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De la peine de mort en philosophie



Il ne s'agit pas ici d'ouvrir une nouvelle fois le débat sur la peine de mort, mais de se demander si la raison, par elle seule, peut amener à fonder la légitimité de son abolition.

Une interrogation qui nous amène à examiner de près les positions qu'ont soutenues, à travers l'Histoire, les principaux philosophes.



Est-il possible de fonder rationnellement notre opposition à la peine de mort ? Cette interrogation amène l’auteur à examiner les différentes argumentations mises en place par certains philosophes emblématiques de ce débat, qu’ils soient partisans de la peine de mort ou au contraire, de son abolition.

Les deux camps partagent en effet un même présupposé : A tort ou à raison, les philosophes ayant justifié – et quelquefois rejeté– la peine de mort l’ont toujours fait au nom de la raison et de la vérité 1.

Finalement, il convient de se poser la question : l’abolition de la peine capitale (ou son maintien) est-elle une vérité rationnelle irréfutable 2 ? Ou la raison est-elle impuissante, par elle seule, à trancher le débat, en justifiant aussi bien l’une ou l’autre des positions ?

La raison déchirée

Déjà dans l’œuvre de Platon, la raison est divisée contre elle-même : une tension essentielle apparaît, entre l’idée socratique que « nul n’est méchant volontairement », ce qui amène à considérer avec indulgence celui qui s’est rendu coupable d’un crime, et l’idée proprement platonicienne que la peine capitale peut avoir des vertus thérapeutiques, pour purifier et soigner l’âme du méchant.


Trouvera-t-on dans la tradition libérale, qui a participé historiquement à la défense des droits de l’homme, des arguments décisifs ? Rien n’est moins sûr : ce père fondateur du libéralisme qu’est John Locke, défenseur des droits de l’individu contre le pouvoir de l’Etat, ne se lance pas dans un combat contre la peine de mort.

Certes, son contractualisme semble l’exclure : le contrat que les hommes passent entre eux afin de sortir de l’état de nature et fonder une société civile ne paraît pas compatible avec une telle possibilité : Or un homme, n’ayant point de pouvoir sur sa propre vie, ne peut par aucun traité, ni par son propre consentement, se rendre esclave de qui que ce soit, ni se soumettre au pouvoir absolu et arbitraire d’un autre, qui lui ôte la vie quand il lui plaira. Personne ne peut donner plus de pouvoir qu’il n’en a lui-même 3.

Mais la légitimité de la peine capitale se fonde sur son caractère dissuasif, et ce dès l’état de nature : C’est pour cela que chacun, dans l’état de nature, est en droit de tuer un meurtrier, afin de détourner les autres de faire une semblable offense, que rien ne peut réparer ni compenser, en les épouvantant par l’exemple d’une punition à laquelle sont sujets tous ceux qui commettent le même crime 4.

Ce droit est transmis à l’institution judiciaire lorsqu’on sort de l’état de nature, qui a donc tout pouvoir d’appliquer un tel châtiment.


D’autre part, Locke plaide pour un rétributivisme pénal, c’est-à-dire pour le fait que les peines encourues soient proportionnelles au crime commis. Si cela a contribué à un adoucissement des peines (les châtiments étant souvent bien plus violents que le délit commis), cela favorise paradoxalement la peine capitale, qui paraît seule à même de compenser les souffrances provoquées par un meurtre.

Enfin, un assassin perd sa dignité d’être humain, pour être relégué au rang de l’animalité, et par là peut être traité comme tel : il a déclaré la guerre à tous les hommes, et par conséquent doit être détruit comme un lion, comme un tigre, comme une de ces bêtes féroces avec lesquelles il ne peut y avoir de société ni de sécurité 5.

Ici encore, on trouve dans la pensée de Locke aussi bien des éléments qui condamnent que des éléments qui justifient le recours à la peine de mort. La raison apparaît une nouvelle fois comme divisée, déchirée, entre des principes contraires, et de ce fait reste impuissante.

Au-delà de la raison : la pitié, ou le cœur

Ce n’est là que le point de départ d’une longue enquête qui va nous amener à examiner les positions de Kant, Beccaria, Bentham et Stuart Mill, Rousseau.

Une lecture attentive, patiente, des textes, nous permettra ainsi de dissiper les fausses évidences :

- On découvrira ainsi que si l’utilitarisme a toujours été associé à la lutte contre la peine de mort, John Stuart Mill, l’un des fondateurs de cette doctrine, a rédigé un ouvrage pour défendre la légitimité de cette peine.

- On se demandera comment Kant parvient à concilier sa défense d’un tel châtiment avec l’idée de dignité humaine : un condamné à mort est-il vraiment traité comme une fin, et non pas seulement comme un moyen, conformément à l’impératif kantien ?

- On verra que Rousseau, traditionnellement associé à l’idée d’un individu sacrifié à la volonté générale incarnée par l’Etat, fait signe vers ce qui permettrait de rejeter la peine de mort, au-delà de tout fondement rationnel : la pitié, le cœur, ou encore la sensibilité. Un argument décisif, qui sera repris comme tel par Beccaria, qui prétend pourtant s’opposer à lui, et par la postérité abolitionniste.


Cet ouvrage clair et pédagogique de Benoît Basse renverse de nombreux préjugés sur les prises de positions des philosophes dans ce débat. On voit à l’œuvre la lente progression des idées à travers l’Histoire, jusqu’à l’abolition.

Un livre précieux, à mettre entre toutes les mains de ceux qui s’intéressent aux fondements philosophiques de ce combat politique…



1 Introduction
2 Ibid.
3 Second traité du gouvernement civil, chap. IV, §23
4 Ibid., chap. VI, §53
5 Ibid., chap. II, §11