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couverture du livre la Phénoménologie de l'esprit de Hegel

Résumé de la Phénoménologie de l'esprit (page 5)


La redéfinition hégélienne de la vérité lui donne un avantage décisif : il n’a pas à réfuter telle ou telle doctrine, mais à la réduire simplement à un moment du déploiement progressif de la vérité.

En cela, il lui donne une légitimité (c’est un moment nécessaire de ce développement et doit être respecté en tant que tel), mais la réfute également (ce n’est qu’un moment, un stade de ce développement, et en cela est dépassé, ou le sera bientôt). Ou encore : il se donne ainsi le luxe de ne pas avoir à réfuter telle ou telle doctrine philosophique, c’est l’Histoire qui s’en charge.

Ainsi par exemple, il n’y a pas à produire une réfutation du stoïcisme, ce qui serait pour le moins difficile : il suffit de montrer que ce courant philosophique a correspondu à une certaine période de l’Histoire (Grèce et Rome antique), et a laissé place à une nouvelle forme du développement de la vérité, une nouvelle doctrine.


En redéfinissant la vérité, Hegel modifie également par là même ce que signifie « réfuter une théorie ». Il ne s’agit plus de trouver des erreurs factuelles, des contradictions ou un manque de preuves dans une doctrine, ce qui manque d’ailleurs de sens : quelles sont les erreurs que l’on peut trouver dans un chef-d’œuvre du stoïcisme comme les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle ? Il s’agit de montrer en quoi cette doctrine a été, à cette époque, la forme dans laquelle la vérité s’est incarnée de manière décisive, comment elle a perdu cette légitimité, quelle est la forme qui lui a succédé dans ce rôle et pourquoi.

Ainsi, de la même manière qu’il n’y a pas à réfuter le bouton, ni la fleur, il n’y a pas à réfuter telle ou telle théorie mais simplement relativiser leur importance, et leur vérité, comme représentant simplement des moments du Tout, ou de la vérité, ce qui revient à la même chose, puisque le vrai est le Tout1.


C’est de cette manière que Hegel porte le coup fatal à la doctrine de l’intuition. Il remarque que si celle-ci a eu son heure de gloire (le romantisme allemand, la doctrine post-kantienne de l’enthousiasme), elle appartient déjà au passé. Aujourd’hui, on assiste à un changement d’époque : Il n’est pas difficile de voir, au demeurant, que notre époque est une époque de naissance et de passage à une nouvelle période. L’esprit a rompu avec le monde où son existence et sa représentation se tenaient jusque alors ; il est sur le point de les faire sombrer dans les profondeurs du passé, et dans le travail de sa reconfiguration.

C’est donc le Temps lui-même qui se charge d’en finir avec les doctrines de l’intuition, de l’immédiat : difficile pour ces dernières de résister à un tel adversaire ! On voit combien le procédé argumentatif de Hegel est puissant : il bénéficie de la vision d’ensemble, globale, des panthéismes, ces doctrines qui appréhendent la réalité comme un Tout.


Dans un texte magnifique, d’un point de vue littéraire, Hegel décrit ce changement d’époque, en utilisant l’image plaisante de la naissance d’un enfant : les signes avant-coureurs d’une crise (« prodromes ») s’accumulent, puis l’époque bascule vers quelque chose de nouveau, encore inconnu, par une sorte de saut qualitatif :

Il est vrai que, de toute façon, [l’esprit] n’est jamais au repos, mais toujours en train d’accomplir un mouvement de progression continuel. Mais de la même manière que chez l’enfant, après une longue nutrition silencieuse, la première bouffée d’air interrompt cette progressivité du processus de simple accroissement – de même donc qu’il y a un saut qualitatif – et que c’est à ce moment-là que l’enfant est né, de même l’esprit en formation mûrit lentement et silencieusement en direction de sa nouvelle figure, détache morceau après morceau de l’édifice de son monde antérieur, et seuls quelques symptômes isolés signalent que ce monde est en train de vaciller ; la frivolité, ainsi que l’ennui, qui s’installent dans ce qui existe, le pressentiment vague et indéterminé de quelque chose d’inconnu, sont les prodromes de ce que quelque chose d’autre est en marche. Cet écaillement progressif, qui ne modifiait pas la physionomie du tout, est interrompu par la montée, l’éclair qui d’un seul coup met en place la conformation du monde nouveau
.


Néanmoins, on peut se demander : quels sont les signes qui indiqueraient que les doctrines de l’intuition sont dépassées, et que l’on est passé à une autre époque ?

Hegel fait référence au succès que connaît la philosophie de Schelling. Hegel a travaillé comme assistant pour celui-ci, à l’université d’Iéna, et a même rédigé un ouvrage pour le soutenir face aux attaques dont il faisait l’objet : la Différence entre les systèmes de Fichte et Schelling. Mais il a rapidement pris ses distances avec celui-ci, pour édifier sa propre pensée. On retrouve ce double mouvement ici, dans la préface de la Phénoménologie de l’esprit.


Schelling n’a pas succombé aux tentations des doctrines de l’enthousiasme, qui défendent l’idée d’une intuition de la chose en soi. Il a en revanche ressenti l’importance d’une synthèse salvatrice, qui viendrait réconcilier la Nature et l’Esprit, et a compris la nécessité de présenter cette synthèse sous la forme d’un système. Enfin, il se place du point de vue du Tout et de l’Absolu. Autant d’éléments qui ont suscité l’enthousiasme de Hegel et nourri sa propre pensée. C’est cela qui ouvre, selon lui, le passage vers une nouvelle époque, une nouvelle ère spirituelle, dans laquelle le savoir et l’esprit deviennent fondamentalement autres.

Mais les limites de la doctrine de Schelling lui sont rapidement apparues : c’est ici, dans ce passage précis de la préface, qu’il indique les raisons qui l’ont amené à s’éloigner de celui-ci.


1 Les références des citations sont disponibles dans l'ouvrage Hegel : lecture suivie