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couverture du livre

Des Philosophes devant la mort

Les philosophes peuvent-ils nous libérer de l’angoisse de la mort ? Qu’ont-ils à nous enseigner, sur ce problème redoutable ?

Cet ouvrage convie tour à tour des penseurs d’horizons très différents : entre les stoïciens, Descartes, la philosophie africaine, Heidegger et Levinas, un dialogue est-il possible ? Probablement, puisqu’il s’agit de penser un seul et même phénomène, qui s’impose à nous dans toute sa violence et son irréductibilité : la mort.


Les stoïciens et la mort

Le problème de la mort est nécessairement lié à celui des rapports entre le corps et l’esprit. L’esprit peut-il survivre sans le corps ? Ce qui nous amène à nous demander, en une sorte de question préalable : qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-ce que le corps ? Sont-ils de la même nature et si ce n’est pas le cas, comment l’un peut-il agir sur l’autre ?

Bertrand Quentin nous invite à examiner la réponse stoïcienne à cette question : la théorie de l’âme comme « pneuma » (souffle). L’esprit ne s’oppose donc pas au corps, mais est lui-même un certain type de corps « à particules fines ». De ce fait, il n’y a pas d’immortalité, dans le stoïcisme : l’âme se désagrège avec le corps, même si celle du sage, selon Eusèbe de Césarée, persiste plus longtemps que celle des insensés et des animaux.

L’impulsion naturelle vers la vie (hormê) est guidée par la recherche de ce qui nous est propre (oikeiosis), et c’est la raison qui en décide, qui détermine ce qui nous convient.


La vie a-t-elle une valeur pour les stoïciens, ou est-elle un « indifférent » (adiaphora) ? B. Quentin penche pour la seconde solution, puisque le déterminisme dans lequel baigne la pensée stoïcienne amène à suspendre tout jugement sur le cours des événements. L’éternel retour impliqué dans la théorie cyclique du temps des Grecs prive également les événements de leur caractère unique, et par là précieux. Enfin, la vie ne vaut d’être vécue que si l’on vit vertueusement. On parvient alors aux subtilités liées à la notion d’ « indifférent préférable ».

D’autre part, on rencontre une tension interne au stoïcisme sur la question du suicide. Deux conceptions se font face : l’une qui présente le sage stoïcien comme acceptant le monde, se résignant à son destin sans chercher à le fuir dans cet acte de rébellion que serait le suicide, l’autre qui fait du suicide un événement auquel je ne pouvais pas échapper, comme les autres, du fait du déterminisme universel.

Les principes stoïciens viennent donc complexifier la question de la valeur de la vie, et par là même, de la mort. Ce qui vient encore complexifier le problème, ce sont les divergences entre auteurs stoïciens : Ariston, Sénèque, Marc Aurèle… B. Quentin examine de près ces théories stoïciennes sur la mort, en montrant ce qui vient les unir et les opposer.


Ce n’est pourtant là que le premier moment de l’ouvrage, qui nous propose un dépaysement conceptuel, un voyage vers l’Afrique où nous rencontrerons une tout autre approche de la mort.

La philosophie africaine

Peut-on parler d’une philosophie africaine de la mort ? Quels en seraient les principes ? Tel est le défi auquel s’attelle Emile Kenmogné.

Pour cela, il faut remonter selon lui aux représentations eschatologiques africaines, qui renvoie in fine au culte des ancêtres, une ancestrolâtrie dérivant d’une ancestrologie.

La mort n’est qu’illusion, le principe vital se prolonge sous une autre forme. Le défunt devient un ancêtre qui veille, invisiblement, sur le village qu’il vient de quitter, conservant même son rang social. Il y a donc une continuité entre le monde des vivants et des morts, une continuité de la vie dans la mort, qui apparaît dans les pratiques mortuaires de peuples comme les Sara, au Tchad. Ainsi, on enterre la femme défunte avec ses vêtements, la louche dont elle se servait de son vivant, etc.

De même, l’initiation, par laquelle on accède à l’âge adulte, apparaît comme une mort symbolique : l’individu renaît, passant du règne de la nature (auprès de sa mère) à celui de la culture (dans le groupe). Dans ce type de communauté, d’ailleurs, ce qui est réel c’est le groupe, l’individu n’existe pas.

On le voit : c’est là une tout autre approche que la conception occidentale, fragile cependant et confrontée à l’influence d’autres traditions, du fait du processus d’uniformisation contemporain.

Saint-Augustin

On reste en Afrique, mais pour se transporter dans un nouvel horizon conceptuel : celui de Saint Augustin, qui nous livre, dans les Confessions, de profondes réflexions sur la mort, nourries de sa sensibilité chrétienne.

La mort est en effet d’abord et avant tout, signe du péché, et le Christ apparaît comme celui qui vient nous délivrer et de l’une et de l’autre.

Mais confronté à la mort de sa mère Monique, il nous livre l’un des passages les plus émouvants des Confessions. En effet, lors de la veillée funèbre, il s’empêche de pleurer en un combat qui [lui fait] atrocement mal. Il vit en effet cette contradiction : en tant que chrétien, il sait que mourir n’est pas disparaître totalement, qu’il y a une vie après la mort ; et pleurer reviendrait à en douter. Mais rompre si brutalement la très douce et très aimée habitude de vivre ensemble l’anéantit.

Dans ce monument littéraire que sont les Confessions, on trouve ainsi de magnifiques réflexions sur la mort, que nous présente en détail Pierre Gibert.

Pour aller plus loin

Ce n’est pourtant là qu’un début : on lira avec tout autant d’intérêt les analyses de Denis Kambouchner sur la conception cartésienne de la mort, et d’Emmanuel Housset sur ce que la phénoménologie peut nous en dire, à travers les voix de Husserl, Heidegger et Levinas.

Peut-être trouverez-vous au fil de votre lecture, un enseignement qui apaisera votre peur concernant ce problème redoutable, que l’on pourrait peut-être appeler « le problème des problèmes ».