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photo d'Isabelle Daudet

Lettre ouverte à certains antispecistes qui voudraient que les animaux soient des hommes comme les autres…ou l’inverse

Isabelle Daudet

Droits des animaux, dignité des animaux…pourquoi, au fond, refuse-t-on la conscience à l’animal ? De quel droit ?


Thématique : Ecologie



Si la conscience est avant tout la saisie intérieure d’un être par lui-même, que savons-nous de l’autre ? Que savons-nous de cet autre qu’est pour nous l’animal ? Pourquoi refuse-t-on la conscience à l’animal ?

L’esprit et le corps, la rupture.

On peut dire avec Platon que l’âme du sage doit vivre sa vie propre en se libérant du corps qu’elle méprise et où elle est « en exil ». L’âme humaine, la conscience, est dans le corps comme un vivant attaché à un cadavre. Si l’animal vit de la vie du corps, l’homme, lui, conquiert ou reconquiert, par degrés, la vie de l’âme dans sa pureté. Il passe donc entre l’homme et l’animal une frontière infranchissable. Il y va de notre dignité d’homme. L’enjeu est trop grand pour qu’on touche à cette transcendance de la conscience par rapport au biologique animal.

Poussant au bout le dualisme de Platon, Descartes sépare l’être en deux substances : la pensée (le monde de la conscience, tous les êtres spirituels) et l’étendue (le monde de la matière et du mouvement, tous les êtres corporels). L’animal relève donc des lois de la mécanique et laisse l’homme à l’orgueilleuse solitude de sa dignité spirituelle. 

 

Oui mais, la rupture fermement établie entre l’homme et l’animal fait fracture dans l’homme lui-même. Comment rendre compte, en l’homme, de l’union de l’âme et du corps ? Et comment rendre compte dans l’animal de la présence, indéniable, d’intelligence et d’affectivité ? 

L’esprit émerge du vivant et l’achève.

Sans doute est-il plus pertinent de chercher, de l’animal à l’homme, non une faille dans l’être, sans point de contact possible, mais des dynamiques différentes dont l’une émerge de l’autre sans jamais s’y réduire. C’est le sens de la théorie de l’âme d’Aristote, selon laquelle nous possédons avec tous les vivants l’âme végétative, avec les animaux l’âme sensitive, mais nous possédons seuls l’âme intellectuelle, c’est-à-dire la conscience et avec elle l’aptitude à l’universel.

 

La conscience n’est pas seulement saisie intérieure d’un être par lui-même. Au-delà de cette pure réflexivité, elle est un regard distancié sur le monde, elle est interrogation et projet sur ce monde qu’elle transforme, et porteuse d’un sens, qu’elle transmet.

La conscience humaine se saisit du monde dans une liberté et un projet qui le maîtrisent et le transforment. Quoi de plus humain que l’outil, la ruse de la raison, écrivait Hegel. La conscience se révèle et s’achève dans la technique et dans l’Histoire.

 

Mais alors, si la conscience me définit comme homme, si en moi elle assume mais dépasse l’animalité, en quoi et jusqu’où ? En un mot, qu’est-ce qu’être un homme, que l’animal ne sera jamais ?

La conscience assume l’interrogation et l’inquiétude.

Etre conscient, c’est se saisir présent à soi et au monde, dans une interrogation sur nous-mêmes et sur le monde.

C’est pouvoir dire « je », c’est-à-dire se poser dans l’être, et aussi dans le temps, donc face à la mort. Le « souci » heideggerien n’est rien d’autre que cette  inquiétude d’un être qui se sait promis au néant. L’infranchissable frontière entre l’animal et l’homme tient à ce que je suis temporel quand il ne sera jamais que temporaire. 

« L’homme est le seul être pour lequel il est dans son être question de son être » écrit Heidegger. Il n’est dans l’animal question de rien. La question, c’est la vie même de la conscience. Innocence de l’animal instantané. Grandeur et misère de la conscience humaine qui pense sa condition et en assume le tragique. Et qui dépasse aussi sans cesse cette condition : par l’action libre et responsable, ou bien par l’art, ou encore par la foi où la conscience trouve au plus intime d’elle-même son bien et sa fin.

 

L’homme porte dans l’intériorité de la conscience l’idéal, l’invention et l’inquiétude métaphysique. La spontanéité de l’animal en est incapable. Voilà pourquoi il est légitime de lui refuser la conscience. Sans mémoire et sans projet, l’animal colle au monde de toute la routine de son instinct. Merveille d’adaptation mais sans invention ni progrès, innocent mais sans morale, satisfait mais sans même l’idée du bonheur, tel est au fond l’animal : sans histoires mais sans Histoire, un être donné alors que nous construisons notre être, librement.

Ainsi l’animal n’a pas de droits, qu’il serait fondé à revendiquer, mais nous avons des devoirs à l’égard de cet être qui partage avec nous la sensibilité et l’intelligence. L’être moral, c’est nous.

Et la reconnaissance de la sensibilité animale, qu’il nous incombe de protéger, est d’abord un devoir de l’homme envers lui-même, écrivait Kant.