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couverture du livre

La Revendication des droits : Une étude de l'équilibre des raisons dans le libéralisme

L’ouvrage porte sur les droits, singulièrement ceux qui importent pour la liberté ou les libertés, et jouent un rôle de pivot dans les justifications et les revendications qui se réclament du « libéralisme ».

Il propose un cadre unifié pour aborder, dans une perspective dynamique et interactionniste, l'étude du phénomène aujourd'hui central, en démocratie, des processus graduels et finalisés visant des approfondissements des droits ou libertés.


De tels processus, saisis dans leur équilibre avec les attitudes motivées et les raisons qui leur font face, sont ici saisis comme relevant d’une « revendication des droits ». N’exercent-ils pas une influence déterminante sur l'interprétation des droits, et simultanément sur les rapports entre les pouvoirs et sur les formes de la vie sociale et de la prise de responsabilité ? Cette piste est explorée dans l’ensemble du livre.


La complexité méthodologique de l’étude des droits

Le pari que relève l’ouvrage est de tirer le meilleur parti théorique du fait que ces deux dimensions – l’interprétation des droits et les formes politiques et sociales - ne sont pas extérieures l’une à l’autre. Elles sont plutôt deux faces d’une même pièce.

Dans un univers institutionnel imposant des contraintes fortes à l’argumentation, l’évolution du sens donné aux droits et aux libertés comporte, certes, des éléments imprévisibles (liés aux bouleversements scientifiques, technologiques, économiques et culturels) mais repose aussi sur des possibilités interprétatives qui ne sont pas illimitées (s’agissant des principales notions et expressions mobilisées), sur des aspects importants des interactions sociales et sur les ressources qui en découlent pour l’argumentation, pour la justification ou la revendication – en somme, pour ce que l’on appelle quelquefois aujourd’hui le « plaidoyer ».


L’analyse de la dynamique des droits sollicite des ressources diverses, empruntées notamment à la théorie de la décision (théorie des jeux ou des formes de jeux), aux sciences économiques, aux modélisations et théories diverses utilisées dans les sciences politiques.

L’approche philosophique s’appuie ici volontiers sur ces développements, en insistant d’emblée sur les perplexités qui entourent les tâches de description et de classification des droits. Il ne s’agit certainement pas de difficultés simplement techniques, bien qu’elles aient donné lieu à des développements considérables en logique. On rencontre ici une exigence jamais complètement satisfaite d’ajustement des concepts aux questions qui naissent de la pratique juridique ou politique.

De plus, la description et la classification sont liées à des considérations fondamentales au sujet de choses telles que les états du monde et leurs liens avec les actions, l’association entre l’action et les aléas, ou encore les garanties relatives aux suites des actions.


De fait, l’argumentation au sujet des droits réserve une place tout à fait décisive à l’action individuelle et à l’interaction sociale.

A travers une analyse renouvelée du « dilemme du Parétien libéral » (ou « paradoxe libéral ») d’Amartya Sen, l’ouvrage montre que la compréhension des droits, saisie dans son rapport à la liberté, est fondamentalement liée à un travail constructif sur ce qui est « personnel » dans le monde.

Or, si travail il y a, c’est que le « personnel » n’est pas une donnée évidente ; étant lié de tous côtés à l’interaction sociale, il est tributaire de notre représentation de l’insertion de l’action dans celle-ci.

C’est pourquoi la critique libertarienne du « paradoxe libéral », chez Robert Nozick en particulier (dans Anarchie, Etat et utopie), qui se veut centrée sur la liberté de choisir (sans contrainte) d’agir de telle ou telle façon, a une portée énigmatique relativement à la vie sociale réelle.

Stabilité et mobilité des référentiels normatifs

Cette manière d’aborder le sujet, faisant la part belle à la logique de l’interaction sociale, ne va pas tout à fait de soi, surtout dans un examen qui s’inscrit dans la tradition de la philosophie morale et politique.

De fait, nos droits et libertés les plus importants sont aussi des repères plus ou moins stables, auxquels nous nous référons au moyen d’un vocabulaire prestigieux, chargé de nos aspirations éthiques : liberté, autonomie, dignité, etc. C’est souvent dans la direction des droits les plus importants que nous recherchons des « points fixes » de la morale.

