en nous, et constituer le fondement de cette société d’un nouveau genre, doit être guidée par l’éducation.


Un ouvrage très clair, accessible même à ceux qui découvrent la théorie du Care, sous l’angle original du conflit entre deux horizons de pensée que tout oppose.


1 p.7
2 p.8
3 p.12
4 p.13
5 p.19
6 p.20