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Les refus de soins
Aurélien Dutier & Miguel JeanSi, en droit français, les patients disposent du droit de refuser l’ensemble des traitements qui les concernent, le refus d’un soin ou d’un traitement nécessite, cependant, la mise en œuvre d’une réflexion éthique collégiale.
De quoi ce refus est-il le nom ? Quels sont les dilemmes impliqués par ces refus ? Quel sont leur sens et comment y faire face ?
Première partie : Cadre, enjeux et repères
Cette première partie présente les principaux questionnements éthiques du refus de soins (par Aurélien DUTIER, philosophe, chargé de mission à l’Espace de Réflexion éthique des Pays de la Loire EREPL), les repères juridiques qui encadrent aujourd’hui les refus de soins en France (par Magali BOUTEILLE-BRIGANT, juriste à l’Université du Mans) et les fondements d’une philosophie du refus (par Jean LOMBARD, philosophe spécialisé en éthique médicale).
Le droit, pour les patients de refuser tout traitement, n’abolit pas la nécessité d’une évaluation clinique et d’une réflexion éthique sur le sens de ce refus, ses conditions d’expression, ses limites, ses impacts. Prendre en considération le refus exprimé par un malade n’est ni un abandon ou une résignation et il y aurait autant d’écueils à disqualifier ou délégitimiser les refus des patients que de les prendre en compte sans réflexion, les consigner froidement et mécaniquement sans les contextualiser et les intégrer dans une relation de soin plus large.
La problématique du refus de soins n’est pas un chapitre parmi d’autres de l’éthique ordinaire du soin, mais le redoutable révélateur de ce qui est la condition même de toute pratique médicale ou sociale qui peut se dire humaniste, la rencontre entre deux libertés. 1
Parce que les conséquences peuvent être dramatiques, les situations de refus de soins peuvent rapidement cliver, opposer, diviser les professionnels, en désaccord sur la légitimité de leur champ d’action, sur les capacités des patients à décider pour eux-mêmes, sur leur niveau de responsabilité face aux risques ou au danger lié aux conséquences du refus, etc.
Jusqu’où aller pour le bien de l’autre ? Jusqu’où la bienfaisance attendue pour le patient justifie-t-elle la suspension de son autonomie ?
Si refuser un soin reste largement perçu négativement comme une posture réactive, non constructive, voire un aveu de faiblesse, le refus d’un patient peut être pourtant une affirmation autant qu’une réaction. Le refus n’est pas forcément l’expression d’une résignation face à la perspective de sa fin de vie, mais bien l’un des moyens pour reprendre la main, pour redevenir acteur et sujet décisionnaire de son propre corps et de son destin. Le refus de soin peut être un moyen d’exercer un sentiment de maitrise, de vive affirmation de soi.
L’intérêt d’une éthique du refus est qu’elle prend à revers l’idéologie du consensus dans laquelle nous vivons : elle s’oppose aux positivités triomphantes et proclame que c’est la négation qui est créatrice et non pas l’affirmation, comme le prétendent les discours convenus et les conditionnements médiatiques. 2
Surtout lorsqu’on est douloureux, souffrant, alité, dans une situation de vulnérabilité, il faut parfois beaucoup de force, de ressource, d’énergie pour refuser un soin, un traitement ou simplement une relation d’aide. Refuser un soin suppose aussi d’avoir été placé dans la position de pouvoir dire non.
À ce titre, la prise en compte des refus de soins suppose une adaptabilité, une souplesse, des espaces d’échanges et de questionnements de plus en plus difficiles à concilier avec les contraintes et les urgences du soin.
Deuxième partie : la réflexion éthique en pratique à partir de situations cliniques singulières
Après avoir posé les principaux repères éthiques, philosophiques et juridiques autour du refus de soin, le livre propose différentes situations cliniques singulières, dans lesquelles le refus exprimé par les patients a pu générer des dilemmes et des questionnements éthiques importants : refus de soin d’un enfant dans un service en pédiatrie, refus d’une personne ayant des troubles du comportement alimentaire, refus d’une gastrostomie d’une personne en situation de handicap, refus de transfusion sanguine dans le contexte d’une urgence vitale, refus d’hospitalisation d’une personne à la rue ou refus d’une vaccination en EHPAD, etc…
Ces situations cliniques sont toutes rapportées par les soignants qui ont fait face à ces refus de soins. Ces soignants détaillent les dilemmes, les questionnements, les valeurs, les arguments qui les ont guidés pour faire face à ces refus.
Après la présentation de ces situations, un petit entretien mené par Aurélien DUTIER et le Dr Miguel JEAN, (Directeur de l’Espace de Réflexion éthique des Pays de la Loire, EREPL) revient sur les spécificités et les difficultés éthiques de chaque refus.
Travailler sur la question du refus de soins impose une prise en compte de l’extrême singularité de chaque situation et témoigne de l’inextricable articulation entre la clinique et l’éthique.
La réflexion éthique ne prend sens qu’à partir du moment où elle s’incarne dans la complexité des situations cliniques et dans la singularité de chaque drame humain. Les dilemmes et des enjeux éthiques seront, en effet, profondément différents en fonction de l‘urgence médicale, du caractère vital, risqué et invasif des traitements ou des actes de soin refusé, en fonction des (in)capacités du patient à évaluer son propre état de santé et les conséquences de son refus sur lui et sur les autres, en fonction de la façon dont le patient exprime ce refus, etc…
Conclusion
Cet ouvrage, dans une approche volontairement didactique et accessible, donne à entendre les questionnements, les dilemmes, les incertitudes et les doutes des professionnels. Au cœur de la complexité et du quotidien de la pratique du soin, ces contributions explorent l’épaisseur des drames humains qui peuvent se jouer derrière toute relation de soin.
Auteur de l'article :
Aurélien Dutier, philosophe, chargé de mission à l’ l'Espace de Réflexion Éthique des Pays de la Loire.
1 Jean LOMBARD, page 42
2 Jean LOMBARD, page 29