Si nous tenons à évoquer des « droits de l’homme » ou des « droits fondamentaux », par exemple, c’est que nous leur accordons une valeur morale insigne, offrant un point d’appui pour résister aux compromissions tout autant qu’à l’émiettement dans un nombre indéfini de dispositions juridiques détaillées. Ne doivent-ils pas offrir une sorte de point de rencontre éthique dans un univers moral par ailleurs pluraliste ? Ne constituent-ils pas des supports de l’éducation morale ?


Sans négliger cet ancrage moral fondamental, il est alors du ressort d’une démarche d’éthique appliquée – motivant ici le choix d’exemples ou études de cas – de révéler la complexité des processus sociaux qui sont porteurs de remaniements significatifs, et qui prennent du temps, dans l’interprétation et l’argumentation (en rapport avec les intérêts en présence mais sans se réduire à eux).

L’étendue des droits et la transformation graduelle de ceux-ci sont l’une et l’autre expressives de valeurs et d’aspirations, mais aussi de contraintes qui naissent de la mise en communication des enjeux les uns avec les autres, dans des institutions qui permettent l’harmonisation des prétentions.

C’est à ce niveau principalement que l’ouvrage propose de rompre avec le genre d’approche idéaliste que véhicule souvent un libéralisme fondé sur le dogme d’une autonomie personnelle qui serait à comprendre en termes purement individuels. Dans la vie sociale et institutionnelle, l’autonomie individuelle s’exprime dans un langage partagé qui reflète l’élaboration conjointe d’interprétations adaptées à des contextes d’interaction et aux problèmes qui en naissent.

Contraintes « naturelles » et intelligibilité des justifications dans la revendication des droits

L’ouvrage rompt aussi avec les approches classiques des enjeux du libéralisme parce qu’il donne une grande importance aux contraintes sur les droits qui naissent de la forme et de la logique des interactions.

Comme l’analyse des choix sociaux et la théorie des jeux nous en informent, tout n’est pas possible dans les formes de l’interaction sociale. S’il y a lieu de juger réductrices les approches des droits qui s’appuient uniquement sur les rapports de force, on ne peut oublier pour autant que l’espace des revendications ne repose pas seulement sur des engagements axiologiques et des croyances. Il est borné par des frontières en quelque sorte naturelles, qui tiennent au fait que nos droits concernent nos manières d’agir en société.


C’est ce qui motive, dans l’ouvrage, la sollicitation des analyses du conflit et de la formation de compromis ou d’arrangements pour aborder la thématique de la résilience comparée des prétentions normatives.

Certains droits offrent plus de résistance que d’autres aux changements sociaux et interprétatifs. Leur manière spécifique de peser face à d’autres catégories de raisons ne ressortit pas seulement au poids relatif de différents engagements moraux, mais également à des propriétés des actions, des interactions et de la conflictualité.

Nos raisons mobilisées à l’appui des droits sont liées de très près à ces propriétés, qui offrent dès lors des ressources pour s’orienter dans l’univers des revendications et de ce qui leur fait obstacle. Les droits et la liberté renvoient, dans un ordre social fondé sur des normes, à l’« arbitrage entre garanties » 1.

Conclusion

Un constat en résulte : Dans le monde occidental contemporain, le libéralisme a cessé d’être systématiquement associé à la liberté 2. Il a aussi à voir avec les contraintes, et les doctrines fondées sur la recherche d’une liberté de choix aussi grande que possible deviennent, en fin de compte, des doctrines d’ordre. Les progrès dans la direction du libéralisme politique ou du libéralisme économique (l’un étant fortement lié à l’autre) déplacent des contraintes, en fonction des garanties accordées.

Il n’y a pas lieu pour autant de désespérer de la possibilité d’identifier des formes d’action et des garanties traduisant plus particulièrement des aspirations à la liberté. Simplement – si l’on suit l’analyse déployée dans l’ouvrage – cela doit tenir à l’équilibre atteint entre des raisons qui se font face dans la concurrence pour altérer un ordre commun et ce dernier lui-même soumis aux contraintes qui naissent des conditions naturelles et sociales des interactions humaines.

Auteur de l'article :

Emmanuel Picavet, professeur d'éthique appliquée à la Sorbonne


1 p.121
2 p.19