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couverture du livre

Métaphysique du paradoxe

Il se lève, il fait encore nuit ; les paradoxes apparaissent. Qui donc se lève, toutes les cellules de son corps ayant été renouvelées (paradoxe du bateau de Thésée* ou de Chisholm*) ? Et ne devrait-il pas faire jour la nuit (paradoxe d’Olbers*) ?

Les paradoxes nous environnent et semblent arrêter nos explications de l’univers, de l’homme, de la société ou de Dieu.


C’est la paradoxalité de tout ce qui nous est donné à connaître. Les paradoxes scientifiques (ou cognitifs) le confirment, souvent résolus mais en nous en présentant de nouveaux. La logique, elle-même souvent paradoxale, ne peut nous les faire tous franchir. Le paradoxe serait donc la seule façon de connaître, constituant la limite infranchissable d’un savoir rationnel.
Dès lors, cette Métaphysique du paradoxe propose d’épouser, en réponse à la paradoxalité des choses, une modalité paradoxale du connaître.


Qu’est-ce qu’un paradoxe ?

À l’écart de milliers d’ouvrages sur les paradoxes, il ne s’agit pas ici de présenter quelques paradoxes, amusants ou instructifs, mais de définir le paradoxe, quand bien même on pourra le voir sous trois espèces, selon que les « choses » s’excluent (paracosmies), que la logique est prise en défaut (paralogies) ou que l’on a affaire à un parfait insoluble (paradoxies), suivant Yannis Delmas-Rigoutsos.
On s’en convaincra en parcourant un lexique où cent-cinquante paradoxes sont succinctement présentés, ou en prenant connaissance d’autres classifications des paradoxes pas entièrement convaincantes.

On ne connaît les choses que par paradoxes

Qu’il s’agisse de connaître l’univers, l’homme, Dieu ou la société humaine, on ne rencontre que des contradictions. La cause, depuis Héraclite et jusqu’à Hegel, en était certes entendue. Mais, si paradoxe il y a, la contradiction n’était donc qu’un indice, une piste à suivre.

L’univers. Derrière les paradoxes « onde-corpuscule », « univers fini sans bord », « hasard et nécessité », etc., il y a la question de Leibniz : il serait plus simple qu’il n’y ait rien, pourquoi donc y a-t-il quelque chose ? C’est que la science est « connaissance par les causes » et que si la cause reste inconnue, elle n’en demeure pas moins une.

L’homme. Au-delà de « la vie, c’est la mort » de Claude Bernard ou du paradoxe anthropique, on découvre que la liberté humaine réside dans l’obéissance, quel paradoxe !

Société. Avec son nouvel Ancien Régime, des légitimités illégales et des légalités illégitimes, nul n’est censé ignorer la loi, mais personne ne saurait la connaître, la démocratie française et, de là, toute société humaine, s’avère bien paradoxale.

Dieu. Dans l’exemple du christianisme, la vérité ultime réside dans les paradoxes les plus extrêmes : « vrai homme et vrai Dieu », « un seul Dieu en trois personnes », « transcendant et immanents », par exemple.

Il y a donc des limites aux savoirs

À commencer par une preuve qui se définit comme une croyance, les limites de la connaissance scientifique sont désormais bien établies : limites constructives, prédictives, ontologiques et cognitives (cf. Hervé Zwirn). Reste à distinguer entre science et philosophie, à se demander s’il faut vraiment choisir entre vérité et réalité qui, selon les disciplines, s’opposent paradoxalement, et à constater que l’objectif et le subjectif ne peuvent exister indépendamment l’un de l’autre.

Distinguer raison et intelligence

À distinguer raison et intelligence, tel que la tradition philosophique l’a fait de tout temps, on découvre l’inversion kantienne et le piège dans lequel semble être tombé presque tout l’Occident moderne. Dès lors, on est conduit à reconnaître que l’intelligence est le sens de l’être, que l’acte intellectuel premier est essentiellement intuition du réel comme tel, conscience qu’il y a du réel (de même que le sucré n’a de sens que pour le goût et le rouge que pour la vue). L’intellect exige de l’intelligibilité, comme l’œil exige de la lumière ; et cette intelligibilité est révélatrice de l’être (Jean Borella).
Si la raison, et la logique qui la gouverne, besognent ou exécutent, c’est l’intelligence qui permet à l’homme de comprendre, et ainsi de connaître.

De l’enseignement du paradoxe

Or, il y a les paradoxes qui permettent à la raison de réaliser ses limites. Les paracosmies apprennent à la raison qu’elle est soumise à son objet, rationnellement réduit, et les paralogies lui rappellent qu’elle est gouvernée par la logique. Ces paradoxes sont sa chance de réaliser ses limites, spécialement celle de son fonctionnement discursif – et horizontal –, et de réaliser l’infinité de choses qui la surpasse (Pascal).
Les paradoxes du troisième type, les paradoxies, peuvent alors édifier l’intelligence. Leur parangon, le paradoxe d’Épiménide, se découvre alors comme l’épreuve initiatique pour l’entrée dans la voie philosophique (Borella).

La connaissance paradoxale

Ce mode paradoxal du connaître, correspondant à la paradoxalité du réel, n’est pas si nouveau. On le décèle au revers de la connaissance analogique, comme son double caché, et il s’illustre, au plus brillamment, dans la dialectique platonicienne. Débordant tout conceptualisme, il permet à l’intelligence humaine de s’affronter jusqu’au paradoxe d’une Non-Contradiction absolue, comme à celui de l’Altérité-Identité ou de l’Un et du multiple.
Dans un autre domaine, cette connaissance paradoxale avait déjà un nom, et même plusieurs : nescience ou gnose, epignose chez S. Paul, ou encore docte ignorance chez Nicolas de Cuse. Grâce au paradoxe, la philosophie elle-même y accède.

Dieu est mort et c’est Kant qui l’a tué

Au passage, on relèvera quelques provocations comme celle-ci.

Un exercice unique

Outre la constitution d’un lexique de cent-cinquante paradoxes de référence, on relève plus de mille auteurs cités et une bibliographie de près de sept cents ouvrages.
Surtout, pour faciliter la lecture à travers tous les thèmes dont relèvent les paradoxes, vingt-et-un courts appendices regroupent des aperçus sur quelques questions-clefs, telles que Métalangue ou métaphysique ?, les Universaux, la Crise sophistique, les Cause d’Aristote, etc..

Auteur de l'article :

Bruno Bérard, docteur de l’École Pratique des Hautes Études (Religions et systèmes de pensée), consacre ses travaux à une métaphysique « pratique ». Il dirige la collection « Métaphysique au quotidien » chez L’Harmattan, et, à titre personnel, est publié en France et aux États-Unis ; citons une Introduction à une métaphysique des mystères chrétiens (2005, imprimatur), Jean Borella, la Révolution métaphysique (2006), une Initiation à la métaphysique (2009), une Métaphysique des contes de fées (2011, avec Jean Borella), A Metaphysics of the Christian Mystery: An Introduction to the Work of Jean Borella (2018). Il a aussi dirigé des ouvrages collectifs, tels que Qu’est-ce que la métaphysique ? (2010), Métaphysique et psychanalyse (2013), Physique et métaphysique (2018).