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couverture du livre

Antihumanisme(s)

La critique de l'humanisme a pu prendre trois formes : abhumanisme, antihumanisme hiérarchique et antihumanisme pessimiste.

Cet ouvrage s'intéresse à ces trois types de critiques, à travers les théories, mais aussi les oeuvres picturales, littéraires et cinématographiques.


Présentation générale

Antihumanisme(s) a comme point de départ une typologie présentée dans l’ouvrage Du Postmodernisme au posthumanisme (Hermann, 2020), dans laquelle ce courant multiforme de la philosophie contemporaine qu’est le posthumanisme est expliqué comme étant un système de discours, parmi lesquels se trouvent les critiques de l’humanisme, ou antihumanismes.

On cherche dans le présent volume à explorer, à travers d’œuvres artistiques, littéraires et cinématographiques, trois sous-discours qui donneraient forme à ces antihumanismes : l’abhumanisme, l’antihumanisme hiérarchique et l’antihumanisme pessimiste.

Ces sous-discours apparaissent ou se développent après la Seconde Guerre mondiale, et sont de ce fait contemporains de la crise de la modernité, qui est également celle de l’humanisme.


Sont étudiées dans ce volume des œuvres de Chantal Akerman, Gloria Anzaldúa, José Cardoso, Leonora Carrington, Denis Côté, David Cronenberg, Jean-Luc Godard, Carlos Reygadas, Charles Reznikoff, Béla Tarr et Eduardo Williams.

« Formes, réflexions et représentations »

Il s’agit de rendre compte autant de la pensée et de théories (Jacques Audiberti, Alain Badiou, Walter Benjamin, Rosi Braidotti, Judith Butler, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Élisabeth de Fontenay, Félix Guattari, Donna Haraway, Martin Heidegger, Friedrich Nietzsche, Jacques Rancière, Eduardo Viveiros de Castro, Monique Wittig…), que d’œuvres picturales, littéraires et cinématographiques du XXe et du XXIe siècles, mais surtout de leurs formes.

C’est par la réflexion et le travail sur ces formes, par la composition ou par la mise en scène, qu’une représentation proposée par les œuvres peut acquérir un caractère à la fois artistique et politique. Pour cela, les articles qui composent Antihumanisme(s) s’attardent sur les spécificités des langages artistiques, littéraires ou cinématographiques.

Abhumanisme

L’écrivain Jacques Audiberti définissait l’abhumanisme, en 1955, comme l’homme acceptant de perdre de vue qu’il est le centre de l’univers. Le terme est ici repris, en partie, afin de le rapprocher de discours critiques contemporains, écologiques ou antispécistes, par exemple, qui cherchent eux-mêmes un rééquilibre nécessaire entre les êtres humains – ou plus précisément les conséquences des actions humaines – et l’environnement.

Il s’agit ainsi d’une volonté de ne plus être au centre, qui prend la forme d’un « état d’esprit » différent cherchant à mettre en suspens le modèle selon lequel l’humain est principe, fin et mesure des choses. L’abhumanisme serait donc un positionnement politique permettant de réévaluer les rapports que l’on entretient avec les autres formes d’existence qui habitent le monde, un outil théorique donc, mais contenu et exprimé dans des techniques et formes artistiques.

Mais cette « méfiance », toujours dans les mots d’Audiberti, à l’encontre de l’humanisme, est également présente dans l’exposition d’un affrontement entre l’inscrutabilité du cours de l’histoire, dans lequel les hommes sont pris, et le choix qui s’offre à eux : la marche en avant, d’autant plus déterminée qu’elle est sans horizon, ou l’attention patiente à ce qui vient, comme l’affirme Sylvie Rollet dans son article sur le cinéma de Béla Tarr, à propos de son film Les Harmonies Werckmeister (2000).

Antihumanisme hiérarchique

On doit comprendre : « contre un humanisme hiérarchique ». Il est question dans ce sous-discours d’une critique du système hiérarchique et d’exclusion, de la création d’identités cherchant à octroyer à chacun une place précise dans la communauté humaine, permettant surtout l’affirmation d’une condition privilégiée des uns au prix de la soumission des autres. Monique Witting parlait de la prétention de la philosophie occidentale de considérer « humain » ce qui concernait seulement une partie de personnes : les hommes blancs, les propriétaires des moyens de production ainsi que les philosophes.

Pour Valentine Auvinet, dans son article sur Chantal Akerman et Charles Reznikoff, cet antihumanisme est la remise en cause de l’universalisme abstrait. Pour la réalisatrice et pour l’écrivain, l’effondrement de l’idéal humaniste provoqué par la Shoah les empêche de croire au progrès et à son pendant dans la tradition juive, le messianisme. […] Dans leurs œuvres, la dénonciation des processus d’invisibilisation et d’oppression gagne [cependant] les autres populations minorisées, en particulier aux États-Unis, et rejoint explicitement les enjeux de la pensée postcoloniale.

Antihumanisme pessimiste

On doit comprendre : « pour un humanisme pessimiste ».

Cet antihumanisme trouve ses origines dans l’interprétation de Nietzsche du pessimisme grec, dionysiaque, qui ne conduit pas au renoncement mais à une affirmation de la vie, ainsi que plus tard, dans la Lettre sur l’humanisme de Heidegger, mais peut s’exprimer également dans les critiques sur les concepts d’histoire et du progrès de Walter Benjamin, ou dans la dénonciation d’un humanisme de la marchandise par Guy Debord.


Pourquoi, comme le suggérait Heidegger dans le texte mentionné, publié en 1946, devrait-on célébrer encore l’être humain, l’image qu’il construit de lui-même dans la tradition de la philosophie humaniste, comme la réponse aux problèmes contemporains ?

Pourquoi donc quand on constate au contraire que c’est justement cet être humain lui-même, ainsi que son système d’auto-surélévation et d’autoproclamation qui constituent l’ensemble des problèmes humains et même non humains, si l’on pense aux théories de l’anthropocène et à l’échec d’habiter dans un écosystème sans le détruire ?

Un certain pessimisme semble alors une alternative critique, une manière de mesurer la non-correspondance entre l’idéal du projet humaniste, la notion de progrès qui lui est consubstantiel, et l’incapacité humaine d’atteindre ce projet, ces objectifs, sans s’y perdre peut-être de manière irrémédiable.


Écrivent dans ce volume Valentine Auvinet, Mercédès Baillargeon, Louise Ibáñez-Drillières, Guillaume Lurson, Kathleen Maxymuk, Pierre Niedergang, Sylvie Rollet, Célia Stara et Carlos Tello.

Auteur de l'article :

Carlos Tello, docteur en littérature comparée & cinéma, enseignant à l'Université d'Amiens, chercheur associé à l'Université Paris Cité & Paris-Est Créteil.