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couverture du livre

De l’Ethique de Spinoza à l’éthique médicale

Est-il possible de solliciter Spinoza pour éclairer, sinon résoudre, les problèmes éthiques que les acteurs du monde médical rencontrent dans leur pratique ?
C’est là le pari de cet ouvrage, qui apporte donc un regard original, spinoziste, sur les problématiques traditionnelles de l’éthique médicale.



Deux traditions de pensée sont communément utilisées pour penser les problèmes éthiques qui surgissent dans le domaine médical : le courant déontologique, dont Kant est la figure emblématique, et le courant conséquentialiste, dont l’utilitarisme est le représentant privilégié.

Dans ce domaine, on a rarement fait appel à Spinoza… Pourquoi ? On est en droit de s’interroger sur les raisons d’un tel oubli, puisque ce dernier propose une conception révolutionnaire des rapports entre le corps et l’esprit, au cœur même des enjeux liés à la médecine, et une éthique qui pourrait venir nourrir les réflexions des praticiens.

Eric Delassus va ainsi, en s’appuyant sur une lecture attentive de l’Ethique, explorer cette voie prometteuse...

Le spinozisme : une philosophie de la vie

Lorsqu’un malade va consulter et reçoit un diagnostic, sa vie bascule : il est confronté à l’absurdité de cette maladie qui le ronge, et finalement, à l’idée de la mort, qui jusque-là, n’était qu’une hypothèse théorique qu’il fuyait. Sidéré, angoissé, il s’interroge alors sur le sens de l’existence, et peut basculer dans le nihilisme. La douleur physique s’accompagne d’une crise psychologique, pouvant le mener aux pires extrémités. Du corps, la souffrance déborde jusqu’à l’esprit.

C’est ici le domaine propre de l’éthique médicale : comment accompagner le malade, quelles précautions faut-il prendre, pour qu’il retrouve la sérénité, pour que la douleur corporelle n’atteigne pas l’esprit, ne se redouble pas ?

Or Eric Delassus nous fait remarquer que face à la morbidité de ces sentiments, la pensée de Spinoza nous offre une voie de salut parce qu’elle se présente comme une philosophie de la vie 1. On sait en effet que celui-ci soutient que l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie 2.

Comment aider le malade à parvenir à ce stade de sagesse ? Voici peut-être la véritable finalité de l’accompagnement thérapeutique. Quels seraient alors les principes spinozistes sur lesquels le médecin ou ses aides pourraient s’appuyer, pour une telle conversion ?

Le refus de la superstition & le déterminisme

Spinoza montre que les hommes, désemparés par les malheurs qui les accablent, se laissent souvent gagner par la superstition et la crédulité. Ils vont alors penser qu’il faut honorer les dieux pour échapper au mauvais sort, etc. Finalement, cela, loin de les apaiser, [produit] l’effet inverse de celui recherché, les rendant encore plus inquiets qu’ils ne l’étaient initialement 3.

Or un malade peut ressentir cette tentation : Ce dernier est prêt à tout croire pour retrouver l’espoir, ou au contraire se laisse dominer par le désespoir et la crainte 4. Il peut ainsi se laisser abuser par les sirènes de promesses de guérison miraculeuses, les sectes, etc.

Pourtant, il est possible d’échapper à un tel sort. Il faut pour cela, selon Spinoza, comprendre ce qu’est la Nature, et ce qu’est l’Homme. C’est là tout l’itinéraire spirituel qui se déploie dans les cinq parties de l’Ethique. Examinons ici l’un des traits essentiels de cette pensée, qui la caractérise en propre : son profond déterminisme.


On le sait, la pensée de Spinoza se déploie dans un cadre déterministe : l’Homme n’est pas un Empire dans un Empire 5, mais tout est déterminé par une chaîne de causes et d’effets. Dans un tel contexte, il semble qu’un malade ne puisse rien trouver de consolateur. Pourtant, l’homme peut tout à fait trouver la voie de la liberté, et du bonheur.

En effet, la compréhension de ce déterminisme le libère de tout finalisme, qui est le fondement ultime de la superstition. Ainsi, le superstitieux croit que la tuile n’est pas tombée par hasard sur la tête d’un passant mais que c’est là une décision divine, Dieu cherchant donc par là à accomplir un certain but.

Le monde spinoziste exclut tout finalisme, pour ne retenir qu’un mécanisme. Si la tuile est tombée, c’est parce qu’il y a eu un coup de vent à ce moment-là, qui lui-même a une cause, etc.

Une telle théorie vient apaiser le malade : sa maladie n’est pas une punition divine, elle est le simple effet d’une chaîne de causes que le médecin va chercher à contrebalancer par d’autres causes.

Conclusion

Ce n’est là qu’un premier exemple : le conatus, la définition spinoziste de l’esprit comme « idée » du corps, la conception implicite de la personne dans le Traité de la réforme de l’entendement, etc. tout cela représente des points de rencontre entre la pensée de Spinoza et les problématiques les plus classiques qui couvrent le champ de l’éthique médicale.

Un ouvrage salutaire, qui montre comment la pensée du grand philosophe hollandais peut venir, des siècles plus tard, éclairer les problématiques qui se posent aux spécialistes au cœur de leur pratique, dans un domaine qui n’était pourtant pas, à première vue, le sien propre.


1 p.31
2 Ethique, IV, Prop. LXVII
3 p.39
4 Ibid.
5 Ethique, Livre III, préface