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Justice sociale & générations
Cédric RioQuelles contributions exiger des vivants au nom des « générations futures » sans aller à l’encontre des droits des premiers ? Comment concilier au mieux les droits et devoirs moraux des générations qui se succèdent dans le temps ?
Ouvrage de philosophie et d’éthique, Justice sociale et générations s’inscrit au sein des débats contemporains sur la justice entre les générations et défend que le respect des droits des générations futures nécessite au préalable une justice sociale globale entre les vivants.
Des implications pratiques du thème de la justice entre les générations
En philosophie, mais aussi en économie, le thème de la justice intergénérationnelle s’intéresse à la juste distribution des contributions ou des ressources entre membres de groupes – ou cohortes – nés à des moments distincts. Il s’agit, autrement dit, de déterminer des principes de justice qui spécifient ce que les membres d’une génération doivent aux membres des autres générations.
Sur une temporalité plus longue, une question centrale porte sur l’étendue des devoirs moraux des générations actuelles – les vivants – au nom du respect des droits des membres des générations futures – incluant les personnes qui naîtront dans un futur plus lointain, après la disparition des premiers.
Cette question a des implications pratiques autour d’enjeux de société de premier ordre, que ce soit aux échelles nationales et mondiales, qui concernent ce que les vivants que nous sommes sont supposés léguer aux générations suivantes : la lutte contre le réchauffement climatique, la pérennité des systèmes de protection sociale – le système de retraite, par exemple – ou des services publics.
Quel niveau de cotisation peut-on exiger des actifs d’aujourd’hui pour permettre aux générations suivantes de bénéficier d’une protection sociale face au vieillissement ? Quels efforts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de régulation de la consommation d’énergie ?
Une coopération entre les générations pour garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de chacun
Avant de prétendre déterminer précisément ce que les vivants doivent aux générations futures, encore faut-il savoir si les premiers doivent quelque chose aux derniers, et pourquoi.
L’objet du premier chapitre de l’ouvrage est d’y répondre favorablement en affrontant tout un ensemble de questionnement éthiques : dans quelle mesure peut-on reconnaître des droits à des personnes qui n’existent pas ? En quoi les vivants auraient-ils un devoir moral d’agir pour les membres des générations suivantes ?
Il importe ensuite de définir ce qui est précisément dû à ces futures générations : c’est l’objet de la suite de la première partie du livre.
Avec le philosophe John Rawls notamment est retenue l’hypothèse selon laquelle les générations qui se succèdent dans le temps constituent les mailles d’une chaîne de coopération sur le long-terme dans laquelle chaque génération porte des devoirs moraux spécifiques au nom de la génération qui lui succède.
Cette coopération intergénérationnelle a pour finalité d’édifier un environnement politique, économique et social qui garantisse la satisfaction de besoins fondamentaux et la possibilité de jouir d’une réelle liberté.
Une telle position a des conséquences importantes en matière de répartition des contributions et des bénéfices de la coopération : certaines générations doivent nécessairement transmettre un état du monde amélioré par rapport à ce qu’elles ont pu hériter du passé, et les membres des premières générations de la chaîne de coopération ne pourront se voir garantir le respect de ces besoins fondamentaux.
Privilégier une justice sociale globale entre vivants pour mieux concilier les droits et devoirs des générations successives
Une fois acté le principe et la finalité de cette chaîne de coopération, il importe d’en préciser les modalités, à la fois entre les générations mais aussi au sein de celles-ci : c’est l’objet de la seconde partie du livre.
Dans un monde idéal, il suffirait de s’assurer que le poids des contributions demandées aux générations successives ne contribue pas à sacrifier les droits de leurs membres.
Mais notre monde n’est pas idéal : il est fait d’inégalités sociales importantes entre les vivants – conditions de vie, santé, éducation, etc. – mais aussi d’héritages empoisonnés, de générations passées qui n’ont pas toujours répondu aux attentes morales formulées – industrie nucléaire qui produit des déchets difficiles à traiter, dégradation de l’environnement naturel et baisse de la biodiversité, investissements sociaux insuffisants pour assurer leur pérennité…
Il convient ainsi de répondre à un ensemble d’enjeux contemporains autour de la justice intergénérationnelle et intragénérationnelle : comment compenser les erreurs du passé ? Comment répartir les contributions au sein des générations, par exemple dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Enfin, comment répondre en parallèle à des exigences de justice sociale au sein des générations et entre elles ?
L’ouvrage défend qu’il est nécessaire d’accorder une préférence sociale à une exigence de justice sociale entre les vivants : cela implique concrètement que le respect des droits des plus démunis d’aujourd’hui doit être socialement prioritaire.
Si nous respectons les modalités et finalités de la chaîne de coopération intergénérationnelle précédemment établis, cette priorité en faveur d’une justice globale ne se fait pas aux dépens des droits des membres des générations futures, bien au contraire : d’une part, cela favorise la transmission d’un monde plus juste, et d’autre part l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des vivants favorisera la prise en compte des droits des membres des générations suivantes.
Auteur de l'article :
Docteur en philosophie et en éthique, Cédric Rio est consultant philosophe et accompagne le développement de projets à utilité sociale.