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La Peine de mort : vers l’abolition absolue ?
M. Crépon, J.L. Halpérin et S. Manacorda (dir.)Le mouvement vers une abolition complète de la peine de mort semble marquer le pas : en Asie, Afrique ou Amérique du Nord, on continue d’exécuter chaque année des centaines de condamnés par fusillade, pendaison, strangulation, décapitation ou injection létale
1. Dans les pays abolitionnistes, en Europe ou ailleurs, on assiste à une montée des extrêmes qui revendiquent un rétablissement de celle-ci.
Faut-il donc considérer que ce combat est perdu ? Cet ouvrage présente l’analyse de philosophes, juristes, cartographes, qui apportent un précieux éclairage sur ce que nous réserve l’avenir à ce sujet…
Aux origines : Hugo
A l’origine de ce combat progressiste pour l’abolition de la peine de mort, il y a, tout naturellement, Victor Hugo. Marc Crépon nous propose une lecture attentive de l’œuvre de celui-ci, des Derniers jours d’un condamné à Quatre-vingt-treize. En effet, rares sont ses romans dans lesquels n’apparaît pas la silhouette menaçante de la guillotine
2.
Ainsi dans ce remarquable passage de Quatre-vingt-treize :
Au premier abord, l’idée que cette chose éveillait était l’idée de l’inutile. Elle était là parmi les bruyères en fleur. On se demandait à quoi cela pouvait servir. Puis on sentait venir un frisson […] C’était peint en rouge. Tout était en bois, excepté le triangle qui était en fer. On sentait que cela avait été construit par des hommes, tant c’était laid, mesquin et petit ; et cela aurait mérité d’être apporté là par des génies, tant c’était formidable. Cette bâtisse difforme, c’était la guillotine3.
Ce qui amène Victor Hugo à se lancer dans un tel combat, c’est le spectacle d’un condamné marchant vers l’échafaud. Bouleversé, il prend conscience tout à coup de l’inviolabilité de la vie humaine
, qui trouve son fondement dans le caractère absolument singulier de la vie
4.
En effet, il y a dans toute vie un « être au monde », c’est-à-dire une relation à la nature, au ciel, aux étoiles, aux arbres, aux murs de la ville, à leur cortège de sons, d’odeurs et de couleurs qui en fait la singularité absolue
5.
Et c’est cette singularité que Victor Hugo restitue de manière si frappante dans les Derniers jours d’un condamné :
C’est moi qui vais mourir ! Moi, le même qui est ici, qui vit, qui se meut, qui respire, qui est assis à cette table, laquelle ressemble à une autre table, et pourrait tout aussi bien être ailleurs ; moi enfin, ce moi que je touche et que je sens, et dont le vêtement fait les plis que voilà
6.
Au fil de cette lecture, Marc Crépon reconstitue l’argumentaire de Hugo : l’impossibilité d’une exécution sans souffrance, la réfutation de l’exemplarité du châtiment suprême (la peine de mort s’applique désormais en catimini, sinon en secret, avec une publicité minimale – à l’aube […] comme si la société en avait honte
7).
Alors il ne reste rien d’autre qu’ une voie de fait sanglante qui s’appelle crime quand c’est l’individu qui l’accomplit et qui s’appelle justice (ô douleur) quand c’est la société qui la commet
8.
Philosophes, juristes et cartographes
Ce n’est pourtant là que le début de l’ouvrage…
Frédéric Worms défend l’idée que l’abolition de la peine capitale institue l’humanité en tant que telle, c’est-à-dire est condition d’une vie humaine
9.
Jean-Claude Monod s’intéresse aux cours que Derrida a professé à l’EHESS entre 1999 et 2001 lors d’un séminaire consacré à la peine de mort.
Sandra L. Babcock présente ses recommandations pour adopter un nouvel ensemble de principes renforçant les limites à l’application pratique de la peine de mort
10, appelant en particulier à une révision des Garanties encadrant l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Luis Arroyo Zapatero expose une grille de processus, de faits et d’acteurs significatifs de l’évolution du mouvement d’abolition
11.
Enfin, Jean-Louis Halpérin, Stéfano Manacorda et Marie Nicolas présentent un travail de cartographie dynamique réalisé au Collège de France recensant les pays abolitionnistes, ceux qui ont institué un moratoire et ceux qui continuent à appliquer la peine capitale, livrant ainsi une précieuse vision d’ensemble de la situation actuelle.
Mireille Delmas-Marty conclue sur une note encourageante : Le chemin me paraît clairement aller vers l’interdiction (sans point d’interrogation) de la peine de mort. Ce n’est pas un chemin rectiligne, mais extrêmement sinueux
12.
Le livre se clôt sur une postface de Robert Badinter, qui a joué un rôle de pionnier dans ce combat.
Conclusion
Un ouvrage clair et pédagogique, riche d’une grande diversité d’approches, pour appréhender ce phénomène complexe
Un livre de référence, recommandé à tous ceux qui s’intéressent à ce combat politique, pour une justice véritablement humaine.
1 Introduction
2 Ch.1
3 Quatre-vingt-treize, p.374
4 Ch.1
5 Ibid.
6 Les Derniers jours d’un condamné, p.325
7 Ch. 1
8 « La peine de mort, discours non prononcé », p.80
9 Ch.2
10 Ch.4
11 Ch.5
12 Conclusion