1. Accueil
  2. Auteurs
  3. Kierkegaard
  4. Crainte et tremblement
  5. Page 3
Couverture du livre Crainte et tremblement de Kierkegaard

Résumé de Crainte et tremblement (page 3)

Index de l'article Page 1
Page 2
Page 3
Page 4
Page 5

Néanmoins, comme on l’a vu, une contradiction vient problématiser l’histoire d’Abraham, plongeant l’esprit dans la plus grande perplexité. Kierkegaard la résume, en imaginant qu’un prédicateur enflamme son auditoire en louant la conduite d’Abraham, puis apprend qu’un des fidèles a sacrifié son fils le soir qui suit. Homme abject, rebut de la société ! Quel démon te possède et te pousse à tuer ton fils ? 1 s’exclame-t-il maudissant celui qui avait imité le modèle tant vanté dans son prêche.


La question se pose : Comment expliquer une contradiction comme celle de notre prédicateur ?.

Il montre qu’il s’agit là un conflit entre deux instances radicalement distinctes, la morale et la religion, chacune ayant sa légitimité, et c’est précisément cela qui en fait un paradoxe tragique :

Au point de vue moral, la conduite d’Abraham s’exprime en disant qu’il voulut tuer Isaac, et au point de vue religieux, qu’il voulut le sacrifier. C’est en cette contradiction que réside l’angoisse capable de livrer à l’insomnie.


Tout se passe comme si la foi venait sanctifier un acte que la morale réprouve. Accompli au nom de la foi, cet acte est sublime, sans elle, il est horrible : Quand en effet, on supprime la foi en la réduisant à zéro, il reste seulement ce fait brutal qu’Abraham voulut tuer son fils, conduite assez difficile à imiter par quiconque n’a pas la foi, j’entends la foi qui lui rend le sacrifice difficile. Ou encore si tout le monde s’avisait de recommencer l’acte terrible que l’amour [de Dieu, donc la foi] a sanctifié comme un exploit immortel, alors tout est perdu, et le haut fait, et son imitateur égaré.


Mais comment est-ce possible ? Comment penser la notion d’un « modèle à ne pas suivre » ?

Kierkegaard témoigne du vertige dans lequel le plonge ce paradoxe : la foi peut venir rendre « saint » ce qu’il y a de plus terrible.

Quand je me mets à réfléchir sur Abraham, je suis comme anéanti. A chaque instant, mes yeux tombent sur le paradoxe inouï qui est la substance de sa vie ; à chaque instant, je suis rejeté en arrière et malgré son acharnement passionné, ma pensée ne peut pénétrer ce paradoxe de l’épaisseur d’un cheveu. Je tends tous mes muscles pour découvrir une échappée : au même instant, je suis paralysé.

Il oppose la figure d’Abraham à un autre modèle, celui du héros grec, qui accomplit de grandes actions admirées du monde entier : Elles trouvent un écho dans mon âme. J’entre dans la pensée du héros, mais non pas celle d’Abraham : parvenu au sommet, je retombe car ce qui m’est offert est un paradoxe.

Ou enfin : Je ne peux comprendre Abraham ; en un sens, je ne peux rien apprendre de lui sans en rester stupéfait.


Un résultat précieux vient couronner ce premier examen : la dimension de la foi nous apparaît. Ou plutôt : soit il y a bien autre chose que la morale, qui est la foi, et l’attitude d’Abraham peut être légitimée, soit la foi est une notion sans consistance, sans réelle signification, et Abraham est un meurtrier.

Il faut donc s’intéresser à la foi, et chercher si elle peut avoir ce rôle. La question convenablement posée est par conséquent : la foi peut-elle vraiment légitimer certaines actions, et si c’est le cas, d’où cela vient-il ?


Le problème est le suivant : comment comprendre ce qu’est la foi, si on ne l’a pas ? Car Kierkegaard, ou du moins l’auteur fictif Johannes de Silentio qui s’exprime ici, n’a pas la foi : J’ai vu de mes yeux des choses terribles, et je n’ai pas reculé d’effroi ; mais je sais fort bien que si je les ai affrontées sans peur, mon courage n’est pas celui de la foi et n’y ressemble en rien. Je ne peux faire le mouvement de la foi, je ne peux fermer les yeux et me jeter tête baissée, plein de confiance, dans l’absurdité ; la chose m’est impossible, mais je ne m’en fais pas gloire.

Ou encore : J’ai la certitude que Dieu est amour […] mais je n’ai pas la foi ; je n’ai pas ce courage.


On le voit, Johannes de Silentio ne revendique pas son absence de foi comme une preuve de sagesse, ou de liberté, mais comme un défaut, une lacune ou un manque, une impuissance. Il aimerait avoir la foi : Il n’en résulte nullement que la foi soit à mes yeux chose médiocre, mais au contraire qu’elle est la plus sublime.

Il va donc falloir essayer de décrire le phénomène de la foi de l’extérieur, sans avoir pu le vivre. Néanmoins, on peut s’appuyer sur l’histoire d’Abraham pour en saisir l’essence, car nulle part mieux qu’ici ne se font sentir les combats dialectiques et de la foi et sa gigantesque passion.

1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Kierkegaard : lecture suivie