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Couverture du livre Crainte et tremblement de Kierkegaard

Résumé de Crainte et tremblement (page 5)

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Alors, qu’est-ce qui les différencie ? Kierkegaard répond par un exemple concret : supposons qu’un jeune homme pauvre tombe amoureux d’une princesse. C’est là un amour impossible, qui ne pourra se réaliser, du fait de la différence de leur condition sociale.

Les deux chevaliers reconnaissent qu’il s’agit là d’un amour impossible, mais ils restent fidèles à leur amour : ils ne cessent pas d’aimer. C’est là leur point commun.

L’homme éthique, le chevalier de la résignation infinie, s’en tient là. Il ne reverra jamais sa bien-aimée, il l'accepte, se résigne ; mais il pensera à elle jusqu’à son dernier souffle. C’est là sa sagesse, et la ferveur de son amour dévoile toute la beauté du stade éthique.


Le chevalier de la foi lui aussi s’est résigné : c’est là un amour impossible. Mais il va « plus loin », comme on l’a vu. Il continue, malgré ce, de croire que cet amour se réalisera.

Il sait que c’est impossible, mais croit que l’impossible peut devenir possible, par ce fameux saut dans l’absurde qui constitue la foi :

Voyons maintenant le chevalier de la foi dans le cas cité. Il agit exactement comme l’autre ; il renonce infiniment à l’amour, substance de sa vie, il est apaisé dans la douleur ; alors arrive le prodige ; il fait encore un mouvement plus surprenant que tout le reste ; il dit en effet : « je crois néanmoins que j’aurai celle que j’aime, en vertu de l’absurde, en vertu de ma foi que tout est possible à Dieu » 1.


Pour résumer le chevalier de la foi a aussi clairement conscience de cette impossibilité. La seule chose capable de le sauver, c’est l’absurde, ce qu’il conçoit par la foi. Il reconnaît donc l’impossibilité et au même moment, il croit l’absurde.

C’est cela qui suscite l’admiration de Kierkegaard : Je peux donc voir qu’il faut de la force, de l’énergie et de la liberté d’esprit pour faire le mouvement infini de la résignation ; et de même que son exécution est possible. Mais le reste me stupéfie ; mon cerveau tourne dans ma tête ; car après avoir fait le mouvement de la résignation, tout obtenir alors en vertu de l’absurde, voir exaucé intégralement tout son désir, c’est au-dessus des forces humaines, c’est un prodige.


C’est au-dessus de ses forces, ainsi qu’il l’avoue dans ces lignes magnifiques :

Je peux renoncer de moi-même à la princesse […] Mais par la foi, dit l’étonnant chevalier, par la foi, tu la recevras en vertu de l’absurde. Hélas ! je ne peux faire ce mouvement. Dès que je m’y mets, tout se retourne et je me réfugie dans la douleur de la résignation. Je peux nager dans la vie, mais je suis trop lourd pour cet essor mystique […]

Et pourtant, il doit être magnifique d’obtenir la princesse ; et pourtant le chevalier de la foi est le seul heureux, l’héritier direct du monde fini, tandis que le chevalier de la résignation est un étrange vagabond. Le merveilleux, c’est d’obtenir aussi la princesse, de vivre heureux et joyeux, jour après jour, avec elle […] en trouvant non le repos dans la douleur de la résignation, mais la joie en vertu de l’absurde. Celui qui en est capable est grand, il est le seul grand homme.


Tout cela lui permet de résumer en cette heureuse formule le mystère de la foi :

Par la foi, je ne renonce à rien, au contraire, je reçois tout […] Par la foi, Abraham ne renonça pas à Isaac ; par elle au contraire il l’obtint.


Ce n’est pas par hasard que Kierkegaard a pris l’exemple d’un amour impossible pour illustrer le phénomène de la foi. C’est une allusion implicite à la rupture de ses fiançailles avec Régine Olsen, survenue deux ans auparavant.

C’est Kierkegaard qui décide de mettre fin à cette relation, lui renvoyant la bague de fiançailles, probablement parce qu’il sentait que la profonde mélancolie qui le tenaillait depuis l’enfance constituait un danger pour leur liaison. Mais il continue à penser à elle et rêve de la retrouver, malgré cette rupture, ce qui constitue, comme on le comprendra, une impossibilité de fait.

On comprend à présent que Kierkegaard ait pu écrire dans son Journal intime : Si j’avais eu la foi, Régine serait restée mienne. S’il avait eu confiance en lui, s’il avait par un acte de foi dépassé cette impossibilité : on ne peut vivre en couple lorsqu’on est si malheureux, s’il avait su dépasser cette pensée parfaitement logique et même magnifique d’un point de vue éthique, une histoire d’amour aurait pu avoir lieu, et se développer harmonieusement, contre toute logique.

Si donc il décrit avec tant de douleur cette impuissance de l’esprit, cette incapacité à s’élever au stade religieux, c’est parce qu’il l’a lui-même vécue, et que cette douleur a joué un rôle essentiel, fondateur, dans sa propre existence.


A présent qu’on a une conception plus élaborée du stade religieux, on est en mesure d’examiner la dialectique qui est à l’œuvre au cœur même de la foi, un travail qui permettra, promet Kierkegaard, de voir quel paradoxe inouï est la foi, paradoxe capable de faire d’un crime un acte saint et agréable à Dieu […] paradoxe que ne peut réduire aucun raisonnement, parce que la foi commence précisément là où finit la raison.


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1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie