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Couverture du livre Crainte et tremblement de Kierkegaard

Résumé de Crainte et tremblement (page 2)

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Cette histoire tirée du Livre de la Genèse, le premier livre de la Bible, est présentée de plusieurs manières différentes dans le chapitre intitulé « Atmosphère », comme si l’auteur peinait à en comprendre le sens, ou à en croire ses oreilles, et s’efforçait d’en percer les mystères en la répétant plusieurs fois.


Pour résumer, Dieu promet à Abraham qu’il aura une nombreuse descendance. Mais les années passent sans qu’aucune naissance ne soit annoncée. Abraham ne perd cependant pas courage, et garde la foi : il a confiance dans la promesse divine. Lorsqu’il atteint l’âge canonique de 99 ans, Dieu se manifeste à nouveau à lui et renouvelle sa promesse.

Un fils naît, Isaac, et c’est un grand bonheur pour Abraham : c’est le fruit d’une longue attente. Mais Dieu lui demande alors de cheminer trois jours et de sacrifier celui-ci en haut de la montagne de Morija. C’est une terrible nouvelle pour Abraham, car c’est là ce qu’il a de plus cher. Mais il accepte, et il entreprend ce voyage, son fils à ses côtés, ignorant ce qui est en train de se jouer.

Parvenu au lieu désigné, il lève le couteau, prêt pour le sacrifice ; mais Dieu suspend son geste, le loue, le bénit et lui promet à nouveau une nombreuse descendance.


Cette histoire suscite de nombreuses questions, et est donc un objet privilégié d’étude pour le penseur ; elle a quelque chose de fascinant. On a beau retourner cette histoire dans tous les sens, sa logique, évidente au départ, finit par nous échapper. On la comprend de moins en moins1 : c’est cela qui constitue son mystère.

Cela vient probablement de ce qu’elle se construit sur un paradoxe, qu’on pourrait résumer de la manière suivante : Abraham nous est présenté comme un modèle, une figure spirituelle à suivre, donc à imiter. Il incarnerait une foi pure, un amour absolu de Dieu qui va jusqu’à lui sacrifier ce qu’il a plus précieux : son enfant. Mais en un autre sens, on pressent qu’Abraham pourrait tout simplement être considéré comme un meurtrier, et de la pire espèce : un infanticide. De ce point de vue, il représente tout sauf un modèle.


Le cœur se soulève, la pensée devient confuse, et un vertige nous saisit devant les résultats diamétralement opposés auxquels nous convient ces deux analyses. Laquelle est correcte ? Que doit-on penser de l’histoire d’Abraham, quelle leçon faut-il en retenir ? Et comment est-il possible que cette histoire nous amène à un tel vertige ? Qu’est-ce qui se joue en elle ?

Telles sont les questions auxquelles s’attache Kierkegaard, et qui vont lui permettre d’explorer ce singulier phénomène qu’est la foi, l’amenant à des conclusions originales, tant d’un point de vue théologique que philosophique.


La foi… C’est en effet l’élément moteur d’Abraham, le fondement de son comportement, de ses actions, de ses pensées. Kierkegaard en détaille la genèse :

C’est par la foi qu’Abraham quitta le pays de ses pères et fut étranger en terre promise. Il laissa une chose, sa raison terrestre, et en prit une autre, la foi ; sinon, songeant à l’absurdité du voyage, il ne serait pas parti. C’est par la foi qu’il fut un étranger en terre promise où rien ne lui rappelait ce qu’il aimait.

C’est cette foi exceptionnelle qui lui permet de passer ces longues années dans l’attente d’un enfant, sans se décourager, confiant dans la promesse divine : Abraham crut et garda fermement la promesse à laquelle il aurait renoncé s’il avait chancelé. C’est encore et toujours celle-ci qui lui permet d’atteindre cet âge canonique : Abraham crut ; aussi resta-t-il jeune ; car celui qui espère toujours le meilleur vieillit dans les déceptions, et celui qui s’attend toujours au pire est de bonne heure usé, mais celui qui croit conserve une jeunesse éternelle.


Enfin, on arrive à l’épreuve du sacrifice d’Isaac : là encore, Abraham crut et ne douta point ; il crut l’absurde. S’il avait douté, il aurait agi autrement ; il aurait accompli un acte grand et magnifique tel que se sacrifier lui-même. Dans ce cas le monde l’aurait admiré, et son nom n’aurait pas été oublié ; mais une chose est d’être admiré, et une autre d’être l’étoile qui guide et sauve l’angoissé.

S’il avait douté, alors il serait revenu chez lui, tout serait resté comme avant ; il aurait eu Sarah près de lui, il aurait conservé Isaac, et pourtant, quel changement ! Car sa retraite aurait été une fuite, son salut un hasard, sa récompense une confusion, et son avenir peut-être la perdition. Alors, il n’aurait témoigné ni de sa foi ni de la grâce de dieu, mais il aurait montré combien il est difficile de gravir la montagne de Morija.

Ainsi, c’est par la foi qu’Abraham s’élève au -dessus des autres hommes, accédant à une sphère inaccessible même aux héros :

Il y eut des hommes grands par leur énergie, leur sagesse, leur espérance ou leur amour ; mais Abraham fut le plus grand de tous, grand par l’énergie dont la force est faiblesse, grand par la sagesse dont le secret est folie, grand par l’espoir dont la forme est démence, grand par l’amour qui est la haine de soi-même.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie